On ne pourra pas dire que Lowe’s a fait des miracles avec Rona. Malgré sa longue expérience dans le secteur de la quincaillerie, ses succès aux États-Unis et ses gros moyens, le géant a été incapable de faire croître ce fleuron québécois.

En fait, c’est tout le contraire qui s’est produit. Depuis trois ans, le nombre de magasins est passé de 600 à 450.

Lowe’s, habitué à exploiter des centaines de vastes magasins identiques, a eu du mal à gérer cette entreprise compliquée.

C’était un amalgame de magasins d’entreprise et de magasins affiliés, de petites, moyennes et grandes surfaces, et de plusieurs concepts (Rona l’Entrepôt, Rona, Réno-Dépôt, Marcil, Ace, Home & Garden, Dick’s Lumber). La clientèle cible de chaque enseigne était mal définie, l’offre de produits n’était pas toujours en adéquation. Il n’y avait pas encore de site web transactionnel.

Le président de l’époque, Sylvain Prud’homme, avait admis qu’il y avait « beaucoup de confusion pour les clients » et de la déception. Il promettait de simplifier la structure, de rebaptiser les Rona l’Entrepôt en Lowe’s, de se lancer dans le commerce en ligne, de préciser la vocation de chaque enseigne. Le géant américain ambitionnait alors de devenir « rapidement le numéro un » au Canada, une position occupée par Home Depot, et de doubler son niveau de rentabilité en cinq ans.

Trois ans après avoir payé 2,3 milliards US pour acquérir Rona, Lowe’s n’avait pas encore eu le bonheur d’annoncer de bonnes nouvelles malgré tout le travail accompli.

C’est plutôt une radiation majeure d’actifs de près de 1 milliard US qui a fait les manchettes des journaux. Et Lowe’s a précisé jeudi qu’une autre radiation de 2 milliards US serait inscrite dans ses prochains résultats trimestriels. On ne peut pas parler d’un grand succès financier.

En vendant Rona au fonds new-yorkais Sycamore Partners, Lowe’s s’enlève donc une grosse épine du pied. D’ailleurs, son chef de la direction, Marvin R. Ellison, a précisé que cette transaction « constitue une étape importante vers la simplification du modèle d’affaires de Lowe’s ».

Cela laisse croire que même les deux années de pandémie, marquées par un engouement monstre des consommateurs pour la rénovation résidentielle, n’ont pas réussi à convaincre le géant américain que Rona avait un potentiel suffisant pour continuer le travail. Le prix de vente annoncé, soit 400 millions US comptant et « un montant fondé sur le rendement », laisse perplexe sur la valeur présumée des actifs canadiens.

Ce départ de Lowe’s du Canada n’est pas sans rappeler le fiasco marquant de Target au nord du 45parallèle.

Le détaillant avait acheté 189 baux de l’enseigne moribonde Zellers pour 1,83 milliard, en 2011. Cela lui permettait d’entrer d’un coup dans le marché canadien et de bénéficier de loyers peu élevés. Le succès semblait aller de soi dans les circonstances. Comment faire pire que Zellers ?

Pourtant, après un an, la perte d’exploitation atteignait 1 milliard. Une succession d’erreurs dues, notamment, à l’incompréhension du marché canadien ont finalement provoqué la fermeture de tous les Target du Canada. Coût de l’incursion ratée : 7 milliards.

Il peut sembler facile de prendre un succès de vente au détail dans un pays et de l’exporter, comme le fait IKEA, par exemple. Mais en réalité, les défis sont bien plus nombreux qu’il n’y paraît.

D’ailleurs, il n’est même pas nécessaire de franchir une frontière pour se heurter à un mur. On l’a vu quand Loblaw a acheté Provigo. Son enseigne phare, Loblaws, n’a jamais réussi à gagner le cœur des Québécois malgré son succès dans la province voisine qu’est l’Ontario. Et le nom Provigo a perdu beaucoup de son lustre.

La vente de Rona à un fonds d’investissement qui ne devrait pas être très impliqué dans la gestion quotidienne des opérations pourrait être une bonne nouvelle pour l’équipe du siège social. Celle-ci pourrait en effet avoir les coudées plus franches qu’avec Lowe’s, croit Richard Darveau, président et chef de la direction de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT).

« Ce sera plus facile de canadianiser Rona », prévoit-il.

D’ailleurs, les magasins qui affichent le nom Lowe’s (il y en a dans toutes les provinces, sauf au Québec) seront rebaptisés Rona. Et bonne nouvelle pour ceux qui avaient eu un petit pincement au cœur quand le nom Rona avait été décroché du siège social de Boucherville : il devrait, en toute logique, réapparaître.

Le président de Lowe’s Canada, le Québécois Tony Cioffi, devra toutefois expliquer comment il a pu vanter, dans une entrevue diffusée le 25 octobre sur YouTube⁠1, le potentiel des activités canadiennes de Lowe’s avec ses magasins d’entreprise et ses magasins affiliés. « Pensez-vous que ce modèle a de l’avenir ? », lui a demandé Richard Darveau. « Cent pour cent certain, oui. Parce que c’est une opportunité pour nous et on voit encore un beau volet de croissance avec les marchands affiliés. »

Une semaine plus tard, ces propos optimistes laissent pantois.

1. Visionnez l’entrevue que Tony Cioffi a accordée à l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction