Après les disquettes, les cassettes et les pagettes, l’argent comptant est sur le point de devenir un objet de curiosité pour les enfants, tellement ils n’ont plus l’occasion d’en voir. Dans les supermarchés, seulement 5 % des Québécois paient comptant.

Et même pour les transactions de moins de 15 $, dans les dépanneurs ou les cafés, seulement un tiers des achats est effectué en espèces, selon les plus récentes données de la Banque du Canada dévoilées en décembre.

La transition vers les paiements par carte s’est faite aussi rapidement que silencieusement depuis le début de la pandémie. Notre crainte collective de contracter la COVID-19 en touchant un billet de 20 $ avait encouragé des commerces à ne plus accepter l’argent comptant, forçant tout le monde à s’adapter. Il n’en fallait pas plus pour que la mode des gros portefeuilles remplis d’espèces s’évapore. On dirait qu’on s’est réveillé un matin et que l’argent comptant n’était plus nécessaire.

Tout à coup, la honte ou la réticence à s’acheter un paquet de gomme avec une carte n’existait plus.

Aujourd’hui, au Canada, 22 % des achats sont payés avec de l’argent comptant.

Cela se compare à 33 % en 2017 et à 54 % en 2009. Le déclin des espèces s’est clairement accéléré ces dernières années. Mais on est encore loin de certains pays comme la Suède, où 8 % des achats sont conclus avec du comptant.

Dans les supermarchés, les cartes de crédit et de débit ont clairement la faveur des consommateurs. Mais l’idée d’en arriver à une économie sans argent comptant inquiète, constate l’Université Dalhousie, qui dévoile ce jeudi une étude sur le sujet.

D’abord, 60 % des Canadiens croient que cela serait « discriminatoire » à l’égard des personnes qui n’ont pas accès à des modes de paiement électronique. Dans les provinces atlantiques, la proportion grimpe à 72 %. Au Québec, elle s’établit à 62 %.

On l’oublie, mais ce n’est pas tout le monde qui possède un compte de banque. En se basant sur des données de la firme Mintel, l’Université Dalhousie rapporte que c’était le cas d’environ 6 % des ménages canadiens, soit 1,5 million de foyers, en 2022. Ces personnes ne peuvent pas cesser de se nourrir parce qu’elles n’ont pas de carte de crédit ou de débit. Des villes américaines et des États ont d’ailleurs légiféré pour forcer les commerces à accepter les espèces pour cette raison.

Pour le moment, aucune loi du genre n’existe au Canada, mais il faudra réfléchir à cette question un jour.

Le sujet avait brièvement été abordé à l’automne 2019, lorsque Décathlon et Time Out Market ont ouvert leurs portes au Centre Eaton, à Montréal. Les deux enseignes avaient annoncé qu’elles n’accepteraient pas l’argent comptant.

Certaines personnes s’étaient insurgées, jugeant que les entreprises étaient obligées d’accepter des billets de banque ayant cours légal au Canada. Or, il n’en est rien. Un commerçant accepte ce qu’il veut. À la limite, mais au risque de perdre des clients, me direz-vous, il pourrait accepter uniquement la petite monnaie.

Parlant de petit change, 60 % des Canadiens croient que l’argent comptant demeure important parce qu’il permet de soutenir les organismes de bienfaisance qui collectent des dons à l’épicerie, révèle l’étude de l’Université Dalhousie. Comme le souligne le directeur de son laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire, Sylvain Charlebois, les supermarchés « sont presque des centres communautaires par défaut, puisque tout le monde y va et qu’on y voit presque toujours quelqu’un dans l’entrée qui collecte des fonds ».

Cet ennui se vit aussi dans la rue, quand un sans-abri ou un bénévole de la Guignolée nous tend la main. À chaque problème sa solution : des entreprises ont inventé des systèmes ingénieux pour faire de petits dons avec une carte de crédit.

D’autres enjeux pouvant survenir dans une économie sans numéraire (sans argent comptant) sont bien plus difficiles à gérer. Pensons aux pannes, par exemple. En juillet dernier, quand le réseau de Rogers a flanché, les paiements et les virements Interac ont cessé de fonctionner. Normalement, 25 millions de transactions par jour sont ainsi conclues.

À cela s’ajoute la question des renseignements personnels. Un Canadien sur deux (53 %) considère qu’une économie sans comptant « constituerait une menace pour leur vie privée ».

Les transactions numériques permettent en effet de collecter des données fort prisées des malfaiteurs et des cybercriminels. « Les épiciers peuvent également utiliser les données à des fins de publicités ciblées ou à d’autres usages, à l’insu de l’individu ou sans son consentement », écrit l’Université Dalhousie.

En Suède, des experts avaient prédit en 2017 que l’argent aurait totalement disparu du pays en mars 2023. De toute évidence, ce ne sera pas le cas, même si le pays nordique n’est pas loin d’y être arrivé. Là-bas comme ici, on est préoccupés par des enjeux liés à la discrimination, à la sécurité, à la vie privée et à la technologie.

Ne pas transporter d’argent liquide est très pratique, mais l’idée d’une économie sans numéraire comporte son lot d’inconvénients.

Précision
Dans une version précédente, il était mentionné que les données utilisées par l’Université Dalhousie concernant le nombre de Canadiens non bancarisés provenaient de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC). Or, l’Université Dalhousie a rectifié le tir : ses statistiques provenaient plutôt de la firme Mintel. Nos Excuses.

Lisez la chronique « Pas de monnaie ? Pas de problème ! »