Jeudi 9 mars, 10 h 50. L’employé de la firme techno de Californie est chez le dentiste quand il apprend la nouvelle. Saisi, il fait cesser les soins et se précipite chez lui pour vider son compte de la Silicon Valley Bank (SVB). Et au diable les caries.

C’est son patron, l’entrepreneur Alexander Torrenegra, qui le met au courant des difficultés de la SVB par téléphone. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre et des milliers de déposants ont imité M. Torrenegra, entraînant l’effondrement de l’institution bancaire. Les demandes de retrait de nombreux milliards de dollars ont été facilitées par l’accès rapide aux comptes bancaires sur l’internet.

Alexander Torrenegra raconte en détail ses démarches sur son fil Twitter, comme celles de bien d’autres. Entre 10 h et 13 h, l’homme d’affaires lance rapidement des opérations de transfert vers d’autres banques de ses comptes personnels, mais surtout de ses deux comptes d’entreprises technos, beaucoup plus garnis.

Vendredi, il n’était parvenu qu’à en retirer une partie, mais dimanche, les autorités américaines ont annoncé qu’elles garantissaient tous les fonds des déposants après la fermeture de la SVB⁠1. Ouf !

Cette anecdote est éloquente à l’égard d’un élément central du succès des banques : la confiance des déposants. Malgré leurs raffinements comptables, leur politique de risque sophistiquée et leurs gestionnaires surpayés, les banques peuvent être secouées quand cette confiance s’évapore.

Tout de même, la SVB avait des raisons de voir cette confiance ébranlée. Les décisions de la direction depuis deux ans ont fait fondre son actif et ont amoindri son capital.

Le passif de la SVB était essentiellement constitué des dépôts faits par des entrepreneurs technos provenant de collectes de fonds auprès d’investisseurs en capital-risque. En moyenne, les dépôts étaient de quelque 4,5 millions US, bien au-dessus des 250 000 $ US garantis par la Federal Deposit Insurance Corporation, l’équivalent américain de la Société d’assurance-dépôts du Canada (SADC).

Au fil du temps, la SVB a placé les fonds des déposants dans des actifs risqués et moins risqués, comme des bons du Trésor américain et des titres adossés à des hypothèques immobilières. Mais en 2021, devant les faibles taux d’intérêt pandémiques, la direction a pris des positions à plus long terme pour avoir de meilleurs rendements.

Le hic, c’est que la hausse des taux d’intérêt en 2022 a fait fondre la valeur de ce portefeuille d’obligations, phénomène auquel s’est ajoutée la baisse des dépôts des clients provoquée par le déclin postpandémique de la valeur des entreprises technos.

La banque a ainsi été forcée de liquider des titres à perte pour rembourser les retraits, ce qui a créé un trou de capital.

Pour se renflouer, la SVB a lancé une émission d’actions, avec l’annonce de la venue, mercredi soir, d’un important investisseur. Jeudi matin, toutefois, la transaction avait foiré. Et entre-temps, cet appel de capital a suscité des inquiétudes chez les déposants sur la santé financière de l’entreprise, provoquant la cohue⁠2.

Cela dit, certains experts ne croient pas que la faillite de la SVB entraînera le système financier dans une crise, comme en 2008.

Premièrement, la SVB et ses 209 milliards US d’actifs est passablement plus petite que la banque Lehman Brothers en 2008, celle dont la faillite a déclenché la crise. L’actif de Lehman s’élevait à 639 milliards US à l’époque, alors que l’économie était deux fois plus petite.

Deuxièmement, la SVB se spécialise dans un secteur précis, celui des petites entreprises technos et du capital-risque. Troisièmement, les autorités ont réagi très rapidement, aux États-Unis comme ailleurs.

La SVB a été fermée dès vendredi par la Réserve fédérale – la banque centrale américaine – avant même la fermeture des marchés boursiers. Et dimanche, les autorités américaines annonçaient que tous les déposants allaient ravoir leur argent, même si la somme dépasse les 250 000 $ US.

La Réserve fédérale s’est également engagée à prêter les fonds nécessaires aux autres banques qui en auraient besoin advenant des retraits de leurs clients, ainsi qu’à permettre l’accès aux dépôts d’une autre banque en difficulté, soit la Signature Bank.

En parallèle, le Royaume-Uni a annoncé le rachat de la branche britannique de la SVB par HSBC, assurant ainsi la continuité des activités.

« Je ne m’attends pas à une crise comme 2008, pas du tout », m’explique l’ex-PDG de la Caisse de dépôt et placement Henri-Paul Rousseau, maintenant professeur associé à HEC Montréal.

Une autre raison limite la réaction en chaîne, croit l’économiste : la SVB a une charte de l’État de la Californie et non une charte fédérale. Or, les banques à charte fédérale sont encore soumises à de fréquents tests de résistance de leur capital depuis 2008, ce qui les rend solides financièrement. Il appert que ces tests ont été abandonnés sous l’administration Trump en 2018 pour des banques comme la SVB.

L’évènement provoquera tout de même une douloureuse remise en question aux États-Unis. D’abord, la facture devra être refilée soit aux contribuables, soit aux autres institutions, par le truchement de leurs primes payées à la Federal Deposit Insurance Corporation.

Ensuite, il risque d’y avoir un déplacement des fonds des investisseurs et déposants vers des banques de plus grande qualité. Enfin, les Américains devront s’interroger sur la réglementation moins exigeante des banques d’État.

« C’est une claque au visage des autorités fédérales américaines, après les efforts de réglementation de 2008 », dit Henri-Paul Rousseau.

En 2008, la faillite de Lehman Brothers avait été précédée par la déconfiture de Bear Stearns, six mois plus tôt. Espérons que le contexte économique actuel, marqué par une hausse rapide des taux d’intérêt, ne nous réserve pas d’autres mauvaises surprises bancaires aux États-Unis dans quelques mois.

Voyez le témoignage d’Alexander Torrenegra sur Twitter (en anglais) Lisez « The End of Silicon Valley (Bank) » (en anglais)