L’Europe a évité la catastrophe et la Chine s’est remise en marche. La lutte contre l’inflation commence lentement à porter ses fruits, mais la faillite de Silicon Valley Bank accroît les risques de récession aux États-Unis. Le paysage économique s’est transformé considérablement depuis le début de l’année, ce qui force les économistes à revoir leurs prévisions.

Trois d’entre eux ont remis les pendules à l’heure, mardi, à l’invitation du Cercle finance du Québec.

Ça devait être la récession la plus anticipée de tous les temps, a rappelé Sébastien McMahon, économiste en chef d’IA, qui menait la discussion avec deux invités, Matthieu Arseneau, de la Banque Nationale, et Jimmy Jean, de Desjardins.

Force est de constater que l’économie s’est avérée plus résiliente que ce qu’on prévoyait face à la hausse rapide des taux d’intérêt, a-t-il noté.

La faillite de Silicon Valley Bank (SVB), qui est une conséquence de ce resserrement monétaire rapide, vient brouiller les cartes et rend la tâche de la Réserve fédérale (Fed) encore plus délicate, selon lui.

Une hausse nécessaire

L’inflation a ralenti en février aux États-Unis, de 6,4 % à 6,0 % en rythme annuel, ce qui reste trop élevé pour la banque centrale américaine, qui a déjà fait connaître son intention d’augmenter encore son taux directeur de façon énergique. L’onde de choc provoquée par la faillite de SVB sur les marchés financiers fera-t-elle reculer la Fed ?

Il ne faudrait pas, estime Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins.

Si la Réserve fédérale décidait de ne pas augmenter comme prévu son taux directeur la semaine prochaine, ça pourrait donner un mauvais signal et rendre les marchés encore plus inquiets.

C’est aussi l’avis de Matthieu Arseneau, chef économiste adjoint de la Banque Nationale, qui souligne que les mesures prises par le gouvernement américain à la suite de la déconfiture de SVB ont été « très robustes et très crédibles », et devraient suffire à limiter les dégâts sur l’économie dans son ensemble.

La Réserve fédérale pourrait toutefois jouer de prudence et augmenter son taux de 25 points de base seulement, et non de 50 points comme il en était question il y a à peine quelques jours.

L’inflation revient sur terre

Au Canada, les signes de ralentissement de l’inflation sont plus évidents. Selon Jimmy Jean, le taux d’inflation devrait être revenu dans la fourchette cible de 1 à 3 % de la Banque du Canada à la fin de cette année.

Le coût du transport international est en baisse constante, ce qui devrait se répercuter sur le prix de la plupart des biens. Selon l’indice Freightos sur le transport par conteneurs, le coût du transport entre l’Asie et la côte est américaine a baissé de 88 % depuis un an.

Même la hausse du prix des aliments aura bientôt une fin, dit l’économiste de Desjardins, puisque le prix des fertilisants, qui a beaucoup contribué à l’inflation alimentaire, est en forte baisse.

« On a tourné la page », a-t-il dit, même s’il faudra quelques mois avant d’en voir l’impact à l’épicerie.

Le taux d’inflation est déjà sous la cible de la Banque du Canada, souligne de son côté Matthieu Arseneau. « Sans les aliments, l’énergie et le coût des hypothèques, l’inflation est à 1,8 % », observe-t-il.

Une récession décalée

Les économies canadienne et québécoise tiennent la route jusqu’à maintenant, mais peut-être plus pour longtemps.

Le scénario économique de la Banque Nationale a été révisé à la baisse et prévoit maintenant quelques trimestres négatifs, et celui de Desjardins, qui incorporait déjà une légère récession, la décale vers la fin de 2023 et peut-être en 2024.

L’économie canadienne est encore plus vulnérable à la hausse des taux d’intérêt que l’économie américaine, souligne Matthieu Arseneau.

Les taux d’intérêt actuels sont au même niveau qu’en 2007, quand les ménages étaient 45 % moins endettés, dit-il.

Le secteur de la construction et de l’immobilier, très sensible aux hausses des taux d’intérêt, occupe une plus grande place dans l’ensemble de l’économie et il y a plus d’hypothèques à taux variable et à court terme qu’aux États-Unis, où les termes de 30 ans sont répandus, note aussi Jimmy Jean.

Même si l’économie canadienne a commencé l’année du bon pied, notamment sur le marché de l’emploi, la baisse des profits des entreprises et la faiblesse de l’investissement vont finir par avoir un impact à la hausse sur le taux de chômage et à la baisse sur l’économie.

Jusqu’à maintenant, le nombre de prêts en souffrance reste stable, tant du côté des ménages que des entreprises, mais ça peut changer rapidement, estiment les deux économistes invités.

Ni un ni l’autre ne croit toutefois au scénario apocalyptique mis de l’avant récemment par le réputé stratège François Trahan, qui croit que le pire est à venir sur le plan de l’inflation comme du ralentissement économique. « Je vois mal comment l’inflation peut se remettre à accélérer dans une économie mondiale moribonde », estime Matthieu Arseneau.