(Ottawa) Le gouvernement Trudeau mine « les règles stables et prévisibles du libre marché » avec sa réforme de la Loi sur la concurrence, accuse le Conseil canadien des affaires. En plus d’abolir la TPS sur la construction de nouveaux logements, le projet de loi C-56 déposé jeudi s’attaque aux fusions d’entreprises.

« C’est un peu une chasse aux sorcières qui a commencé avec la question des épiceries, quand on sait que les marges de profit de ce secteur-là sont probablement parmi les plus faibles de tous les secteurs et que l’augmentation des prix est liée directement à l’augmentation des coûts », a réagi le premier vice-président du Conseil canadien des affaires, Robert Asselin.

Le projet de loi C-56, intitulé Loi sur le logement et l’épicerie à prix abordable, donne de nouveaux pouvoirs d’enquête au Bureau de la concurrence et la capacité de bloquer des ententes qui empêchent des épiciers indépendants de s’installer à proximité de grandes enseignes.

Il fait suite à la rencontre du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, avec les dirigeants des cinq grandes chaînes d’épicerie en début de semaine et à l’annonce du premier ministre Justin Trudeau la semaine dernière quelques jours avant la rentrée parlementaire.

Le projet de loi s’attaque également aux fusions anticoncurrentielles en supprimant la défense fondée sur le gain en efficience. Celle-ci empêche le Tribunal de la concurrence de rejeter une fusion lorsque les gains réalisés sont plus importants que la diminution de la concurrence qu’elle entraînerait.

Ce que nous voulons au Canada, c’est moins de consolidation, plus de concurrence et des prix plus bas. Et je pense qu’il est temps, honnêtement, de corriger la Loi sur la concurrence au Canada. C’est pourquoi nous prenons aujourd’hui des mesures audacieuses et décisives.

François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

Il a fait valoir que la défense fondée sur le gain en efficience remonte aux années 1960 et qu’elle n’a pas d’équivalent ailleurs dans le monde. Il s’agit d’une disposition pour laquelle le Conseil canadien des affaires avait milité à l’époque.

« On court-circuite une consultation à des fins politiques parce que là, tout à coup, le gouvernement a de mauvais sondages », a déploré Robert Asselin. Le gouvernement avait lancé une consultation plus générale, mais le Conseil canadien des affaires se plaint de ne pas avoir été consulté sur les trois mesures proposées par le projet de loi avant son dépôt à la Chambre des communes.

Le Bloc québécois a salué la réforme longtemps attendue. « Le gouvernement s’est enfin attaqué aux pires irritants, a réagi le porte-parole du Bloc québécois en matière de finances, Gabriel Ste-Marie. Nous le répétons : il n’est pas normal que cinq joueurs se partagent 80 % du marché de l’alimentation. »

Il ajoute toutefois que l’abolition de la taxe de vente sur les produits et services (TPS) pour stimuler la construction d’appartements est nettement insuffisante.

Pas de définition du logement abordable

Le gouvernement ne prévoit pas de limite sur le prix des loyers dans son projet de loi pour abolir la TPS sur la construction de logements locatifs. Il mise plutôt sur l’augmentation de l’offre pour faire baisser les prix. Son projet de loi ne contient donc aucun critère pour définir ce qu’est un logement abordable.

« C’est juste ridicule, insultant même. Sur quelle planète vivent les libéraux ? », a dénoncé le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique, Alexandre Boulerice, lors de la période des questions jeudi.

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a accusé les libéraux de « donner des allégements fiscaux pour des penthouses de 10 millions de dollars », contrairement à son propre projet de loi déposé la veille. Les conservateurs proposent un remboursement complet de la TPS pour les immeubles à appartements locatifs à condition que leur loyer soit inférieur au prix courant.

Dans le projet de loi libéral, les appartements construits pour la location à long terme pourront bénéficier d’un remboursement complet de la taxe de vente sur les produits et services, mais on ne sait pas si ce rabais sera par la suite transféré aux locataires.

« C’est une mesure ciblée pour la construction d’appartements à loyer, s’est défendue la ministre des Finances, Chrystia Freeland, en conférence de presse. Et c’est précisément pour changer un peu le calcul économique que les grands constructeurs vont utiliser en décidant : est-ce que je vais construire des condos de luxe ou est-ce que je vais construire des appartements à loyer ? »

Le ministre du Logement, Sean Fraser, a ajouté que l’augmentation de l’offre de logement aidera le marché à se stabiliser.

« Lorsque l’offre augmente de manière significative, le coût du loyer diminue dans son ensemble », a-t-il dit en citant l’exemple de l’expérience de la Nouvelle-Zélande, de la ville d’Helsinki en Finlande et de celle de Minneapolis aux États-Unis.

Le projet de loi C-56 fait passer le remboursement de la TPS de 36 % à 100 % pour les immeubles dont la mise en chantier a débuté le 14 septembre ou se fera au plus tard le 31 décembre 2030. Leur construction doit être terminée le 31 décembre 2035.

Le coût de cette mesure atteindra 4,6 milliards sur six ans, selon les estimations du ministère des Finances. Les prévisions n’incluent pas la dernière année du programme.