Je ne sais pas si le ministre fédéral François-Philippe Champagne a l’habitude de consulter les cahiers publicitaires des supermarchés assidûment, mais il était impressionné par les spéciaux qui s’y trouvaient jeudi matin. À son avis, c’est la preuve que ses récentes actions portent déjà leurs fruits… même si les détaillants mettent toujours le paquet pour l’Action de grâce.

À la mi-septembre, rappelez-vous, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie avait annoncé que son gouvernement voulait agir pour stabiliser le prix du panier d’épicerie.

Les dirigeants des cinq principales chaînes de supermarchés au pays, Loblaw (Maxi et Provigo), Sobeys (IGA), Metro, Walmart et Costco, ont été rapidement convoqués à Ottawa. Le ministre est convaincu que sa tactique audacieuse, il faut le reconnaître, a fait avancer les choses.

« Je peux vous dire que le ton a changé entre le début et la fin de la rencontre. Un jour, je vais mettre ça dans un livre ! C’est une industrie qui n’est pas réglementée. J’ai su que c’était la première fois que les cinq présidents étaient assis ensemble dans une salle à écouter un ministre fédéral exprimer la frustration de millions de Canadiens qui s’adonnent à être leurs clients. »

Ces détaillants devaient lui remettre un plan contenant des actions concrètes, et ce, dès cette semaine. Ils ont tous remis leur devoir à temps. L’inverse aurait très mal paru.

De toute évidence, François-Philippe Champagne a aimé ce qu’il a lu. En conférence de presse, il a paru très encouragé et enthousiasmé par les gestes que les supermarchés promettent de faire « à court, moyen et long terme ». Il n’a pas voulu préciser ce que chacun d’eux ferait ni quand, mais il a donné trois exemples : offrir des rabais aux clients, geler des prix, égaler les prix des concurrents.

Rien de très original.

Ce sont des choses que les supermarchés font déjà. Les cahiers publicitaires ont toujours servi à afficher des soldes hebdomadaires. Costco envoie périodiquement à ses membres des carnets pleins de rabais. Maxi égale les prix depuis longtemps. L’an dernier, Loblaw a gelé les prix de 1500 produits de marque Sans nom pendant plus de trois mois.

Laissons la chance aux coureurs. Si jamais d’autres supermarchés se dotaient d’une politique d’ajustement des prix, ce serait une bonne nouvelle pour tous ceux qui n’habitent pas près d’un Maxi. Le géant Walmart, qui a cessé d’égaler les prix de ses concurrents en 2020, s’y remettra-t-il ?

Quant au gel des prix d’une vaste gamme de produits, ce fut pour Loblaw un coup de publicité fantastique. Au départ, le scepticisme était au rendez-vous. Mais Facebook et Twitter ne se sont pas remplis de photos de produits jaunes dont les prix avaient bondi, malgré la traque aux mensonges soutenue d’un bout à l’autre du pays.

Difficile de mesurer, toutefois, à quel point cette idée a allégé la facture des consommateurs. Ses coûts et les bénéfices pour la plus importante chaîne de supermarchés au pays ne sont pas davantage connus.

Chose certaine, aucun concurrent de Loblaw n’avait emboîté le pas pour retenir ses clients, en les voyant attirés comme des aimants par la marque Sans nom.

Le ministre François-Philippe Champagne a par ailleurs laissé entendre qu’une chaîne de supermarchés pourrait créer un « panier d’articles à bas prix », comme ça se fait en France depuis plus d’un an.

On dit panier, mais en réalité, c’est plutôt une liste d’aliments à prix très modiques, généralement de marque privée, tous réunis dans un présentoir. La preuve que ce type de mesure a eu un impact réel sur l’inflation alimentaire reste à faire.

Encore faudra-t-il que les prix des articles choisis pour en faire partie soient réduits de façon significative. Sinon, ce ne sera qu’un leurre, qu’un déplacement d’un rayon à un autre. Les consommateurs ne seront pas dupes. Le gouvernement non plus, puisque le Bureau de la consommation assurera une surveillance mensuelle de la mise en œuvre des engagements pris par les épiciers, promet-on.

En s’attaquant au prix des aliments, Ottawa a réussi à « créer une pression concurrentielle qui n’existait pas au Canada avant », selon le ministre François-Philippe Champagne.

Sans doute a-t-il accentué la pression sur les détaillants pour qu’ils en fassent un peu plus pour les consommateurs, ou qu’ils en donnent l’impression, du moins. Mais le niveau de la concurrence ne peut pas avoir changé du jour au lendemain sans que le nombre de supermarchés bouge.

Dans l’industrie alimentaire comme ailleurs, les concurrents s’observent toujours et réagissent aux idées des autres quand elles leur font mal. À une certaine époque, les supermarchés allaient même jusqu’à s’appeler pour fixer le prix du pain, mais c’est une autre histoire…

Le ministre croit pourtant que les supermarchés « vont tous se regarder à partir de maintenant » pour savoir ce que leurs concurrents font et s’ajuster en conséquence, grâce à ses initiatives. L’inflation alimentaire ralentit depuis novembre 2022. François-Philippe Champagne va-t-il aussi s’en attribuer le mérite ?

Les excès d’enthousiasme arrivent parfois à provoquer des miracles inattendus, mais ils amplifient surtout les attentes. Les consommateurs échaudés par le prix des aliments depuis deux ans s’en rendront compte si les élans du ministre ne changent rien.