Poussés par l’inflation, les Québécois se sont tournés vers les épiceries au rabais. Les fabricants d’ici de produits alimentaires tentent maintenant de les suivre en se taillant une place sur les rayons de ces enseignes.

Et alors que le gouvernement fédéral fait pression sur les dirigeants des grandes chaînes et les transformateurs pour freiner la hausse des prix en épicerie, certains fabricants d’ici modifient la recette de leurs produits – sans négliger la qualité, insistent-ils – pour les rendre plus abordables.

« Les consommateurs vont maintenant là où les prix sont plus modiques. On peut totalement comprendre ça. Si on n’est pas disponible là, c’est certain qu’il y a un effet sur nos ventes », lance sans détour Élaine Bélanger, copropriétaire et vice-présidente aux opérations de Maison Orphée, une entreprise de Québec spécialisée dans la fabrication d’huiles, de vinaigrettes et de moutardes.

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Élaine Bélanger, copropriétaire et vice-présidente aux opérations de Maison Orphée

Le consommateur a raison. S’il se tourne vers un endroit, il faut être à l’écoute et il faut comprendre ce qui se passe.

Élaine Bélanger, copropriétaire et vice-présidente aux opérations de Maison Orphée

Pour ce faire, elle reconnaît que son entreprise est beaucoup plus offensive qu’avant dans ses approches auprès des enseignes au rabais comme Maxi et Walmart. « On était de façon marginale dans ces endroits-là, entre autres chez Maxi. L’idée, c’est de varier notre offre pour vendre davantage chez Maxi et même chez Walmart. »

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Produits de Maison Orphée sur les étalages d’un Maxi

Ainsi, des moutardes et des vinaigrettes signées Maison Orphée devraient bientôt être offertes sur les étagères de l’enseigne américaine.

Connue pour ses sacs de granola colorés, La Fourmi bionique, dont les produits sont en vente chez Maxi et Super C depuis quelques années, met aussi de l’énergie sur sa présence dans ce type d’enseignes. « Il y a longtemps qu’on a développé le format écono [808 g]. On était donc déjà bien positionnés sur ce genre de marché là », explique sa présidente, Geneviève Gagnon.

« On le sait que c’est super porteur d’être dans ces marchés-là : Costco, Maxi, Super C. On n’est pas encore chez Walmart, mais c’est certainement quelque chose qui est envisageable, souhaitable pour nous. »

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Geneviève Gagnon, présidente de La Fourmi bionique

On veut être là où le client va magasiner. C’est sûr que notre stratégie est orientée vers les enseignes au rabais en ce moment.

Geneviève Gagnon, présidente de La Fourmi bionique

Déjà présents dans les supermarchés ordinaires, les pots en verre des mayonnaises de Cuisine Poirier, de Lanaudière, pourraient également se trouver une place dans les espaces réfrigérés des chaînes au rabais. « On commence nos démarches pour essayer de rentrer là. On a des discussions pour rentrer chez Maxi. On est dans quelques Super C, indique Jonathan Poliquin, copropriétaire de Cuisine Poirier. C’est sûr que ça fait partie des discussions. Les clients sont de plus en plus friands de ces marchés-là. »

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La Fourmi bionique est connue pour ses sacs de granola colorés. Ses produits sont en vente chez Maxi et Super C depuis quelques années.

Du côté de Loblaw (Maxi, Provigo), Johanne Héroux, directrice principale, affaires corporatives et communication, confirme que des entreprises les ont sondés et qu’il y a une « ouverture ».

Chez Super C, la porte-parole Geneviève Grégoire affirme que des fabricants montrent effectivement de l’intérêt pour l’enseigne, mais pas davantage qu’auparavant. Elle souligne également que la chaîne est toujours ouverte aux discussions.

Il faut quand même que ces produits-là satisfassent certains critères. Ça demeure une enseigne à bas prix. On ne peut pas rentrer du vinaigre balsamique à 60 $.

Johanne Héroux, directrice principale, affaires corporatives et communication de Loblaw

Un prix de détail acceptable, une capacité à produire pour que les tablettes puissent se remplir aussitôt vidées et une certaine « vélocité » signifiant que le produit ne doit pas rester là et s’empoussiérer sont autant de cases que ceux qui aspirent à faire leur entrée chez Maxi doivent cocher.

Une mission difficile à remplir, admet Hugo Magnan, président du Groupe MAG, qui vend ses mayonnaises chez Maxi. S’il a noté un déplacement de ses ventes vers les enseignes à bas prix, il reconnaît qu’y faire sa place n’est pas une sinécure.

« On a bénéficié du fait que nous étions sur ces tablettes-là, soutient-il. Ces chaînes-là ont pris beaucoup de croissance et ça nous en a fait profiter en matière de volumes de ventes.

« Mais il y a un coût pour être dans ces enseignes-là. Il faut avoir des marges plus serrées. Il faut vendre à des prix moindres à l’occasion. »

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Un prix de détail acceptable, une capacité à produire pour que les tablettes puissent se remplir aussitôt vidées et une certaine « vélocité » signifiant que le produit ne doit pas rester là et s’empoussiérer sont autant de cases que ceux qui aspirent à faire leur entrée chez Maxi doivent cocher.

Changer la recette

Par ailleurs, en plus de faire des pieds et des mains pour rendre leurs produits accessibles partout, les fabricants sentent une pression pour ne pas hausser leurs prix, comme en témoignent les démarches entreprises récemment à Ottawa par le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, pour freiner l’augmentation de la facture d’épicerie.

Et les fournisseurs qui tentent de faire accepter des hausses de prix aux détaillants essuient souvent des refus, racontent les fabricants interrogés.

« Il va falloir proposer des options aux consommateurs », estime Élaine Bélanger. Devant la flambée du prix de l’huile d’olive causée notamment par des sécheresses et des températures anormalement élevées en Espagne – premier producteur mondial –, Maison Orphée a décidé de mettre en marché un tout nouveau produit, plus abordable.

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L’huile parfaite, de Maison Orphée

« On a mis en marché en mai l’huile parfaite, qui est un mélange de cinq huiles biologiques en tout. » Elle est composée d’huile de tournesol, de sésame, de lin, de canola et d’olive extra vierge.

Même stratégie chez Groupe MAG, où on s’affaire à développer des recettes de mayonnaises destinées aux restaurateurs qui sont plus abordables.

« Cette réalité-là n’est pas juste à l’épicerie. Les restaurateurs magasinent et cherchent à faire des économies », rappelle Hugo Magnan.

A-t-il l’intention de faire le même virage pour ses produits vendus au détail ? Pas pour le moment, répond-il. « On y réfléchit. Effectivement, ajoute-t-il toutefois. Mais pour l’instant, on se tient les poings fermés et on espère que ça va se calmer. »