Le contrat d’Hydro-Québec avec l’État de New York ne sera pas seulement rentable. Il sera extrêmement rentable.

Selon nos informations, Hydro-Québec prévoit faire des profits d’environ 950 millions par an en vendant 10,4 TWh d’électricité à l’État de New York avec ce contrat de 25 ans qui commence en 2026.

Sur 25 ans, les profits totaux attendus pour Hydro-Québec seraient donc d’environ 23,8 milliards, sur des revenus totaux d’environ 32 milliards1. (Tous les chiffres dans cet article sont en dollars canadiens.) Il s’agit d’une marge de profit d’environ 73 %.

Pour des raisons de confidentialité, la société d’État n’a jamais dévoilé publiquement les estimations de rentabilité du contrat et n’a pas voulu commenter cet aspect du dossier, mais elle confirme néanmoins qu’il sera rentable.

Depuis l’annonce du contrat en 2021, le gouvernement du Québec a indiqué publiquement qu’il générerait des revenus de 30 milliards sur 25 ans pour Hydro-Québec. Le premier ministre François Legault a répété ce chiffre le mois dernier. Ni le gouvernement Legault ni Hydro-Québec n’a chiffré les profits, une fois payés la production et le transport de l’électricité au Québec.

Hydro-Québec est capable de faire des prévisions de rentabilité entre autres parce que ses revenus par térawattheure sont prévus pour chacune des 25 années du contrat (les revenus sont indexés d’environ 2,5 % par an).

À titre de comparaison, Hydro-Québec a généré un bénéfice net (des profits nets) de 4,56 milliards sur l’ensemble de ses activités en 2022. Les profits annuels moyens du contrat avec New York (950 millions par an) auraient représenté une hausse des profits de 21 % cette année-là.

Il faut toutefois apporter un bémol important. Selon cette prévision de profits, l’hydroélectricité vendue à New York sera produite en moyenne au coût de 2 cents/kWh durant les 25 ans du contrat, et le transport sur le territoire du Québec coûtera environ 0,8 cent/kWh (ce coût de transport comprend entre autres le coût amorti d’une nouvelle ligne de transport de 1,14 milliard de dollars2).

Sur le plan comptable, ce calcul du coût de production de 2 cents/kWh est justifié. Le contrat avec New York prévoit qu’Hydro-Québec doit fournir de l’électricité provenant de nos barrages hydroélectriques actuels. Le coût de production de nos barrages actuels est actuellement légèrement inférieur à 2 cents/kWh et ne variera pas beaucoup d’ici 25 ans (sauf Churchill Falls dont le contrat doit être renégocié à la hausse). C’est pourquoi, selon nos informations, Hydro-Québec prévoit des dépenses d’environ 2 cents/kWh en moyenne pour la production d’hydroélectricité du contrat de New York entre le printemps 2026 et le printemps 2051.

Mais en pratique, pour décarboner le Québec et le rendre carboneutre d’ici 2050, il faudra beaucoup plus d’électricité que les 216 TWh produits par Hydro-Québec en 2022. La société d’État estime qu’il faudra au moins 100 TWh supplémentaires. Publiquement, le ministre de l’Énergie du Québec, Pierre Fitzgibbon, a évoqué 150 TWh de plus.

Cette nouvelle électricité sera beaucoup plus chère que l’électricité actuelle, produite à bas coût par les centrales hydroélectriques construites dans les années 1960 et 1970.

Hydro-Québec est en train de refaire ses calculs pour voir combien d’énergie elle devrait produire, et à quel coût. Sa dernière estimation rendue publique : toute nouvelle source d’approvisionnement en électricité coûterait 9,5 cents/kWh à produire, contre 2,0 cents/kWh pour l’ensemble de la production en 2022.

Notre estimation ajustée : des profits de 750 millions par an

Pour estimer les profits réels du contrat d’Hydro-Québec à New York, il est sage de tenir compte de la hausse future du coût de production de l’électricité.

En ajoutant progressivement 150 TWh à un coût de production de 9,5 cents/kWh jusqu’en 2050, le coût moyen de production sur 25 ans est de 3,55 cents/kWh (il passe de 2 cents en 2026 à 5,1 cents en 2050). Il s’agit de notre hypothèse de travail, pas de celle d’Hydro-Québec.

Malgré cet ajustement des dépenses à la hausse, le contrat d’Hydro-Québec avec New York reste très rentable.

En moyenne, Hydro-Québec générerait des profits d’environ 750 millions par an, selon nos calculs. Sur 25 ans, on parle de profits d’environ 18,7 milliards.

« C’est un bon contrat. À mon avis, c’est très rentable, ça permet de construire une ligne de transport [vers New York] et ça reconnaît le caractère vert de l’hydroélectricité », dit le professeur Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal.

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Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal

Les détracteurs du contrat d’exportation à New York pourraient faire valoir que sans ce contrat, Hydro-Québec pourrait utiliser les 10 TWh pour la transition énergétique au Québec. Autrement dit, le contrat de New York nous force à rajouter 10 TWh à un coût plus élevé (ex. : 9,5 cents/kWh) pour décarboner le Québec.

On a fait le calcul avec cette méthode plus pessimiste où le coût total de toute l’électricité envoyée à New York est d’environ 10,3 cents/kWh (9,5 cents pour la production, environ 0,8 cent pour le transport au Québec). Même avec cette méthode de calcul, le contrat de New York est rentable, avec des profits moyens d’environ 130 millions par an, selon nos calculs. Les profits totaux sur 25 ans seraient d’environ 3,2 milliards. Cette méthode de calcul est sévère et présume qu’Hydro construirait pour 10,4 TWh d’électricité nouvelle d’ici le début du contrat en 2026.

En théorie, ce serait la bonne manière de faire [prendre le coût marginal de 9,5 cents/kWh], mais c’est sévère de l’utiliser pour les exportations, car on ne le fait avec personne au Québec.

Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal

Nos scénarios avec des profits de 750 millions ou 130 millions par an montrent que le contrat d’Hydro-Québec sera rentable sur le plan financier, peu importe comment on calcule les dépenses de production d’électricité.

Ces deux scénarios (profits de 750 millions ou 130 millions par an) ne sont pas des certitudes coulées dans le béton. Le gouvernement Legault et la société d’État sont en train d’établir un plan de match pour hausser de façon significative la capacité énergétique du Québec. Le coût de production de 9,5 cents pour une nouvelle source d’approvisionnement en énergie pourrait être révisé selon le nouveau plan de match.

« L’évolution du coût moyen de production de l’électricité pour les 10-20 prochaines années est en cours d’analyse, indique Hydro-Québec par courriel. Plusieurs éléments sont à considérer dans cette évaluation selon le scénario du mix énergétique, considérant diverses variables d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables dans les années à venir, ainsi que la période de construction, la réfection et le rehaussement des capacités des centrales existantes. »

1. Les revenus (32 milliards sur 25 ans) d’Hydro-Québec cités dans cet article sont les sommes versées à Hydro-Québec après les paiements à son partenaire américain, Transmission Developers Inc. (TDI), qui s’occupe du transport de l’électricité en territoire américain. Pour leur électricité, Hydro-Québec et TDI vont facturer ensemble un prix de gros qui augmentera de 9,7 cents US/kWh la première année (2026-2027) jusqu’à 17,6 cents US/kWh à la dernière année du contrat, en 2050-2051.

2. Le coût de transport de 0,8 cent/kWh comprend les coûts annuels pour financer la construction d’une ligne de transport de 1,14 milliard reliant le Québec à la frontière américaine. Cette ligne de transport est détenue par une coentreprise dans laquelle Hydro-Québec est l’actionnaire majoritaire et le Conseil mohawk de Kahnawake l’actionnaire minoritaire. Dans cette coentreprise, Hydro-Québec et le Conseil mohawk de Kahnawake, se partageront les revenus de transport de l’électricité sur cette ligne de transport au Québec (dans laquelle ils ont tous deux investi).

Rentable sur le plan financier… et environnemental

Pourquoi vendre notre électricité aux Américains alors qu’on devra augmenter de façon importante notre production d’électricité pour répondre aux besoins du Québec ?

En théorie, on aurait pu garder cette électricité envoyée aux États-Unis pour le Québec.

Mais les deux contrats d’Hydro-Québec avec l’État de New York et le Massachusetts ont trois grands avantages.

Premièrement, ces contrats sont très payants pour Hydro-Québec, et par conséquent pour son actionnaire, le gouvernement du Québec.

Pour New York, Hydro-Québec estimerait les profits annuels du contrat à 950 millions de dollars canadiens, selon nos informations (voir autre texte).

Pour le Massachusetts, Hydro-Québec indique que la rentabilité de ce contrat sera « comparable au contrat de New York », mais que le montant total des profits sera moindre.

Deuxièmement, ces contrats réduiront les émissions de CO2 dans le nord-est des États-Unis.

L’hydroélectricité québécoise remplacera des énergies fossiles très polluantes aux États-Unis. Des experts ont calculé que l’hydroélectricité québécoise allait permettre de réduire les émissions de CO2 de 3,9 millions de tonnes par an à New York et de 3 millions de tonnes par an en Nouvelle-Angleterre. Ce sont des réductions non négligeables qui correspondent ensemble à 8 % des émissions de CO2 du Québec en 2019. Ces réductions iront au bilan des États-Unis, pas à celui du Québec, mais ça donne un ordre de grandeur.

Actuellement, New York utilise dans une proportion de 90 % des énergies fossiles et veut consommer à 70 % des énergies renouvelables d’ici 2030. Le contrat avec Hydro-Québec doit fournir 20 % de l’électricité totale consommée dans la Grosse Pomme.

Troisième grand avantage : les deux contrats permettront de construire deux lignes modernes de transport d’électricité dans le Nord-Est, ce qui donnera davantage de flexibilité à Hydro-Québec à l’avenir.

Grâce à ces contrats à long terme, Hydro-Québec sera dorénavant reliée par une ligne de transport moderne (avec une capacité de transport d’électricité dans les deux sens) aux deux villes les plus importantes du Nord-Est américain, New York et Boston.

« Ces contrats sont très bons [pour le Québec] entre autres pour une raison simple : nous avons besoin de ces lignes de transport à long terme, car il y aura de plus en plus d’énergie renouvelable qu’il faudra échanger, et c’est très difficile de construire des lignes de transport [sans ces contrats avec des prix garantis à long terme] », dit le professeur Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal.

À long terme, nos réservoirs hydroélectriques vont devenir encore plus importants, car ils permettront de stocker de l’énergie éolienne produite aux États-Unis dans nos réservoirs, et ensuite de la revendre (plus cher) en période de pointe.

Ça peut paraître paradoxal de vendre de l’électricité aux Américains alors que nos propres besoins augmenteront rapidement. Il faut toutefois remettre les choses en contexte. Quand les contrats de New York (2021) et du Massachusetts (2018) ont été signés, le gouvernement du Québec n’avait pas anticipé une aussi grande hausse de la demande d’énergie (150 TWh supplémentaires) pour décarboner le Québec.

« Il y avait juste New York qui était prêt à signer un tel contrat, Hydro-Québec Production n’était pas prête à le faire, dit le professeur Pierre-Olivier Pineau. On vendait de l’électricité aux États-Unis sur les marchés [contrats “spot” sans engagement à long terme], mais le prix du gaz naturel a chuté et on avait peur que ce soit la même chose pour l’électricité, que ces contrats sur les marchés ne soient plus aussi rentables. En plus, ces contrats sur les marchés ne reconnaissent pas le caractère vert de l’hydroélectricité. »

Et le prix de l’électricité pour les Québécois ?

Le contrat avec New York a beau être très payant pour Hydro-Québec, il entraînera inévitablement une hausse modeste du prix de l’électricité pour les consommateurs québécois. Ceux-ci bénéficient des prix les plus bas en Amérique du Nord.

C’est mathématique : si on prend 10 TWh d’électricité produite à bas prix (2 cents/kWh) pour exporter à New York, on devra bientôt prendre de l’électricité nouvelle et plus chère pour décarboner le Québec. Ce qui veut dire une légère hausse du prix pour les clients québécois. Pourquoi une légère hausse ? Toute électricité au-delà du bloc patrimonial (c’est le cas de ce 10 TWh) doit être vendue au prix du marché. « On n’aurait pas vendu cette électricité à 2 ou 3 cents aux Québécois », dit le professeur Pierre-Olivier Pineau.