L’abolition de la TPS sur la construction de logements locatifs vient avec une grosse facture pour le gouvernement fédéral, mais elle risque d’avoir des effets très limités, du moins au Québec.

Selon mes estimations, l’abolition de la TPS pour un projet au Québec équivaut à un taux hypothécaire qui baisserait de 6 % à 5,7 % pour les promoteurs, voire à 5,5 %, au mieux. La mesure ne couvre donc qu’une petite partie de la hausse du taux hypothécaire qui a eu lieu depuis 18 mois, d’environ 3,5 points de pourcentage pour le terme de 3 ans.

La facture pour Ottawa, malgré tout, est costaude. Au ministère fédéral des Finances, on estime que la mesure coûtera 4,6 milliards de dollars sur 6 ans pour tout le Canada, soit l’équivalent de 766 millions par an.

« C’est un pas dans la bonne direction, mais ça ne réglera pas la pénurie de logements locatifs, compte tenu de la hausse des coûts de construction et des taux d’intérêt », dit François Des Rosiers, professeur de gestion immobilière à l’Université Laval.

« L’inflation et une nouvelle hausse de taux d’intérêt pourraient rapidement annuler l’effet », dit l’économiste Pierre-Emmanuel Paradis, de la firme AppEco.

Même son de cloche chez François Bernier, directeur général de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec. « Ça fait un bout de chemin, mais il en faut davantage. Si on élimine aussi la TVQ, par exemple, plusieurs projets passeraient à go », dit-il.

À Québec, le gouvernement Legault n’est pas chaud à l’idée, vu le coût important d’une telle mesure et ses effets diffus, selon ce qu’a déclaré le ministre des Finances, Eric Girard. Vraisemblablement, le Québec n’imitera donc pas l’Ontario, qui a indiqué son intérêt à suivre le fédéral.

De fait, la rentabilité de la mesure est douteuse, puisque certains des logements locatifs qui seront construits l’auraient été sans l’abolition de la taxe de toute façon. Le coût net pour les logements qui n’auraient pas vu le jour sera donc très élevé.

Comment s’applique l’abolition de la TPS de 5 % ? Contrairement à certains commentaires, la mesure ne viendra pas annuler la TPS sur les matériaux de construction pour les promoteurs, par exemple chez Réno-Dépôt. La mesure permettra plutôt d’éliminer la TPS payée par les acheteurs d’immeubles locatifs, essentiellement.

Depuis plusieurs années, le fédéral rembourse 36 % de la TPS payée sur les nouveaux immeubles locatifs dont la valeur marchande est de moins de 350 000 $ la porte. Le remboursement diminue passé une valeur de 350 000 $ et il s’éteint lorsqu’elle excède 450 000 $.

Avec la mesure annoncée par Justin Trudeau, ce remboursement de TPS passera de 36 % à 100 %, peu importe la valeur. Les immeubles neufs de quatre logements et plus sont admissibles, mais aussi les conversions d’immeubles non résidentiels en immeubles multirésidentiels.

La mesure est en vigueur pour les immeubles dont la construction a débuté après le 14 septembre 2023, mais avant le 31 décembre 2030⁠1.

Dans le marché québécois, on estime qu’un promoteur peut construire un logement locatif à 250 000 $ la porte, par exemple. Avant la mesure fédérale, la TPS payée revenait à 8000 $ pour un logement de cette valeur, vu le remboursement de 36 %. C’est donc ce montant de TPS qu’un acheteur économise au Québec pour ce logement type.

Pour avoir un ordre de grandeur de l’impact, j’ai calculé de combien cette économie de 8000 $ permettrait d’abaisser les mensualités hypothécaires pour un tel logement. Résultat : la mensualité associée à ce logement passerait d’environ 1810 $ à 1755 $, soit une économie de 55 $⁠2.

Cet écart équivaut à une baisse de 0,33 point du taux d’intérêt hypothécaire (de 6 % à 5,66 %), ce qui est somme toute modeste. Pour un logement de 500 000 $, la baisse équivaut à près de 0,5 point de pourcentage (de 6 % à 5,5 %).

Qu’en serait-il avec une TVQ elle aussi abolie ? L’impact serait nettement plus grand pour deux raisons. D’abord, le taux de la TVQ est près du double de celui de la TPS (9,975 % contre 5 %). Ensuite, pour la TVQ, les promoteurs ne bénéficient pas, actuellement, de remboursement de 36 % pour ce logement type de 250 000 $⁠3.

Bref, l’impact de l’abolition de la TVQ avoisinerait un point de pourcentage, qui s’ajouterait à celui de la TPS (0,33 point), pour un total de 1,3 point (de 6 % à 4,7 %).

La combinaison des deux taxes abolies aurait donc plus d’effet. La facture pour le gouvernement du Québec serait aussi plus salée.

En supposant 25 000 mises en chantier de logements locatifs par année, le manque à gagner annuel pour Québec serait de l’ordre de 625 millions pour des immeubles à 250 000 $ la porte. La facture serait plutôt de 875 millions si la valeur moyenne des logements était de 350 000 $ la porte⁠4.

Pour le fédéral, l’abolition de la TPS sera passablement plus coûteuse dans les provinces où les logements sont plus chers, comme en Ontario et en Colombie-Britannique. La facture de 4,6 milliards sur 6 ans estimée par Ottawa ne sera donc pas répartie uniformément selon les provinces.

Je n’ai pu savoir de combien le fédéral espère augmenter le nombre de nouveaux logements locatifs spécifiquement avec l’abolition de la TPS.

Katherine Cuplinskas, porte-parole de la ministre des Finances, Chrystia Freeland, indique que le gouvernement « a un plan pour faire doubler le nombre de nouveaux logements construits d’ici 2032 », mais elle inclut notamment dans l’équation le Fonds pour accélérer la construction de logements, de 4 milliards de dollars.

De cette enveloppe de 4 milliards, 900 millions sont destinés au Québec, mais les négociations piétinent. Il faut dire que les conditions sont nombreuses, puisque les « unités » construites doivent être « abordables, à faible émission de carbone, résilientes au climat, inclusives, équitables et diversifiées », selon le site web fédéral.

Bref, on n’a pas fini d’entendre parler de la pénurie de logements…

1. Consultez la publication du gouvernement du Canada

2. Pour simplifier l’exercice, j’ai présumé un financement à 100 %, bien que le promoteur avance une partie en capital.

3. Le seuil de remboursement de 36 % de la TVQ est plafonné à 225 000 $, un niveau jugé trop bas, selon les promoteurs.

4. Mes calculs doivent être vus comme des ordres de grandeur. Les promoteurs ont chacun des modèles d’affaires, des coûts et du financement qui peuvent faire varier ces estimations.