Oui, la pénurie de main-d’œuvre est un élément important dans le débat sur l’immigration, comme la protection de la langue. Mais ultimement, une considération est incontournable : l’immigration ne doit pas nous appauvrir.

Cette exigence minimale paraît évidente, mais elle est souvent occultée dans le débat, certains jugeant que l’immigration est nécessairement source de richesse. Je parle de l’immigration économique, bien sûr, et non de celle à des fins humanitaires, dont les enjeux sont tout autres.

Or, une étude toute récente démontre essentiellement que la hausse de l’immigration depuis 60 ans n’a pas enrichi les Canadiens, étonnamment ; elle a plutôt contribué à diminuer la croissance de notre niveau de vie, tel que mesuré par le PIB par habitant.

Cette étude ne vient pas d’obscurs chercheurs xénophobes, mais de trois éminents titulaires de doctorat (Ph. D.) qui enseignent à l'université en Ontario. Ils suggèrent certains critères de sélection des immigrants pour changer la donne.

L’étude est publiée dans le contexte d’un débat qui fait rage sur le seuil d’immigrants à accueillir, au Québec comme dans l’ensemble du Canada.

L’influent groupe torontois Initiative du siècle, par exemple, milite pour un boom de l’immigration afin de faire croître l’économie, réduire la pénurie et hausser le poids du Canada dans le monde (et donc son influence), entre autres. Leur suggestion : faire passer la population canadienne de 40 millions d’habitants aujourd’hui à 100 millions en 2100, grâce à l’immigration.

Mais qu’en serait-il de notre niveau de vie, bref du produit intérieur brut (PIB) par habitant ? Oui, une croissance de la population, via l’immigration, ferait nécessairement croître le PIB, mais contribuerait-il à nous enrichir réellement ? L’enjeu est important, puisque le financement de nos services publics (santé, éducation, etc.) dépend de cette hausse du PIB par habitant.

Les chercheurs Matthew Doyle et Mikal Skuterud, de l’Université de Waterloo, assistés de Christopher Worswick, de l’Université Carleton, ont fait le tour de la question, dans une étude intitulée The Economics of Canadian Immigration Levels.

Ils ont mesuré la contribution de l’immigration à la croissance du PIB par habitant au Canada entre 1961 et 2019.

Selon leurs conclusions, les données ne permettent pas d’inférer que des taux d’immigration plus élevés stimulent la croissance du PIB par habitant, du moins à court terme. Et même, leurs résultats pointent plutôt vers une baisse du taux de croissance du PIB par habitant, bref vers un appauvrissement relatif.

En 2017, le gouvernement fédéral, conseillé par la firme McKinsey, a entrepris de hausser le taux d’immigration pour le faire passer de 0,83 % de la population totale à 0,91 % en 2019, puis, selon une décision récente, à 1,24 % en 2025. L’objectif : faire croître l’économie, combler la rareté de main-d’œuvre et contrer le vieillissement de la population.

En valeur absolue, le nombre d’immigrants annuels permanents passerait de quelque 287 000 en 2017 à 500 000 en 2025. Le taux de 1,24 % d’immigrants en 2025 serait le plus élevé au Canada depuis 1928, il y a près de 100 ans, ce qui soulève bien des questions, notamment au Québec, où l’objectif est bien moins grand.

Or selon l’étude, une croissance du taux d’immigration de 0,1 point de pourcentage – par exemple de 0,8 % à 0,9 % de la population – est susceptible de faire reculer le taux de croissance du PIB par habitant de 0,2 point de pourcentage, par exemple de 1 % à 0,8 %. L’impact est important⁠1.

Des universitaires surqualifiés

Depuis plusieurs années, le Canada choisit ses immigrants selon une grille d’évaluation qui met notamment l’accent sur leur niveau de scolarité, notamment postsecondaire. Le postulat, c’est que leur formation trouvera preneur sur le marché du travail et leur procurera d’intéressants revenus.

Les résultats de cette politique ont été mitigés, nombre d’immigrants étant surqualifiés pour les postes qui leur ont été offerts, ce qui pourrait expliquer l’impact nul ou négatif sur la croissance du PIB par habitant.

Les chercheurs proposent plutôt de miser sur les expectatives de revenus des immigrants sélectionnés. Ils suggèrent de miser sur les immigrants économiques dont les revenus espérés seront éventuellement plus grands que la moyenne canadienne.

Pour démontrer l’impact de cette méthode, ils refont une sélection hypothétique d’immigrants parmi la cohorte de 2005 en se basant sur des critères, connus à l’époque, de revenus espérés des immigrants choisis. Parmi ces critères figurent l’âge, le niveau d’éducation et le domaine de formation (affaires, sciences sociales, santé, éducation, informatique, arts, génie, etc.).

En comparant les revenus réellement obtenus 10 ans plus tard pour ce groupe, soit en 2015, ils constatent que leur sélection aurait permis d’augmenter considérablement la proportion d’immigrants gagnant davantage que la moyenne canadienne.

Plus précisément, leur sélection aurait eu pour effet de faire croître les revenus moyens des immigrants de 20 % chez les hommes et de 25 % chez les femmes. En revanche, elle ferait chuter le nombre d’immigrants choisis de quelque 50 % !

« Notre analyse des revenus des immigrants à l’aide des données du recensement suggère que l’immigration économique de 2005 n’était pas conforme à l’objectif de maximisation du PIB par habitant », écrivent les auteurs.

Ils jugent qu’avec un meilleur modèle de prédiction des revenus éventuels, le nombre d’immigrants retranchés serait bien moindre que les 50 % obtenus théoriquement. À cet égard, ils font valoir que l’immigration temporaire – aujourd’hui très grande – fournit aux décideurs des renseignements plus riches pour prédire les revenus futurs.

L’étude va dans le sens des propos chocs tenus par François Legault en 2021. Le premier ministre du Québec avait alors déclaré vouloir miser essentiellement sur des immigrants qui gagnent davantage que la moyenne québécoise, choquant à la fois le Conseil du patronat (CPQ) et le parti de gauche Québec solidaire (QS).

Le CPQ demande de pourvoir même les postes moins payés, essentiellement, et QS estime que la discrimination mine les revenus des immigrants⁠2.

La nouvelle politique d’immigration du Québec, déposée fin mai, semble aller dans le sens des constats de l’étude. Elle favorise les immigrants recherchés par le marché pour leurs compétences pointues, mieux payés, plutôt qu’uniquement pour leurs diplômes universitaires.

Ce que j’en pense ? L’étude est intéressante et s’ajoute à d’autres qui doutent de l’apport automatique de l’immigration sur notre niveau de vie.

Elle ne mesure toutefois pas l’impact à long terme de l’immigration. Par exemple, des données de Statistique Canada ont révélé que les enfants des immigrants finissent par gagner significativement plus que les natifs du Canada à l’âge adulte.

D’autres analyses font aussi état du fort taux entrepreneurial des immigrants, créateurs de richesse à plus long terme.

Enfin, l’étude postule en quelque sorte que le marché corrigera de lui-même la pénurie de certains postes moins payés, mais essentiels (éducatrice, préposé aux bénéficiaires, etc.), grâce à une pression à la hausse sur les salaires, mais cette correction prend beaucoup de temps.

L’étude n’a pas encore été révisée par des pairs, elle sera possiblement contredite par d’autres études, mais elle est assurément à lire et à méditer⁠3.

1. Pour ce résultat, le seuil de signification n’est que de 10 %, mais pour la période 1979-2019, le même genre de résultats est significatif à 1 %. Le chercheur Christopher Worswick, lors d’un entretien, insiste surtout sur l’absence d’effet positif de la croissance de l’immigration sur le PIB par habitant, ce qui est étonnant en soi.

2. Lisez la chronique « L’immigration payante de François Legault » 3. Consultez l’étude The Economics of Canadian Immigration Levels (en anglais)