C’est ce mardi que s’amorce le fameux procès des États-Unis contre le géant Google. Le gouvernement américain ne reproche rien de moins à l’entreprise que d’avoir étouffé ses concurrents en abusant de son pouvoir. Des milliards de dollars sont en jeu, et le paysage des recherches sur le web pourrait se transformer au terme de ce procès de 10 semaines. Deux experts nous décortiquent cette poursuite.

Q. Comment Google aurait-il étouffé ses concurrents ?

R. Le gouvernement fédéral et 18 États américains affirment que Google a conclu des ententes d’exclusivité avec trois importants acteurs :

– l’entreprise Apple ;

– des fabricants de téléphones comme Samsung ;

– des fournisseurs de services internet comme AT&T.

« Google exige que son moteur de recherche soit offert par défaut sur les appareils de ces entreprises afin d’empêcher Bing, Yahoo! et DuckDuckGo de percer le marché. En échange, Google leur verse un pourcentage de ses revenus publicitaires », explique MDaniel Martin Bellemare, avocat inscrit au Barreau du Québec et au Barreau du Vermont.

« Au paragraphe 118 de cette poursuite déposée il y a bientôt trois ans, le gouvernement prétend qu’Apple reçoit entre 8 et 12 milliards de dollars. Les fabricants de téléphones reçoivent 1 milliard, selon ce qui est avancé », poursuit-il.

« Le gouvernement américain prétend que ces ententes sont anticoncurrentielles alors que Google, dans sa défense de 42 pages, affirme qu’elles sont proconcurrentielles. C’est LE débat devant le tribunal et ça commence mardi », ajoute l’avocat, qui suit chaque étape judiciaire de cette cause.

Q. Que va-t-il arriver si Google perd le procès ?

R. Dans la poursuite de 58 pages, le gouvernement n’entre pas dans les détails de la peine qu’il entend demander.

La requête ouvre une porte. Les États-Unis se sont gardé la possibilité de demander au juge que Google soit obligé de se départir de certains actifs ou de restructurer le marché pour qu’il soit plus concurrentiel. Ça pourrait aller très loin.

MDaniel Martin Bellemare

« Pour le contrat avec Apple, s’il est déclaré illégal, il tombera », ajoute pour sa part Pierre Larouche, vice-doyen de la faculté de droit de l’Université de Montréal. « Les ordonnances obligeraient Google à cesser de lier par défaut le moteur de recherche aux appareils Apple et autres marques », ajoute ce spécialiste du droit de la concurrence.

De nouveaux acteurs de la recherche en ligne (ou des acteurs moins connus) pourraient donc émerger et réussir à accaparer des parts de marché.

Q. Est-ce la première fois que les États-Unis s’attaquent à un géant comme Google ?

R. La cause qui oppose les États-Unis à Google est le premier procès pour monopole de l’ère moderne de l’internet, selon les grands médias américains.

Mais il y a eu le procès contre Microsoft à la fin des années 1990. « Vous vous souvenez de Netscape, le premier fureteur ? Netscape s’est fait tasser sans ménagement par Microsoft, qui a décidé que Windows, c’était avec Explorer et que ça finissait là », raconte M. Larouche.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le vice-doyen de la faculté de droit de l’Université de Montréal, Pierre Larouche

À l’époque, le gouvernement fédéral a lancé des procédures antitrust contre Microsoft et a remporté sa cause. « Cette affaire a donné le signal que même si c’est dans le merveilleux monde de l’internet, avec toutes sortes de nouvelles innovations, les règles continuent de s’appliquer », explique M. Larouche, qui croit que les États-Unis tentent de lancer le même message à Google.

M. Larouche rappelle aussi le cas « remarquable » d’AT&T, qui a dû se scinder en sept entités à la suite d’une entente à l’amiable avec le gouvernement américain, dans les années 1980. Cette division a eu un impact important sur les prix dans le secteur des télécommunications, et ce, juste avant la montée des téléphones cellulaires.

Q. Le Canada est justement en négociations avec Google en lien avec la Loi sur les nouvelles en ligne qui s’appliquera en décembre. Le procès chez nos voisins du Sud pourrait-il avoir un impact chez nous, au Canada ?

R. Le gouvernement canadien a en effet adopté, en juin, la loi C-18 qui obligera les géants du web à verser une redevance aux médias du pays en échange de leur contenu. Meta a cessé de publier des nouvelles sur ses réseaux sociaux Facebook et Instagram depuis le 1er août. Google a également brandi cette menace, mais ne l’a pas mise à exécution.

Le Bureau de la concurrence « examine » le blocage des nouvelles par Facebook et Instagram.

« Cette plainte [au Bureau de la concurrence], c’est de bonne guerre, c’est la bonne chose à faire, mais ça me surprendrait que ça mène à quelque chose », nuance le professeur Pierre Larouche. « Nos lois ne sont pas tout à fait à jour », soutient-il. Elles ne sont pas toujours bien écrites, elles ont plusieurs exceptions et elles sont difficiles à faire appliquer, ajoute-t-il.

La loi canadienne précise que les agissements anticoncurrentiels doivent être dirigés contre des concurrents. Dans une poursuite, Meta pourrait donc se défendre en disant que les médias ne sont pas des concurrents et que Facebook a même besoin du contenu canadien, donc ne cherche surtout pas à l’éliminer, explique M. Larouche.

« Il faudrait que le droit de la concurrence ne soit pas qu’une question d’éliminer un concurrent, mais aussi une question d’utiliser sa position dominante pour exploiter les parties avec lesquelles l’entreprise fait affaire. Cette idée d’exploitation, elle n’est pas bien solide dans la loi canadienne, alors qu’elle est plus solide en Europe », souligne M. Larouche.