Avec l’incertitude économique qui rôde, le Québec parviendra-t-il à respecter la cible de déficit qu’il s’était fixée ? Le budget de mardi du gouvernement Legault sera-t-il écrit avec une encre plus rouge que prévu ?

La question n’est pas banale, sachant que c’est sur la santé de nos finances publiques que reposent, ultimement, l’amélioration de nos services publics, la baisse de notre endettement relatif et la viabilité d’une baisse d’impôt.

Ces derniers mois, le marché de l’emploi est demeuré solide et la progression de l’inflation a ralenti. En revanche, les hausses successives de taux d’intérêt n’ont pas encore pleinement fait sentir leur effet et on ne sait pas encore l’impact qu’auront les récentes secousses des secteurs bancaires américain et suisse. Une récession est en vue.

Au début du mois de décembre, dans sa mise à jour, le ministre des Finances, Eric Girard, prévoyait un déficit de 2 milliards pour le Québec pour l’année en cours (2022-2023), ou de 4,8 milliards si l’on soustrait les versements au Fonds des générations. Il s’agissait d’un recul appréciable du déficit par rapport aux projections du budget de mars 2022, qui tablaient sur un déficit de 6,5 milliards.

Cette amélioration a semblé se poursuivre dernièrement, si l’on se fie aux plus récents chiffres publiés dans le rapport mensuel de février, il y a moins d’un mois. Tant et si bien qu’on pouvait espérer un déficit avoisinant les 4 milliards pour l’année en cours, peut-être moins.

Le ministre continuait tout de même de tabler sur les 4,8 milliards annoncés en décembre, vu les sorties de fonds pour son bouclier anti-inflation (les chèques de 400 $ à 600 $), entre autres.

Avait-il raison d’être si prudent ? Ailleurs au Canada, en tout cas, les trois provinces qui ont récemment présenté leur budget ont toutes annoncé, pour l’année en cours, un solde budgétaire inférieur à ce qu’elles prévoyaient l’automne dernier, lors de leur mise à jour.

Il faut dire qu’elles ont, elles aussi, aidé les consommateurs à couvrir l’inflation, entre autres.

En Alberta et en Colombie-Britannique, par exemple, ce sont d’importants surplus de 10,3 et 3,6 milliards qui clôtureront l’année 2022-2023, mais ils sont chacun en baisse de quelque 2 milliards par rapport à ce qui était attendu en novembre.

Mardi, cela dit, c’est plutôt le déficit de 2023-2024 qui sera mis de l’avant dans tous les médias, soit pour l’année qui débute le 1er avril. Dans la mise à jour de début décembre, Eric Girard estimait que ce déficit chuterait à 2,3 milliards, bien moins que les 4,8 milliards de l’année en cours.

Cette nouvelle embellie n’incorpore toutefois pas les baisses d’impôt promises par François Legault en campagne électorale, estimées à 1,8 milliard. Paradoxalement, ces baisses d’impôt ne changeront rien au déficit officiel, en pratique, puisqu’elles seront financées par une réduction des versements au Fonds des générations du même ordre, autrement dit par l’endettement.

Bref, c’est le chiffre de 2,3 milliards de déficit pour 2023-2024 qui devrait être attendu mardi, en supposant que l’économie soit stable. Le hic, c’est que la situation n’est pas stable.

En novembre, par exemple, la Banque Nationale (BN) prévoyait une croissance du PIB réel au Québec de 0,7 % en 2023, ce qui aurait probablement permis d’éviter une récession. Or, la semaine dernière, les économistes de la BN ont révisé ce taux à 0,4 %. Oups…

Du côté de Desjardins, la prévision n’a pas changé pour 2023, mais le taux est négatif, à - 0,2 %, ce qui signifie qu’il y aurait une décroissance de l’économie. Ces nouveaux taux sont passablement plus bas que celui inscrit par Eric Girard dans sa mise à jour de décembre, à 0,7 % pour 2023.

Plus encore, les deux institutions jugent que les hausses de taux d’intérêt de la Banque du Canada auront un impact plus marqué que prévu en 2024 au Québec, avec une progression seulement modeste du PIB.

En Alberta et en Colombie-Britannique, justement, les soldes budgétaires ont été passablement dégonflés pour 2023-2024. Le surplus sera de 8 milliards de moins que prévu en Alberta et le renversement sera semblable en Colombie-Britannique, qui passera du surplus prévu de 3,6 milliards pour 2023-2024 à un déficit de 4,2 milliards. Vrai, elles ont annoncé un train de mesures, mais le changement est marquant.

Il reste une inconnue, l’inflation. Les nouvelles sont cependant plutôt bonnes de ce côté.

En janvier, le taux d’inflation canadien était de 5,9 %. Or, selon bien des économistes, dont ceux du Mouvement Desjardins, le taux pourrait reculer jusqu’à 2,2 % au quatrième trimestre de 2023, ce qui tomberait dans la fourchette de 1 % à 3 % exigée par la Banque du Canada.

Les prix ne baisseront pas, attention, mais leur niveau de hausse permettrait à la Banque de réduire son taux directeur, petit à petit, au grand soulagement des acheteurs de maisons, notamment.

Pourquoi si bas ? Surtout pour une raison technique. Le taux d'inflation mensuel est toujours comparé au même mois de l’année précédente. Or, dès le mois d’avril 2023, la base de comparaison (avril 2022) sera nettement plus haute, et la croissance annoncée sera donc nettement plus faible. Après mars 2022, les prix avaient subitement grimpé avec l’invasion de l’Ukraine, notamment.

D’ailleurs, depuis sept mois, les prix grimpent au rythme annuel d’environ 3 % – et non de 5,9 % – et c’est ce taux qui devrait être annoncé en avril sinon en mai 2023. Le ralentissement économique devrait faire le reste du travail vers un taux de 2,2 % au quatrième trimestre.

L’effet sur les finances publiques sera conséquent, surtout si le taux directeur suit rapidement à la baisse. Espérons que les banques fragiles et la confiance de leurs clients tiendront le coup jusque-là, mais au pire, ce contexte pourrait accélérer l’éventuelle baisse des taux directeurs américains et canadiens.