On ne peut rien tenir pour acquis dans le monde des affaires. Même après 20 ans d’activité, alors qu’on a été un précurseur dans son industrie, qu’on a gagné de nombreux prix et qu’on vend un produit de qualité. La faillite de Chocolats Geneviève Grandbois en est un exemple bien malheureux.

Avec ses petits chocolats carrés au design blanc distinctif, l’entrepreneure a su éduquer les papilles gustatives des Québécois à des saveurs plus complexes, originales et moins sucrées.

Geneviève Grandbois est aussi devenue une source d’inspiration, dans son milieu, à une époque où les chocolateries haut de gamme étaient encore rares dans la région de Montréal. Son influence est indéniable, reconnaissent ses pairs. Elle a même réussi à tailler sa place dans l’univers des cadeaux d’entreprise, avec ses boîtes en métal ornées de son nom et de son logo indémodable. Ses créations étaient, encore le mois dernier, vendues aux hôtels du Groupe Germain et au Château Frontenac.

Alors quand une femme comme elle déclare forfait, « c’est dur sur le moral. C’est terrible », m’a dit le chocolatier David Landman, propriétaire de la boutique Kao Chocolat, à L’Anse-Saint-Jean, au Saguenay. La nouvelle de la faillite lui a donné « des frissons ». Mais en même temps, il n’a pu s’empêcher de me dire avec fougue à quel point c’était difficile de se battre contre les chocolats industriels, très sucrés et peu coûteux.

Faire de bons chocolats exige énormément de travail, de précision, d’expérience et de temps. C’est un art et une science, surtout. Alors quand le coût des matières premières augmente de façon « délirante », soit d’environ 30 ou 35 % en moyenne depuis un an, selon David Landman, exploiter une chocolaterie relève de l’exploit.

Il faut vendre beaucoup de chocolats à deux dollars pièce pour payer le loyer et les salaires…

Sauf que dans le cas de Geneviève Grandbois, la concurrence des barres Mars, le prix de la crème et les hausses de salaire n’ont rien à voir avec cette fin brutale.

Comme le rapporte mon collègue Denis Arcand, un litige entre Grandbois Chocolats et un couple qui devait en devenir coactionnaire aurait envenimé une situation déjà précaire. L’affaire, qui aurait provoqué le départ de tous les employés clés, se transportera devant les tribunaux puisque l’entrepreneure est poursuivie pour 258 000 $.

Il faut dire que la chocolaterie était déjà fragilisée par l’état de santé de sa fondatrice depuis un grave accident de voiture survenu au Costa Rica en 2015. « J’ai été invalide pendant presque cinq ans, m’a raconté la femme de 48 ans au téléphone. Quand on n’est pas bien, on ne peut pas le dire à ses employés ni au banquier, sinon on inquiéterait tout le monde. »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Geneviève Grandbois

Alors âgée de 40 ans, Geneviève Grandbois cherche ses mots, n’arrive plus à parler espagnol, ne peut plus passer plus de cinq minutes consécutives devant un écran « pendant trois ou quatre ans ». Elle doit donc imprimer tous ses courriels. Tout cela à cause d’une commotion cérébrale qui l’a laissée avec des migraines quotidiennes et des séquelles qui s’avéreront permanentes. À un si jeune âge, l’entrepreneure n’a pas de plan de relève. Elle décide de vendre sa plantation de cacaoyers du Costa Rica.

Elle s’entoure alors du mieux qu’elle peut pour maintenir le cap et servir ses clients. Mais son état de santé ne lui permet plus d’être aussi créative, ce qui était sa force, bien plus que la gestion, admet-elle. Pendant ce temps, la concurrence s’est développée et lui a volé des parts de marché. La pandémie a ensuite frappé fort, avec la fermeture forcée des commerces et des hôtels (Château Frontenac, Groupe Germain), qui n’accueillaient plus beaucoup de clients.

La pression toujours grandissante des réseaux sociaux n’a sûrement pas aidé. Geneviève Grandbois admet qu’elle ne les « maîtrise pas du tout » et qu’elle ne s’est « pas démarquée là-dessus ».

Or, à l’ère d’Instagram, il faut sortir de sa cuisine pour réussir ! Il faut mettre beaucoup de temps sur les réseaux sociaux pour garder sa marque vivante, pour la renouveler et créer un dialogue avec les consommateurs, constate le chef et consultant Danny St Pierre.

« Si ta marque ne s’exprime pas virtuellement, si tu n’es pas présent dans les médias sociaux pour appâter les gens avec des nouveautés, plaide-t-il, les gens vont aller chez ton voisin qui est plus dynamique, c’est clair. » Les clients ont soif de découvertes, ils sont de moins en moins fidèles et veulent pouvoir acheter en ligne facilement, en trois clics tout au plus. C’est aussi vrai dans les restaurants que dans les boutiques qui vendent des souliers ou des chocolats fins.

Onze jours après avoir déclaré faillite, Geneviève Grandbois fait le deuil de l’entreprise qu’elle a fondée en 2002 et qui a déjà compté 40 employés. Elle essaie d’accepter ce qui arrive, même si c’est « déroutant ». Elle prévoit donner des conférences, une activité qu’elle apprécie particulièrement.

« Le chocolat est toujours là. Je ne sais pas quelle forme ça va prendre, mais j’espère trouver un chemin pour pouvoir recommuniquer en chocolat », conclut-elle. Ce pourrait être de petits carrés.