Même si les données officielles disent que le Canada n’est pas en récession, 53 % de la population a le sentiment d’être plongée dedans. Cet état d’esprit modifie les comportements d’achat au point d’avoir provoqué une « récession de consommateurs » qui inquiète l’industrie alimentaire. Mais tout n’est pas gris, car on est peut-être en train d’adopter quelques bonnes habitudes.

L’expression « récession de consommateurs » a été inventée par la firme de recherche NielsenIQ (maintenant NIQ) qui analyse les achats faits partout dans le monde. Elle évoque ce moment où la population cherche davantage les soldes, se tourne vers les marques maison, préfère les épiceries à bas prix et cesse carrément d’acheter certains aliments à cause de leur prix. Tout ça dans un contexte d’inflation soutenue.

C’est exactement ce qui se produit chez nous à l’heure actuelle. Et les divers indicateurs qui permettent de déterminer l’ampleur du phénomène ont augmenté par rapport à la fin de 2022. Son « niveau » est désormais de 77 % (+ 4 points en trois mois). NIQ considère qu’il y a une « récession de consommateurs » lorsque la barre des 50 % est franchie.

« Au lieu d’acheter des poitrines de poulet, les consommateurs choisissent des pilons et ils achètent moins de fromages fins », donne en exemple Francis Parisien, vice-président principal des ventes pour les PME au Canada chez NIQ.

Il ne serait pas étonnant que la tendance se poursuive, car de toute évidence, nous ne sommes pas sortis du bois en ce qui concerne l’inflation. Après l’accalmie des derniers mois, voilà que l’indice des prix à la consommation est reparti à la hausse, en avril. Au Québec, les prix ont bondi de 4,8 % par rapport à l’an dernier.

Dans les supermarchés, c’est bien pire, la hausse atteint 9,1 %. Pas étonnant que 56 % des Canadiens se disent préoccupés par le prix des aliments, selon NIQ. En comparaison, le taux était de 47 %, l’été dernier.

Concrètement, cette préoccupation se traduit par une baisse de 2 % du nombre d’articles mis dans les paniers d’épicerie, au pays. Au Québec, un groupe de 5000 personnes qui transmet le détail de tous ses achats à NIQ a révélé une baisse de volume de 6 %.

En 20 ans de carrière, c’est la première fois que Francis Parisien observe un recul du nombre d’articles vendus. C’est d’autant plus étonnant que la population du pays croît constamment.

Les conserves écopent particulièrement, bien qu’elles aient toujours eu la réputation d’être économiques.

Le volume de vente du poisson en boîte a reculé de 14 % au Québec. Les fèves au lard (- 8 %), les sauces en tous genres (- 4 %), les tomates (- 3 %) et les soupes (- 3 %) ont connu un sort similaire depuis un an.

Historiquement, on se tournait vers cette catégorie pour épargner, mais là, c’est tout le contraire qui se produit. Ce phénomène inédit s’explique par l’augmentation du prix des contenants – fabriqués en acier, parfois en aluminium – qui s’est répercutée sur les prix de détail en épicerie. La tendance est observée partout dans le monde.

Au Québec, les données révèlent aussi qu’on achète moins de fruits et légumes (- 5 %), moins de viande et de fruits de mer (- 7 %), moins de produits de boulangerie (- 7 %).

« On a 49 % des consommateurs qui disent acheter seulement l’essentiel, la base », a précisé Francis Parisien lors d’un évènement du CTAQ en donnant l’exemple du lait, des œufs, du café et du pain.

En matière de finances personnelles, cette baisse de volume est franchement intéressante. Car elle explique en partie pourquoi les dépenses mensuelles des ménages dans les épiceries n’ont à peu près pas bougé depuis deux ans, malgré l’inflation et l’accroissement de la population de 1,5 million de personnes. Il se vend environ 12 milliards de dollars de nourriture par mois par les détaillants, et ce, depuis deux ans.

Cette étonnante stagnation des ventes n’a pas échappé au professeur Sylvain Charlebois, de l’Université Dalhousie. Statistique Canada ne fournit pas d’explications, mais l’expert du secteur alimentaire croit que les ménages gaspillent moins de nourriture. Pour éviter de jeter, ils sont devenus meilleurs pour gérer les stocks dans leur frigo. Une hypothèse des plus logiques étant donné que le gaspillage est moindre dans les pays où la nourriture coûte cher. Si tel est le cas, c’est évidemment une excellente nouvelle pour la planète et le budget des ménages.

Choisir les marques maison et les supermarchés à bas prix comme Maxi et Super C et diminuer les réserves dans le garde-manger sont trois autres stratégies qui semblent contribuer à la stagnation des ventes.

Puisqu’on se concentre sur l’essentiel, on réduit aussi les achats d’aliments transformés (biscuits, croustilles, chocolats, boissons gazeuses) par des multinationales comme Nestlé et PepsiCo, révèlent leurs plus récents états financiers. Les nutritionnistes ne s’en plaindraient pas (à moins qu’un substitut de marque privée ait été choisi). Notre portefeuille non plus.

Bien sûr, l’inflation provoque aussi une série de problèmes, comme le recours accru aux banques alimentaires et de nombreux compromis nutritionnels puisque les aliments de qualité coûtent plus cher. Si l’inflation alimentaire perdure, elle pourrait même avoir des effets à long terme sur la santé des individus, en particulier celle des enfants, craint Sylvain Charlebois.

Croisons donc les doigts pour qu’une véritable récession ne vienne pas accroître les défis de ces ménages déjà frappés de plein fouet par la situation économique.