On doit bien l’admettre, à l’âge du numérique, les individus comme les entreprises sont beaucoup moins confrontés à remplir des tonnes de documents comme c’était le cas il y a une vingtaine d’années à peine. Ce bond dans la modernité ne nous a toutefois rien fait gagner puisque la numérisation nous a tout simplement fait passer de l’ère de la paperasserie administrative à celle de la tracasserie administrative.

On l’a tous remarqué dans notre vie au quotidien, on compulse bien moins de papier qu’on le faisait dans le passé. On remplit moins de formulaires, on échange moins de correspondance papier, on empile moins les prospectus ou les rapports de toutes sortes, nos surfaces de travail sont plus lisses…

Cet allègement reste toutefois bien factice puisqu’on n’a toujours pas réussi à se délester du fardeau bureaucratique qui pèse chaque jour dans la vie des individus comme des entreprises à cause de la réglementation abusive ou des formalités administratives inutiles, bref ce qu’on a longtemps associé à de la paperasserie.

Cet état des lieux, c’est la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) qui nous le rappelle encore cette semaine, pour la quatorzième année consécutive, dans le cadre de sa Semaine de sensibilisation à la paperasserie.

Longtemps, la paperasserie arrivait en tête de liste des aspects irritants qui affectent la vie des chefs de petites entreprises au Québec et au Canada, tout juste derrière le fardeau fiscal qu’ils ont à soutenir.

L’an dernier, le fardeau administratif arrivait au deuxième rang des préoccupations des chefs d’entreprise après la pénurie de main-d’œuvre. Cette année, l’inflation est en voie de prendre la position de tête comme le nouveau frein à la croissance des entreprises.

Mais la paperasserie est demeurée une source d’irritation pour les individus et les entreprises en 2022, et la FCEI a ciblé celle qui afflige les médecins dans leur travail quotidien pour démontrer les gains qui pourraient être réalisés si on réduisait le fardeau administratif des professionnels de la santé dans leur pratique quotidienne.

À partir d’une étude réalisée en Nouvelle-Écosse qui a démontré que les médecins néo-écossais consacraient 10,6 heures sur une semaine de 53 heures à remplir différents formulaires, notamment les requêtes complexes pour les compagnies d’assurance, la province a constaté que les médecins perdaient 38 % de leur temps à réaliser des tâches administratives superflues qui pouvaient être remplies par du personnel de soutien ou, tout simplement, éliminées.

Ce temps libéré pourrait permettre d’augmenter sensiblement celui consacré à réaliser des consultations de patients qui sont d’une durée moyenne de 20 minutes.

À partir de ce modèle, ce sont 18,5 millions d’heures de tâches administratives superflues qui pourraient être consacrées à la réalisation de 55,6 millions de consultations, à l’échelle du pays. À eux seuls, les 22 000 médecins québécois passeraient 11 millions d’heures par année à remplir de la paperasse.

En éliminant le 38 % de travail administratif superflu, ce sont 4 millions de consultations de patients qui pourraient s’ajouter au bilan de nos médecins, ce qui permettrait ainsi de contribuer de façon importante au désengorgement du système de santé québécois.

Le Canada, poids lourd de la paperasserie 2023

Cette année, c’est le gouvernement fédéral, et plus précisément Service Canada, qui a été désigné comme poids lourd 2023 de la paperasserie au pays pour sa gestion des passeports, selon un sondage national réalisé pour le compte de la FCEI.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Une forte affluence dans les bureaux de Service Canada a causé, partout au pays cet été, de longues files d’attente de gens qui désiraient simplement renouveler leur passeport.

On le sait, la fin des mesures contraignantes qui limitaient les déplacements à l’étranger en raison de la pandémie a généré une forte affluence dans les bureaux de Service Canada. Une affluence qui a été lamentablement gérée alors que se sont multipliées partout au pays de longues files d’attente de gens qui désiraient simplement renouveler leur passeport.

Selon le sondage de la FCEI, 80 % des demandeurs de nouveaux passeports ont subi de la frustration alors que 33 % des répondants ont dû se rendre à plusieurs reprises à Service Canada, 27 % ont dû s’absenter du travail, 23 % ont été forcés de reporter leur voyage.

Les demandeurs ont dû attendre en moyenne 68 jours pour recevoir leur passeport ou le renouveler, un fiasco pour plus de 1 million de Canadiens, souligne François Vincent, vice-président de la FCEI.

L’inefficacité de la bureaucratie fédérale ne s’est pas limitée à la seule gestion des passeports. Service Canada se démarque aussi depuis plus d’un an par son incapacité à répondre dans les délais habituels à de nombreuses demandes d’assurance-emploi, rapportait mercredi Radio-Canada.

On parle de délais d’attente d’au-delà de 50 jours, contre une moyenne habituelle de 28 jours, alors que le nombre de prestataires de l’assurance-emploi est à son plus bas niveau au Canada depuis près de 30 ans.

On peut ajouter à la liste des cafouillages et de la lourdeur administrative de l’appareil fédéral toute la gestion d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, de celle du chemin Roxham à celle des visas de visiteur. Comme le rapporte aujourd’hui mon collègue André Dubuc, le nombre d’assistés sociaux a explosé au cours de la dernière année au Québec en raison des délais que doivent subir les demandeurs d’asile pour obtenir un permis de travail du gouvernement fédéral, plus de 10 mois en moyenne.

Une réalité d’autant plus déprimante que cette bureaucratie inefficace et inefficiente jouit de l’encadrement permanent et quasi éternel, vient-on d’apprendre, de la firme-conseil et d’optimisation des processus McKinsey. Heureusement que McKinsey est là, on peut difficilement imaginer ce que serait la réalité, sinon.