À une certaine époque, on cherchait le yéti, à une autre Memphré. Il y a trois ans, une équipe de la faculté de droit de l’Université McGill a décidé de chercher des preuves d’obsolescence programmée. Devant un lave-vaisselle qui flanche après trois ans, on veut tous croire à cette stratégie diabolique qui fait rouler l’économie en nous appauvrissant.

Mais vous connaissez les universitaires. Ils ne sont pas du genre à se fier au sentiment général pour en arriver à des conclusions. Ils fouillent, décortiquent, analysent, méthodiquement.

C’est ainsi que le professeur Pierre-Emmanuel Moyse et ses acolytes ont analysé 1216⁠ jugements rendus par la Cour des petites créances du Québec sur une décennie⁠1. Toutes ces décisions sont basées sur les articles 37 et 38 de la Loi sur la protection du consommateur (LPC) qui concernent la durabilité raisonnable des biens. Ces articles sont évoqués pour obtenir une compensation ou une réparation gratuite en cas de bris.

Le travail de moine visait à déterminer si les jugements contenaient des « récurrences dans les causes de dysfonctionnement » mentionnées par les consommateurs frustrés. Autrement dit, si l’on constate que des tonnes de réfrigérateurs d’une même marque cessent de fonctionner au même moment et pour la même raison, on aura enfin l’équivalent d’une photo haute résolution du yéti sur sa montagne en plein jour.

Devinez quoi ? L’exercice n’a pas permis « d’inférer un seul cas clair d’obsolescence », car il n’y avait aucune récurrence dans les réclamations des consommateurs.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Pierre-Emmanuel Moyse, professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université McGill

« On est arrivés au point où on sait que c’est impossible à démontrer », expose le professeur de droit. À son avis, l’obsolescence programmée est « une notion galvaudée et incomprise », souvent utilisée dans le sens de vice de fabrication ou de problème de conception.

Le résultat de sa recherche ne l’a pas étonné.

Dans une société capitaliste où les produits de substitution pullulent, ça n’aurait « aucun sens » financièrement de vendre « un produit qui performe moins que ceux de la concurrence, ne serait-ce que pour une question d’image de marque », tranche Pierre-Emmanuel Moyse.

N’empêche, le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, a déposé en juin le projet de loi 29 qui vise notamment à interdire l’obsolescence programmée en apportant des modifications à la LPC⁠2. Si jamais on découvre un cas, on aura les outils pour sévir…

Ça ne veut pas dire que la durée de vie de nos électroménagers modernes est convenable et satisfaisante, remarquez. On a tout à fait le droit d’être scandalisé qu’une cuisinière neuve ait besoin d’une réparation après huit mois. Ce n’est pas normal. Je vous entends déjà penser à celle de vos parents, achetée dans les années 1970.

Le hic, c’est qu’à vouloir toujours payer moins cher, on se retrouve avec des produits moins durables. Mes vieilles factures m’ont rappelé que j’ai payé mon frigo GE de 17,7 pieds cubes, en 2019, la coquette somme de 1250 $. Le même modèle est moins cher aujourd’hui ! En 2001, j’ai déboursé 149 $ pour un micro-ondes Samsung de 0,7 pied cube dont la puissance n’était que de 700 watts. Et un ordinateur portable Compaq Presario m’a coûté 1900 $ l’année suivante.

Notre amour des produits électroniques toujours plus puissants et perfectionnés provoque aussi une désuétude rapide.

Ce qui est essentiel, dans l’état actuel des choses, c’est le droit à la réparabilité. Cela force les manufacturiers à rendre les pièces disponibles. En France, les fabricants de neuf catégories de produits sont même contraints d’afficher sur leurs emballages un indice de réparabilité pour permettre aux consommateurs de faire des choix éclairés⁠3. Le projet de loi 29 prévoit justement un régime punitif envers les entreprises qui ne facilitent pas la réparation.

Il reste à voir comment, dans la vraie vie, le consommateur sera en mesure de faire facilement valoir ses nouveaux droits s’ils se concrétisent.

La bonne nouvelle, c’est que la Cour des petites créances est sympathique aux consommateurs, qui ont gain de cause 70 % du temps, révèle l’analyse de McGill. Mais attention, la somme accordée est « très souvent » dévaluée, car le juge tient compte d’une dépréciation du bien, ce qui n’est pas le cas du consommateur, explique le professeur Moyse. Soyez donc prévenu que le temps joue en votre défaveur.

Le contenu « de la cour à scrap des petites créances », pour reprendre l’expression du professeur Pierre-Emmanuel Moyse, permet aussi d’apprendre que 43 % des causes concernaient une voiture, contre 11 % pour les électroménagers et 10 % pour le mobilier.

Comme la durée de vie normale d’un bien n’est pas inscrite dans la LPC, sachez que les juges se fient essentiellement à leur gros bon sens pour trancher. Pour certains, il est normal qu’une transmission soit remplacée après 100 000 km, pour d’autres, c’est 200 000 km. Le double !

« Dans la plupart des cas, le jugement porte sur une évaluation très approximative des faits à partir des seuls arguments des parties », ont constaté le professeur Pierre-Emmanuel Moyse et ses acolytes. N’hésitez pas à tenter votre chance si votre cause est raisonnable et que le jeu en vaut la chandelle. Sachez aussi que la Cour est plus réceptive si le bris est survenu peu de temps après la fin de la garantie.

Mais il existe une option plus rapide que le tribunal : la plateforme de médiation Parle consommation⁠4. Le délai moyen de résolution des conflits est inférieur à un mois et c’est gratuit. Les entreprises ne sont pas forcées de participer à l’exercice, mais 125 le font.

En attendant la nouvelle mouture de la LPC, la présence d’une entreprise dans la liste des participants à la médiation devrait faire partie des critères de sélection lors d’un achat important.

Que dit la LPC actuellement ?

Article 37 : Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné.

Article 38 : Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.

Consultez l’étude de l’Université McGill

1. Pierre-Emmanuel Moyse est conscient que son échantillon comporte certaines limites. Rares sont ceux qui auront recours aux petites créances pour un bien de faible valeur comme une imprimante à 79 $. La réclamation maximale de 15 000 $ exclut aussi, d’emblée, certains produits. De plus, les preuves soumises par les experts sont rarissimes, sauf dans les cas concernant des véhicules, de sorte que l’information fournie aux juges est souvent lacunaire.

2. Lisez le texte « Québec veut encadrer la durabilité des biens de consommation » 3. Voyez comment fonctionne l’indice de réparabilité en France 4. Apprenez comment utiliser la plateforme Parle consommation Consultez la liste des entreprises participantes