(Havre-Saint-Pierre) Le mégacomplexe de la Romaine est « un modèle à suivre pour les éventuels projets » de barrages hydroélectriques qui restent aux yeux de François Legault « la meilleure option » pour combler les besoins énergétiques énormes qu’attend le Québec.

Le premier ministre a coupé jeudi le ruban d’inauguration du complexe de la Romaine, sur la Côte-Nord. À l’heure où il rêve de voir pousser des projets de barrages au Québec, M. Legault a vanté les mérites de l’hydroélectricité qui demeure « le meilleur choix » pour la production d’énergie, alors que l’éolien par exemple est « intermittent » et sera « insuffisant » pour l’avenir.

« Je continue de penser que l’hydroélectricité, c’est la meilleure option », a affirmé le premier ministre lors d’une mêlée de presse après la cérémonie qui s’est déroulée à la centrale Romaine-1, située à quelques kilomètres au nord de Havre-Saint-Pierre. M. Legault avait par ailleurs invité l’ancien premier ministre libéral, Jean Charest, qui avait donné le coup d’envoi au mégachantier en mai 2009.

« Je pense que c’est important pour moi d’inviter Jean Charest, qui a, de façon courageuse, lancé le chantier de la Romaine en 2009 et qui s’est fait beaucoup critiquer », a relaté M. Legault.

Celui qui l’a suivi, Philippe Couillard, disait que c’était fini l’hydroélectricité. Moi, je pense que ce n’est pas fini. Ça doit faire partie des scénarios importants.

François Legault, premier ministre du Québec

Hydro-Québec se trouve actuellement à la croisée des chemins alors que les besoins énergétiques exploseront au cours des prochaines années. Pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050, le Québec aura besoin de plus de 100 térawattheures (TWh) additionnels d’énergie – ce qui équivaut à 50 % de la production actuelle d’Hydro-Québec. François Legault a lui-même évoqué un volume allant jusqu’à 150 TWh.

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François Legault

Jeudi, alors qu’il se trouvait en compagnie du nouveau grand patron d’Hydro-Québec, Michael Sabia, le premier ministre a usé de prudence. M. Legault a demandé un peu de patience, refusant de s’aventurer sur une estimation du volume des besoins futurs. Au début novembre, M. Sabia présentera une « mise à jour » du plan stratégique présentée par sa prédécesseure, Sophie Brochu.

Le Plan stratégique 2022-2026 de la société d’État évaluait les besoins à 100 TWh. Or, il est acquis que ces besoins seront revus à la hausse.

À titre de comparaison, il faudrait construire 19 fois le complexe de la Romaine, qui a une production annuelle moyenne de 8 TWh, pour répondre au scénario évoqué de 150 TWh.

« [Cette mise à jour], c’est juste le début d’une conversation, d’un dialogue [entre] nous et le gouvernement », a exprimé M. Sabia, jeudi. C’est la première fois que lui et M. Legault participaient à une activité publique depuis sa nomination, en août dernier. Le nouveau président-directeur général d’Hydro-Québec a expliqué qu’il fallait demeurer « ouvert » pour trouver de nouvelles sources d’énergie. Les décisions futures du Québec dépendront aussi de l’issue de ses négocations avec Terre-Neuve-et-Labrador pour le renouvellement du contrat de Churchill Falls.

Nucléaire et acceptabilité sociale

Cela vaut aussi pour le nucléaire. « Je pense qu’il faut garder un esprit ouvert. Nous sommes en train d’examiner toute une gamme d’options technologiques, dont l’hydroélectricité et l’intensification de la production dans nos installations existantes. L’option des éoliennes est extrêmement importante, le solaire aussi. Donc, c’est trop tôt pour arriver à une décision finale », a expliqué M. Sabia.

Le premier ministre a ressenti le besoin de nuancer les propos du PDG. « C’est la responsabilité d’Hydro-Québec de regarder tous les scénarios. Par contre, il n’y a pas actuellement d’acceptabilité sociale au Québec pour le nucléaire », a précisé M. Legault. Il a du même souffle affirmé que l’acceptabilité sociale sera aussi nécessaire pour la construction d’un éventuel nouveau barrage.

L’importance de collaborer avec les Premières Nations a par ailleurs été mentionnée à plusieurs reprises par M. Legault et ses ministres qui ont fait le voyage jusqu’en Minganie, Pierre Fitzgibbon (Économie et Énergie), Ian Lafrenière (Relations avec les Premières Nations et les Inuit) et Kateri Champagne Jourdain, la ministre responsable de la Côte-Nord, elle-même membre de la communauté innue.

Pas de projet sur la Magpie

Le chef innu Jean-Charles Piétacho a pris soin de rappeler à M. Legault que les Premières Nations s’opposent farouchement à un projet sur la rivière Magpie. Le premier ministre a assuré qu’il n’y a « aucune analyse, aucun projet » pour cet endroit.

Pour l’heure, Hydro-Québec étudie seulement un nouvel ouvrage sur la rivière du Petit Mécatina, aussi sur la Côte-Nord. Encore là, l’acceptabilité sociale est loin d’être acquise.

Un projet sur Petit Mécatina, les Innus ne pourront plus monter sur le territoire, parce que le territoire sera inondé, c’est ça qui va arriver, c’est ma crainte et je ne veux pas qu’il y ait de barrage

Raymond Bellefleur, chef innu d’Unamen Shipu

Le chef Piétacho a invité le gouvernement Legault « repenser » le modèle des ententes avec les Premières Nations en ne se limitant plus à des promesses de redevances et d’emplois. Le patron d’Hydro-Québec a dit vouloir faire une plus grande place aux Premières Nations dans les projets futurs en leur offrant l’opportunité d’être propriétaire des installations par exemple.

Trois ententes ont été conclues avec les Premières Nations dans le contexte de la négociation pour le chantier de la Romaine. M. Charest se rappelle des tensions à l’époque.

« Ces ententes doivent être organiques, c’est-à-dire, elles doivent avoir suffisamment de flexibilité pour évoluer avec les circonstances, avec des évènements qui changent. C’est ça la magie ou la clé de conclure des ententes. Si les ententes sont figées dans le temps, bien là, la volonté de conclure est beaucoup plus difficile », a relaté M. Charest, qui dit croire que la construction de nouveaux barrages est possible au Québec.

Transition : « C’est le grand défi de notre ère »

L’inauguration du complexe de la Romaine – le plus important ouvrage hydroélectrique en service depuis la Baie-James – revêt une importance particulière pour le gouvernement Legault, qui a placé la transition énergétique au cœur de son deuxième mandat. François Legault voit dans la réalisation du mégacomplexe hydroélectrique une inspiration pour ses visées.

« Pour les prochains mois, les prochaines années. On va avoir des questions importantes à se poser au Québec », a indiqué M. Legault. « Il va falloir avoir un débat de société », a-t-il ajouté confirmant qu’une commission parlementaire suivra le dépôt de la « mise à jour » de Michael Sabia.

« Le prochain grand défi du Québec sera la transition énergétique et économique », a souligné le PDG d’Hydro-Québec. « C’est le grand défi de notre ère et nous avons tout ce qu’il faut pour réussir », a ajouté M. Sabia lors de sa courte allocution. M. Fitzgibbon a lui aussi indiqué qu’il « n’y a rien de mieux » que l’hydroélectricité pour « équilibrer » l’apport d’autres sources comme l’éolien, la biomasse et le solaire.

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Pierre Fitzgibbon

Depuis les dernières semaines, M. Legault a profité de plusieurs tribunes pour réitérer son désir de lancer de nouveaux grands ouvrages. Lors d’un évènement de HEC Montréal, le 15 septembre, le premier ministre a même invité les Québécois à se « préparer » à voir les projets de barrages se multiplier.

Le ministre Pierre Fitzgibbon doit d’ailleurs présenter cet automne une pièce importante de la stratégie du gouvernement avec le dépôt de son projet de loi attendu sur Hydro-Québec et la Régie de l’énergie. Le texte législatif a pour but de revoir l’encadrement du développement de l’énergie propre. Il y sera notamment question de l’accélération des projets éoliens et de la révision des tarifs d’Hydro-Québec pour les entreprises.

La fin d’un long chantier

François Legault a ainsi souligné la fin de l’impressionnant chantier de 7,4 milliards, qui s’est échelonné sur plus de 14 ans. Situé au nord de Havre-Saint-Pierre – municipalité située à quelque 215 kilomètres à l’est de Sept-Îles –, le complexe de la Romaine est un chantier qui aura donné du fil à retordre à Hydro-Québec.

La toute dernière des quatre centrales du complexe, la Romaine-4, est entrée en production en septembre 2022 avec deux ans de retard, notamment en raison de l’instabilité du roc qui a forcé à plus d’une reprise l’interruption des travaux de construction.

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Le barrage et évacuateur de crues.

Le chantier a aussi été paralysé en 2010 par des travailleurs de la Côte-Nord insatisfaits des embauches régionales. Des Innus de Uashat mak Mani-utenam, à Sept-Îles, ont également bloqué la route 138 en mars 2012 pour protester contre les travaux sur leurs terres ancestrales.

La facture initiale du projet a aussi été revue à la hausse, passant de 6,5 à 7,4 milliards. À cela s’ajoutent des coûts de 1,3 milliard pour la construction de la ligne de transport pour le raccordement.

Quatre hommes sont morts lors des travaux, le pire bilan pour un chantier d’Hydro-Québec au cours des 20 dernières années. Un moment de recueillement à la mémoire des quatre victimes a d’ailleurs eu lieu pendant la cérémonie d’inauguration.