Désolé de vous décevoir, mais la pénurie de logements ne ralentira pas l’an prochain ni dans trois ans, elle risque plutôt de s’aggraver. Et avec elle, la pression à la hausse sur les loyers.

L’une des principales raisons n’a rien à voir avec la spéculation, l’offre de logements ou les normes municipales, mais avec la demande, notamment le boom d’immigration planifié par Ottawa.

Qu’on se comprenne bien, l’immigration est un bienfait, selon la plupart des experts. Sauf que le rythme d’entrée des nouveaux arrivants est tel qu’il devient difficile à soutenir pour le marché immobilier locatif.

Les chiffres que j’ai épluchés sur l’immigration temporaire sont frappants. L’année 2023 dépassera très nettement 2022, qui était déjà un record.

Pour faire image, ce flot de nouveaux arrivants au Québec en 2023 devrait dépasser la population de la ville de Sherbrooke (environ 175 000), selon ce que l’on comprend des données d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Et la plupart s’installent dans la région de Montréal.

Je ne suis pas le seul à faire ce constat : le président de la Banque Nationale, Laurent Ferreira, appuyé par son économiste en chef, Stéfane Marion, juge que la forte croissance de la population canadienne nourrie par l’immigration est inflationniste, notamment sur le logement1.

Deux phénomènes se conjuguent. Les mises en chantier de logements sont en baisse marquée et l’immigration temporaire explose.

Après un record en 2021, les mises en chantier se sont littéralement dégonflées, avec la hausse des taux d’intérêt. Au Québec, les nouveaux logements locatifs – premier havre des immigrants – se construisent au rythme annualisé de moins de 20 000, actuellement, loin des 48 000 de juin 20212.

Phénomène semblable dans l’ensemble canadien, quoique moins marqué : le rythme annuel de 95 000 mises en chantier locatif en octobre 2022 a chuté à 81 000 le mois dernier3.

Pendant ce temps, l’arrivée des résidents non permanents s’accélère, si l’on se fie aux permis de travail accordés par Immigration Canada.

Au cours des sept premiers mois de l’année, les autorités ont délivré plus de 122 000 nouveaux permis de travail aux résidents temporaires du Québec.

À ce rythme, le Québec absorberait plus de 200 000 nouveaux travailleurs non permanents en 2023, soit plus du double du record de 2022 (94 195) et trois fois le volume prépandémique de 2019 (70 000). Et encore, il faut ajouter l’accroissement des nouveaux étudiants étrangers.

Pour l’ensemble du Canada, le nombre de permis de travail est aussi en voie de doubler l’année record de 2022, et excédera 1,1 million, si la tendance se maintient. Avec les nouveaux étudiants étrangers, ce chiffre devrait être encore plus élevé.

Bref, la hausse est exponentielle et elle a nécessairement un impact sur le marché immobilier4.

Qu’est-ce qui explique l’explosion ? Impossible d’avoir des réponses précises et rapides d’Immigration Canada. Y a-t-il un mauvais décompte ? Un retard des traitements qui a été comblé ? Un changement réglementaire favorisant le boom ?

L’agence Statistique Canada fera justement le point mercredi matin sur ces résidents non permanents, après discussions avec Immigration Canada et les experts provinciaux. Son avis parle d’un niveau record au premier trimestre de 20235.

Selon mes recherches, les Ukrainiens, les travailleurs temporaires appelés à soulager la pénurie de main-d’œuvre et les demandeurs d’asile dans les aéroports, entre autres, expliquent la situation. Immigration Canada est aussi plus permissif (voir autre texte).

Quoiqu’il en soit, ce boom d’immigration fait pression sur le marché résidentiel, mais aussi sur les services publics, comme la santé et l’éducation, déjà débordés. Et il laisse craindre qu’il nuise aux objectifs canadiens d’immigration, notamment chez les étudiants étrangers de pays industriels, qui pourraient aller voir ailleurs.

Marocaine d’origine et musulmane, MNadia Barrou, qui a immigré ici il y a une quarantaine d’années, s’inquiète. « Je le dis avec bienveillance, mais c’est démesuré, ce qui se passe. On veut de l’immigration, bien sûr, c’est mon métier. Mais on n’arrive pas à donner notre meilleur, parce qu’il nous manque d’infrastructures d’accueil pour les immigrants et qu’il y a des délais incroyables. On ne tient plus compte de l’angoisse des nouveaux arrivants, qui sont désemparés.

L’afflux peut aussi créer des tensions, éveiller un sentiment anti-immigrant dans la population, qui peine à avoir des services de santé, de garderie et autres.

Nadia Barrou, avocate spécialisée en immigration

Peut-être sera-t-il possible d’amoindrir la pénurie de logements, à un moment donné. Après tout, le flot d’Ukrainiens finira par se tarir, Ottawa pourrait tempérer ses objectifs d’immigration et les autorités pourraient assouplir certaines règles urbanistiques, par exemple en permettant davantage de logements accessoires (sous-sol, cours arrière, cases de stationnement, etc.).

Il faut toutefois faire une croix sur l’abordabilité, m’expliquent des entrepreneurs, en mal de solutions pour réduire leurs coûts, surtout avec le niveau des taux d’intérêt. Un logement neuf de quatre pièces et demie à 1800 $ par mois dans la région de Montréal n’est plus une exception.

D’ailleurs, une récente étude de la SCHL conclut que pour retrouver l’abordabilité des années 2000, la hausse de l’offre de logements devrait être telle qu’il faudrait multiplier par trois la construction de logements au Québec d’ici 2030, à 150 000 mises en chantier par année.

Or, le record québécois de tous les temps est de 74 000, en 1987, et l’industrie vit une pénurie de main-d’œuvre actuellement, rappelons-le.

Oublions la pensée magique, il faudra vivre avec cette nouvelle réalité du logement pendant longtemps…

1. Lisez l’article « Laurent Ferreira, PDG de la Banque Nationale – “C’est le moment d’être prudent” »

2. Ces données sont un peu différentes de celles généralement publiées par la SCHL, puisque j’ai fait une moyenne mobile de six mois des mises en chantier dessaisonalisées, question de mieux saisir les tendances.

3. La part du locatif au Québec est bien plus grande aujourd’hui (58 %) qu’il y a 10 ans (20 %), comme au Canada d’ailleurs (30 % en 2022 contre 12 % en 2012).

4. Une partie de la hausse peut s’expliquer par le renouvellement de permis de travail déjà accordés, mais l’essentiel vient des nouveaux titulaires.

5. Lisez la publication de Statistique Canada

D’où vient le boom ?

Divers facteurs expliquent l’explosion du nombre de résidents non permanents. Parmi eux figure le flot d’Ukrainiens, les travailleurs temporaires et la plus grande permissivité d’Immigration Canada.

Depuis un an, la rareté de main-d’œuvre a incité les entreprises à multiplier les demandes de travailleurs en vertu du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), surtout au Québec.

Le rythme ralentira au cours des prochains mois avec le ralentissement économique, si l’on se fie aux données et observations sur le terrain de la firme spécialisée Auray Sourcing. Tout de même, les demandes des entreprises pour obtenir des permis PTET continuent d’être bien plus fortes qu’avant la pandémie, ce qui est précurseur de l’entrée de nouveaux arrivants dans les prochains mois.

Les Ukrainiens

Le boom vient aussi de l’afflux d’Ukrainiens qui ont fui la guerre. Pour leur accorder rapidement des permis de travail, le fédéral a adopté un volet spécifique dans son Programme de mobilité internationale (PMI).

L’effet est clair : au cours des sept premiers mois de 2023, plus de 69 000 Ukrainiens ont reçu leur permis de travail au Canada – une bonne part au Québec – et à ce rythme, le volume dépassera de 50 % celui de 2022.

L’explosion vient aussi des étudiants étrangers qui se trouvent du travail au Canada une fois leur diplôme terminé (les post-diplômes). Le phénomène est en croissance au Québec, mais il est toutefois beaucoup plus important en Ontario, où il représente même 35 % des nouveaux permis de travail des résidents non permanents de 2023, contre 10 % au Québec.

Le contingent d’étudiants indiens, entre autres, est très fort au Canada anglais.

Mais il y a autre chose. La forte croissance vient aussi de l’élargissement, ces derniers mois, des catégories d’immigrants temporaires pour lesquelles le fédéral n’exige plus que soit faite une enquête d’impact sur le marché du travail pour avoir un permis.

Avant 2023, par exemple, seuls les employés dits « qualifiés » pouvaient faire venir leurs conjoints et enfants au Canada et leur permettre d’obtenir un permis de travail ouvert. Cette exigence du PMI a été élargie à tout type d’emploi, que ce soit serveur ou ingénieur, m’explique l’avocate spécialisée en immigration Nadia Barrou, de Montréal.

Et elle s’applique partout au Canada, même au Québec, sans que le gouvernement Legault ait son mot à dire.

Autre élément important : une mesure contestée d’Immigration Canada a gonflé d’un coup les demandes d’asile dans les aéroports canadiens ces derniers mois, notamment de ressortissants d’Afrique de l’Ouest, mais aussi de l’Inde, entre autres1.

Et pour nombre d’entre eux, un permis de travail est presque automatiquement accordé, même si le statut de réfugié n’est pas encore attesté, chose qui peut prendre plusieurs mois, m’explique Mme Barrou.

Un regard sur l’origine des titulaires de permis permet de constater qu’un fort contingent d’immigrants temporaires provient de pays en situation trouble, comme Haïti, l’Iran et le Nigeria, dont les ressortissants obtiennent des permis en vertu du PMI.

Les ressortissants d’origine indienne, cela dit, sont les plus nombreux à immigrer temporairement au Canada, et de très loin. Le constat est frappant dans le contexte des récentes tensions avec l’Inde lié à l’assassinat d’un leader sikh.

1. Lisez l’article de Radio-Canada « Une mesure secrète d’Immigration Canada entraîne une hausse des demandes d’asile »