Il n’y a rien de gratuit dans la vie, dit-on. Les programmes de fidélité des commerces qui nous permettent d’accumuler des points transformables en cadeaux n’échappent pas à la règle. Des fournisseurs de Metro, Super C et Jean Coutu viennent d’ailleurs d’apprendre combien leur coûtera le nouveau programme MOI qui sera lancé au printemps. Une facture surprise qui accentue la grogne et le désenchantement.

Ironie du sort, l’annonce de Metro arrive au moment où le dévoilement d’un code de conduite pour assainir les relations entre les supermarchés et leurs fournisseurs est imminent, selon mes informations.

Une entreprise québécoise qui approvisionne Jean Coutu a appris par courriel qu’elle devra financer une partie des coûts du programme MOI au moyen de nouveaux frais de 1 %.

Autrement dit, les factures qu’elle transmet au détaillant seront systématiquement amputées de 1 % quelque part en mai. Cette décision unilatérale est imposée sans aucune négociation, dénonce le directeur général de la PME, qui refuse d’être nommé pour ne pas envenimer ses relations avec Jean Coutu et son propriétaire Metro. Air Miles ne lui a jamais coûté un sou.

« On nous le force dans la gorge. Ça fait des relations tendues. À la longue, ça provoque un effritement de la fabrication locale », dénonce ce dirigeant.

Ne pouvant absorber cette perte de revenus, ce dirigeant tentera d’augmenter ses prix, ce qui aura des répercussions, déplore-t-il, sur les consommateurs déjà frappés par l’inflation.

Un avis partagé par d’autres fournisseurs. « Exactement ! C’est toujours le consommateur qui paie, au bout du compte », dit l’un deux.

Bientôt, Metro, Super C, Jean Coutu et Première Moisson adopteront le nouveau programme de fidélisation MOI en remplacement de metro & moi et Air Miles. Adonis acceptera aussi la carte, à un moment qui n'a pas été dévoilé.

Dans le secteur de l’alimentation, deux propriétaires de PME ont appris ces derniers jours que MOI leur coûtera deux fois plus cher que metro & moi, soit 0,6 % des ventes totales, plutôt que 0,3 %. Ils ne le digèrent pas.

La hausse peut sembler minime, mais dans un secteur à faible marge de profit, chaque dixième de pour cent compte. Particulièrement en période de pénurie de main-d’œuvre et de forte inflation, tant pour les ingrédients que pour les emballages et le transport.

Une autre PME voit plutôt son taux passer de 0,4 % à 0,6 %. C’est peu, mais assez pour accentuer la désillusion, m’a dit son représentant. Son sentiment est partagé. Un entrepreneur m’a raconté qu’il ne lit plus les courriels de Metro et des autres chaînes, car « c’est trop décourageant » de découvrir des hausses de frais.

Chez Metro, on affirme plutôt que « les frais sont justifiés et négociés de bonne foi avec chaque fournisseur individuellement », ce qui explique que les taux varient.

Certains fournisseurs que nous avons contactés n’ont pas reçu de nouvelles récentes de Metro. Mais ils n’étaient pas étonnés que l’arrivée de MOI provoque une hausse des frais pour les fournisseurs. « Ils sont toujours en train d’éroder nos marges », a réagi l’un d’eux en parlant des grandes chaînes de supermarchés en général.

Ces augmentations s’ajoutent à une série d’autres frais imposés par les grandes chaînes et dénoncés de toutes parts depuis des années en raison de leur caractère « arbitraire ».

En octobre, Metro a augmenté les frais de déchargement des camions qui se présentent à ses entrepôts, tandis que Loblaw a accru ses frais « pour la manutention des marchandises ».

C’est précisément ce que le nouveau code de conduite est censé encadrer afin d’offrir un peu de prévisibilité aux fournisseurs et un meilleur rapport de force.

Metro soutient que les nouvelles ententes concernant MOI « sont tout à fait conformes à l’esprit du code de conduite ».

Pour vanter les avantages de MOI, Metro a tenu des webinaires et transmis une présentation « confidentielle » aux fournisseurs. On y lit que le nouveau programme leur donnera de la visibilité et stimulera les ventes de leurs produits grâce aux points bonis « en rayons et en circulaires ». Les consommateurs recevront aussi des offres personnalisées hebdomadaires et un « livret numérique » faisant la promotion de nouveautés ou de produits de saison deux fois par année.

« De plus, 100 % des points échangés le seront pour les produits des fournisseurs vendus en magasin contrairement à d’autres programmes de récompenses. Ceci se traduit donc en ventes supplémentaires pour nos fournisseurs », fait valoir la vice-présidente aux affaires publiques et aux communications de Metro, Marie-Claude Bacon.

Reste à voir si ces initiatives seront significativement plus efficaces que celles de metro & moi, déjà bien ciblées et appréciées de ses 1,2 million de membres. Les améliorations devraient être plus faciles à concrétiser par rapport à Air Miles.

Mais les fournisseurs sont plus que sceptiques. Ils ne croient pas que MOI fera une différence marquée dans leur vie. « On ne vend pas plus grâce à la fidélisation, mais grâce à notre prix », dit le propriétaire d’une entreprise de transformation alimentaire.

Metro n’est pas le seul détaillant à imposer des frais à ses fournisseurs pour faire vivre son programme de fidélisation. Loblaw (Maxi, Provigo, Pharmaprix) le fait aussi pour PC Optimum, mais refuse de donner une idée de la facture.

Du côté de Sobeys (IGA), on se prépare à lancer au Québec le programme Scène+, qui lui appartient en partie depuis juin 2022. Les fournisseurs se font actuellement solliciter pour adhérer à différents plans du programme qui coûtent, selon un courtier en alimentation, entre 1 % et 1,5 %. Ce n’est pas obligatoire, mais fortement suggéré.

Aucune date de transfert d’Air Miles à Scène+ au Québec n’a encore été précisée.

Il n’a pas été possible d’en apprendre davantage sur la transition et ses impacts sur les fournisseurs auprès d’IGA, qui préfère ne pas commenter les accords conclus avec ses partenaires.

Cette histoire rappelle celle des frais facturés par les émetteurs de cartes de crédit aux détaillants. Ces frais – particulièrement élevés au Canada – font gonfler les prix de vente, même pour les clients qui paient comptant. Dans les supermarchés, tout le monde paie pour les programmes « gratuits » de fidélisation.

Certains n’aiment pas l’idée que leurs habitudes d’achat soient traquées, d’autres craignent le vol d’identité, ce qui est légitime. Mais à partir du moment où l’on paie pour quelque chose, aussi bien en profiter, surtout en cette période inflationniste où l’on cherche des façons d’économiser.