(Ottawa) Le gouvernement fédéral a manqué une occasion de diminuer le prix du panier d’épicerie rapidement, selon le professeur Sylvain Charlebois. Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a dévoilé jeudi certaines des mesures qui seront mises en place par les cinq grandes chaînes comme des rabais et des gels de prix.

« J’ai regardé certaines circulaires ce matin et on voit déjà des épiciers s’ajuster avant l’Action de grâce », a déclaré le ministre Champagne en conférence de presse.

Il a indiqué que les consommateurs peuvent s’attendre à des rabais sur un ensemble de produits alimentaires, à des gels de prix et à leur alignement d’une chaîne à l’autre. Il a toutefois évité de détailler les plans d’action qui lui ont été fournis par les cinq grands épiciers, soit Metro, Sobeys, Loblaws, Walmart et Costco.

« Ça, c’est un show de boucane », a réagi le directeur scientifique du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, Sylvain Charlebois, en entrevue. Il avait participé à la rencontre avec les cinq PDG des cinq grandes chaînes d’épiceries organisée par le ministre en septembre.

On prend crédit pour des choses qui se passent déjà, puis d’ailleurs le taux d’inflation baisse déjà et va continuer à baisser.

Sylvain Charlebois, directeur scientifique du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie

D’autant plus que les prix qui se retrouvent dans les circulaires sont négociés des mois à l’avance.

« J’aimerais les voir, les circulaires de M. Champagne, a critiqué à son tour le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique, Alexandre Boulerice. Ce n’est pas ça qu’on entend sur le terrain, pas dans mon comté en tout cas. Les gens vraiment en arrachent et la petite demande de M. Champagne de stabiliser des prix qui sont déjà trop élevés, ce n’est pas suffisant pour nous autres. »

« Tout ce que les libéraux ont offert, depuis qu’ils ont promis de faire diminuer les prix d’ici l’Action de grâce, c’est un code de conduite, un bureau et une séance de photo. Ces trois choses ne se mangent pas. […] Qu’est-ce que les libéraux vont faire au cours des quatre prochains jours pour renverser l’augmentation de 67 % du prix de la dinde chez Loblaws ? », s’est insurgé le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, lors de la période des questions.

Les libéraux accusent les conservateurs de retarder l’avancement du projet de loi C-56 qui élimine la taxe sur les produits et services (TPS) pour les nouveaux immeubles locatifs et donne plus de mordant au Bureau de la concurrence.

Questionné en conférence de presse pour savoir pourquoi il annonçait quelque chose que les grandes chaînes d’épiceries font déjà, M. Champagne s’est défendu.

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Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne

« Je dis que ce sont des exemples de ce qu’on voit dans leurs plans parce que je veux de la compétition dans le marché », a-t-il répondu. Il a ajouté qu’il avait réussi à mettre de la pression pour stimuler la concurrence.

Le ministre compte également renforcer les pouvoirs du Bureau de la consommation qui enquêtera sur des pratiques comme la réduflation et la déqualification, continuera à réclamer un code de conduite pour l’industrie et lancera un « carrefour de données sur le prix des aliments » pour surveiller les prix au Canada.

Abolir ou introduire des taxes ?

La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a de nouveau laissé planer la menace de mesures plus coercitives. « Aucune mesure n’est exclue, y compris des mesures financières comme une taxe », a-t-elle affirmé.

« C’est une occasion manquée », a constaté Sylvain Charlebois.

La feuille de route qu’on a présentée va aider l’industrie à devenir plus compétitive, c’est vrai. Mais il a manqué une occasion de vraiment démontrer qu’Ottawa a fait une différence.

Sylvain Charlebois, directeur scientifique du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie

Le fait que le ministre n’ait pas annoncé que les cinq enseignes appuient le code de conduite des épiceries dénote que les cinq grandes enseignes ne l’ont pas encore adopté. « Ça aurait été vraiment un gain exceptionnel », estime M. Charlebois. Ce code vise à créer un équilibre entre les grandes chaînes d’épiceries et leurs fournisseurs.

Ottawa aurait pu prendre deux autres mesures, selon lui, pour aider les familles assez rapidement. D’abord, il aurait pu éliminer la taxe imposée sur certains produits alimentaires. Avec la réduflation, certains produits qui en étaient exemptés sont désormais taxés. Par exemple, la crème glacée Häagen-Dazs se retrouve aujourd’hui dans un format collation, donc taxable, aux yeux de l’Agence du revenu du Canada, parce que son contenant a été réduit en deçà de 500 g.

Ensuite, le gouvernement aurait pu inciter les grandes chaînes d’épiceries à cesser le « blackout », cette période de novembre à février où elles empêchent les fournisseurs d’augmenter les prix. Le consommateur s’en trouve ensuite pénalisé lorsque les prix augmentent par la suite.

« Maintenir les prix des aliments aussi bas que possible est la priorité absolue des épiciers canadiens depuis la forte hausse de l’inflation à la fin de la pandémie », a soutenu le Conseil canadien du commerce de détail dans une déclaration. Il s’attend à ce que les manufacturiers jouent eux aussi un rôle pour faire baisser les prix.

150 000

C’est le nombre de Canadiens qui se sont ouvert un compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (CELIAPP), a annoncé la ministre des Finances, Chrystia Freeland. « Ça démontre que des centaines de milliers de Canadiens croient qu’ils peuvent acheter leur première maison et qu’ils épargnent », s’est-elle réjouie.