Quelque 56 000 postes de plus à Québec depuis trois ans ; 46 000 à Ottawa. Les gouvernements du Québec et du Canada ont gonflé leurs effectifs davantage que le rythme de l’économie ces dernières années. Et la pandémie n’explique pas tout. Notre chroniqueur Francis Vailles analyse la question.

Nos gouvernements font-ils preuve de modération dans l’embauche de personnel, ou se permettent-ils de « créer » des emplois publics avec les impôts des contribuables ? Et ce faisant, ces embauches sont-elles justifiées ?

Ce sujet, qui revient périodiquement, mérite qu’on s’y penche de nouveau, maintenant que la pandémie est terminée et, avec elle, les grosses dépenses publiques. Pour en faire l’analyse, j’ai épluché le budget des dépenses du gouvernement du Québec et les données du fédéral sur l’emploi provenant du Directeur parlementaire du budget (DPB).

Premier constat : les deux gouvernements sont bien plus gras qu’avant la pandémie en ce qui concerne l’effectif. Et ce surpoids ne vient pas seulement du secteur de la santé.

Au gouvernement fédéral, on compte 428 000 employés cette année (2022-2023), soit presque 46 000 de plus que durant l’année financière précédant la pandémie (2019-2020), ou 12 %. Il s’agit d’emplois en équivalent temps complet (ETC), comme pour l’ensemble du texte.

Vous pourriez argumenter que le gouvernement doit suivre le rythme de l’économie pour maintenir des services adéquats. Or justement, pendant la même période, l’économie canadienne a augmenté de 4 % le nombre de ses emplois, soit trois fois moins que les 12 % du fédéral.

Pour chaque tranche de 1000 emplois au Canada, il y a 24,4 emplois fédéraux en 2022-2023, comparativement à 21,7 en 2014-2015, avant la prise de pouvoir de Justin Trudeau aux mains des conservateurs1.

56 000 postes de plus pour Québec

Constat semblable à Québec. Quelque 578 000 personnes travaillaient pour le gouvernement ou dans son réseau (santé, éducation, etc.) en 2022-2023. Ce niveau représente un bond de 11 % en trois ans (55 600 postes), alors que les emplois de l’ensemble du Québec ont crû de seulement 4 % pendant ce temps.

Notez que le gouvernement du Québec a un effectif plus imposant que celui du fédéral, car c’est lui qui assure les principaux services à la population (santé, éducation, etc.).

Pour chaque tranche de 1000 emplois au Québec, le gouvernement et ses satellites en comptent 144, comparativement à 137 il y a trois ans.

La santé est-elle responsable du bond ? Pas tant. À Québec, les données détaillées disponibles pour l’année 2022-2023 font état d’une hausse de 8 % du personnel infirmier depuis trois ans, ce qui est inférieur à la hausse globale du gouvernement (11 %), mais supérieur à celle de l’économie du Québec (5 %).

Les plus fortes hausses au gouvernement du Québec viennent du personnel professionnel (17 %), du personnel d’encadrement (15 %) et du personnel de bureau (12 %). Le gonflement des postes vient davantage du réseau (11 %), donc des hôpitaux et des écoles notamment, que de la fonction publique à proprement parler (5 %).

Vrai, le secteur public avait subi une cure minceur durant « l’austérité » libérale de 2014-2017, et il y a eu un rattrapage nécessaire, mais cette période est loin derrière. Et sous la CAQ, les données indiquent qu’il y a plus de cadres, de professionnels et de secrétaires, surtout hors de la fonction publique.

Dans son dernier budget, le gouvernement du Québec indique que le poids de ses dépenses a atteint un sommet en 2020-2021 (28,1 % du produit intérieur brut – PIB), avec la pandémie, poids qui est maintenant de 26,5 % du PIB (2022-2023). Ce chiffre reculera à 25,7 % d’ici deux ans, espère le ministère des Finances.

Le Québec conserve tout de même des dépenses au deuxième rang des plus fortes en proportion du PIB des 10 provinces, selon le Panorama des finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Il vient derrière l’Île-du-Prince-Édouard (30,1 % du PIB), mais loin devant les trois autres grandes provinces que sont la Colombie-Britannique (20,3 %), l’Ontario (19,1 %) et l’Alberta (17,2 %)2.

Le réseau de la santé est de loin le principal employeur, suivi de l’éducation et d’Hydro-Québec.

À Ottawa, la pandémie n’explique pas non plus pourquoi l’État compte davantage d’employés qu’avant. Les chiffres détaillés disponibles les plus récents datent de l’an dernier (2021-2022), mais il est tout de même possible de voir la tendance.

Depuis cinq ans, Santé Canada a augmenté le nombre de ses employés de 8 %, soit bien moins que la moyenne des divers ministères (20 %).

Le ministère de l’Immigration, qui doit composer avec une explosion des demandes, vient au sommet des principaux ministères, avec un bond de 50 %. Suivent Emploi et Développement social Canada (49 %), qui a engraissé avec la crise des passeports, et, plus loin, Revenu Canada (29 %).

Ironiquement, c’est au ministère de la Défense nationale que les postes ont le moins augmenté depuis cinq ans (3 %), malgré la guerre en Ukraine. La défense nationale est cependant le plus gros ministère du fédéral en matière d’effectif (91 094 postes).

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le parlement à Ottawa

Je vous fais grâce de l’évolution de chacun des 66 ministères et organismes du fédéral. Je ne peux toutefois m’empêcher de vous dire que le Bureau du conseil privé – ministère du premier ministre Justin Trudeau – a vu son personnel enfler de 25 % depuis cinq ans, à 1180 personnes. Le ministère des Finances est aussi plus gras de 25 % (899 personnes).

Dans son récent budget, la ministre Chrystia Freeland a indiqué son intention de freiner la croissance de son déficit, en réduisant de 3 % ses dépenses d’ici cinq ans, comme celles de ses sociétés d’État.

Par conséquent, le nombre d’emplois équivalent temps complet (ETC) devrait passer de 428 000 actuellement à 400 000 en 2024-2025, dans deux ans, est-il indiqué sur le site du DPB.

Cette baisse projetée laisse le nombre d’ETC bien au-dessus des niveaux prépandémiques (382 000 ETC en 2019-2020), rappelle le DPB. De plus, comme ce fut souvent le cas par le passé, « les plans actuels ne comprennent pas les ETP supplémentaires qui seront probablement créés par suite des nouvelles mesures annoncées par le gouvernement dans le budget de 2023 », écrit le DPB.

Pour assurer un service adéquat à la population, l’État doit avoir un niveau optimal d’employés, niveau qu’il est difficile de définir. Visiblement, il semble y avoir eu un certain laisser-aller ces dernières années, tant à Québec qu’à Ottawa, qu’il faudrait d’autant corriger – de façon ciblée – que nos gouvernements sont en déficit.

1. Le dénominateur est le total des emplois de l’économie mesuré par l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures travaillées (EERH) de Statistique Canada.

2. Le Québec, faut-il préciser, s’est doté d’une brochette plus large de services (universités bon marché, assurance automobile, garderies, etc.), mais on peut se demander si les services courants sont d’aussi bonne qualité qu’ailleurs.