C’est un dossier de faillite comme il en survient au Québec une fois tous les 10 ans. Une affaire exceptionnelle qui a privé une centaine de familles de sommes énormes, souvent dans les six chiffres.

Je fais bien sûr référence à la débandade de Bel-Habitat, cette entreprise de Luc Perrier qui construisait des maisons à Laval. Un vrai scénario de film. La scène la plus récente s’est écrite dans les dernières heures.

Le modèle d’affaires de Bel-Habitat, rappelez-vous, était basé sur le versement d’importants dépôts, en échange de rabais. Ce que l’entreprise omettait de dire, c’est que les dépôts sont garantis par le plan administré par l’organisme GCR (Garantie de construction résidentielle) jusqu’à concurrence de 50 000 $. Évidemment, tous ceux qui ont versé 150 000 $, 400 000 $ et même plus l’ignoraient.

L’existence même de GCR était fort peu connue lorsque le scandale a éclaté, à l’été 2021. La débâcle de Bel-Habitat aura au moins eu l’avantage de faire parler de cet organisme qui avait été beaucoup trop timide, jusque-là, dans ses communications avec le grand public. Sa mission est pourtant de le protéger.

Dès le début de son mandat, le syndic Jean Gagnon, de Raymond Chabot Grant Thornton, avait évoqué un possible stratagème à la Ponzi. Ce qui, en soi, plaçait cette affaire de 40 millions dans une classe à part.

Jeudi soir, une seconde assemblée de créanciers a été tenue pour communiquer les résultats de l’enquête du syndic.

J’ai exceptionnellement obtenu la permission d’assister à la rencontre, elle-même exceptionnelle. Car il n’est pas d’usage de tenir deux assemblées du genre. Mais on a rarement vu pareil dossier qui touche des consommateurs et les prive non pas d’un acompte de 500 $ sur un sofa, mais bien des économies d’une vie, dans certains cas.

D’entrée de jeu, il a été question de Luc Perrier, le protagoniste de l’histoire. Est-il parti vivre sur une île des Caraïbes avec des millions de dollars en poche ?

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Luc Perrier, de Bel-Habitat, au palais de justice de Montréal

« Luc Perrier n’est pas là. On n’a plus de communication avec lui depuis longtemps. Il est disparu. On n’a plus de contact avec lui depuis un bout de temps », a dit Jean Gagnon. Une avocate a raconté avoir mandaté des enquêteurs pour le retrouver, car ses clients lui ont prêté de l’argent. Elle a fini par apprendre que l’homme serait à l’extérieur du Québec, sans plus.

Jean Gagnon ne sait pas où se trouve Luc Perrier, mais il a déclaré avec assurance qu’il était « impossible que l’argent soit sorti à l’extérieur du pays ». Une quinzaine de personnes de son entourage ont été interrogées et aucune d’elle n’a même évoqué la possibilité qu’il se la coule douce à l’étranger.

On a retracé tous vos dépôts, toutes les sorties des comptes de banque par chèque et il n’y a pas eu d’argent qui est allé ailleurs. C’est allé aux sous-traitants, à des prêteurs, à la Ville de Laval, au gouvernement. L’argent a été mal dépensé.

Jean Gagnon, syndic de Raymond Chabot Grant Thornton

Les dépôts ont même servi à investir dans une entreprise de produits pour les pare-brise.

Cela ne veut pas dire que la comptabilité était parfaite. Oh non ! Les profits étaient tellement gonflés que Bel-Habitat a payé 3,3 millions de dollars d’impôts en trop ! Le syndic d’expérience n’avait jamais vu ça de sa vie. Des négociations sont en cours avec Québec et Ottawa pour récupérer la somme. De plus, le CPA qui préparait les états financiers, Sylvain Petitclerc, a raconté lors d’un interrogatoire qu’il inscrivait les dépôts « en diminution des travaux en cours », de sorte qu’ils n’étaient visibles nulle part.

En clair, les dépôts servaient à construire d’autres maisons. Le système a bien fonctionné quelques années, parce que le nombre de clients augmentait. En 2021, la tendance s’est toutefois renversée, si bien que l’entreprise a manqué de liquidités.

« Aura-t-il un dossier criminel ? Est-ce qu’il pourrait partir une autre entreprise ? », a demandé une victime. Jean Gagnon ne croit pas que la police portera des accusations contre l’homme, puisque l’enquête piétine.

En théorie, Perrier pourrait donc reprendre ses activités professionnelles. Dans le domaine de la construction, ce serait quand même difficile d’obtenir des permis au Québec. Mais ailleurs au pays…

Georgia Papadakis, qui a perdu près d’un quart de million, ne décolère pas. « Je ne comprends pas pourquoi il est libre et pas en prison après avoir pris tant d’argent », m’a-t-elle dit au téléphone. Luc Perrier avait construit tout un quartier et elle n’avait eu que de bons commentaires à son endroit. Desjardins, qui lui a fait le chèque certifié destiné à Bel-Habitat, l’a rassurée. « Ils le connaissaient et ils m’ont dit que c’était une personne digne de confiance. »

Aujourd’hui, Georgia Papadakis se demande en qui avoir confiance et, surtout, qui veille à protéger les consommateurs. Des questionnements partagés par une autre victime, qui ne souhaite plus voir son nom dans les médias. L’homme, un immigrant, se demande comment ses enfants pourront un jour faire confiance aux lois du Canada. « Ce n’est pas un pays du tiers-monde. Mais nous avons été laissés à nous-mêmes », déplore-t-il, encore très ébranlé. Aucune journée ne passe sans qu’il pense à ses 150 000 $ envolés. « Vous faites des sacrifices toute votre vie et une personne peut tout ruiner en une seconde… »

Toute cette histoire rappelle l’importance de toujours être sur ses gardes et d’une grande vigilance.

« Malheureusement, les gens oublient les dossiers passés. On a eu Norbourg, Mount Real… Ce n’est pas pareil, mais dans tous ces cas, il y a des consommateurs qui ont été floués. Les gens sont mal informés. Il manque d’éducation. Les gens vont faire attention pendant un certain temps et après, il va y avoir un autre cas », déplore le syndic Jean Gagnon.

Espérons qu’il a tort et que l’affaire Bel-Habitat sera la dernière du genre.