Une autre variable vient compliquer le travail d’Hydro-Québec et du comité sur la transition énergétique dirigé par François Legault : les grands besoins des provinces de l’Atlantique.

Depuis 2019, des discussions ont lieu entre les gouvernements provinciaux impliqués, le gouvernement fédéral et les distributeurs d’énergie pour faire transiter de l’énergie du Québec vers le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse.

Il s’agirait d’un gros bloc d’énergie d’Hydro-Québec, qui pourrait atteindre 1150 mégawatts, selon le rapport du comité sur le sujet, publié en mai1. Le gouvernement du Québec et Hydro-Québec participent à titre d’observateurs à ce comité.

Le projet de boucle de l’Atlantique (Atlantic Loop), mené par le fédéral, relierait les quatre provinces de l’Atlantique et le Québec. Il a pour but de décarboner le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, qui produisent la moitié de leur énergie à partir de sources fossiles, notamment le charbon.

Une loi fédérale exige la fin de la production d’électricité au charbon d’ici 2030. Or, ces deux provinces n’ont pas autant d’options pour l’énergie propre que le Québec. De plus, elles ne disposent pas des énormes réservoirs d’Hydro-Québec, qui servent de batterie naturelle pour compenser les passages à vide des éoliennes ou des panneaux solaires, et inversement.

Un lien de 1150 MW avec Hydro-Québec et de 250 MW à 500 MW avec Terre-Neuve-et-Labrador leur permettrait de compenser le manque à gagner énergétique d’une transition et d’avoir accès à la batterie d’Hydro-Québec, entre autres.

3,4 millions d’autos et de VUS

L’enjeu environnemental est majeur. L’électricité sale produite par ces deux provinces avoisine les 11 térawattheures (TWh), et il s’en dégage 10 millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES), selon l’inventaire national des GES2. C’est l’équivalent de 3,4 millions d’autos et de VUS à essence qui seraient retirés des routes3.

Au fédéral, le responsable du dossier est Dominic LeBlanc, un député du Nouveau-Brunswick qui est ministre canadien des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités.

« Les discussions vont bon train. Il y a une volonté de tous les partenaires autour de la table d’en venir à une entente, car tous comprennent que d’ici 2030, la boucle de l’Atlantique est la meilleure façon de réaliser la transition énergétique en Atlantique », m’a dit le porte-parole du ministre, Jean-Sébastien Comeau.

Le projet, avec ses lignes de transmission, est estimé à 5 milliards de dollars. Le fédéral compte sur la Banque de l’infrastructure du Canada pour le financer, entre autres. Tous les modes de financement sont envisagés, me dit une source externe au fait du dossier : subventions, capital, prêts, produits d’assurance, etc.

Au Québec, les exportations ont moins la cote avec la transition énergétique, qui requiert d’énormes quantités d’énergie pour décarboner les industries et le secteur du transport. Certains remettent même en question, dans ce contexte, la pertinence des deux mégacontrats conclus par Hydro avec New York et le Massachusetts, qui totalisent quelque 20 TWh par année.

Le Québec a cependant un intérêt évident à cultiver ses relations avec les provinces de l’Atlantique, et notamment avec Terre-Neuve-et-Labrador, qui prend part aux discussions sur la boucle.

Hydro-Québec, faut-il le rappeler, devra éventuellement renégocier le gigantesque contrat de Churchill Falls avec Terre-Neuve (5429 MW), qui arrivera à échéance en 2041. Or, les Terre-Neuviens sont restés aigris, Hydro ne payant que 0,25 cent le kilowattheure pour l’énergie de ce contrat (oui, oui, un quart de cent).

Autre élément : Hydro-Québec a bénéficié d’un prix majoré pour son contrat d’électricité avec New York en raison de son aspect renouvelable. New York a accepté de payer 9,75 cents US par kilowattheure dès la première année de livraison, en 2026, prix qui sera majoré de 2,5 % par année par la suite.

En dollars canadiens, ce prix équivaut à 13,4 cents par kilowattheure et il est donc supérieur au coût marginal prévu par Hydro-Québec en 2026 (11 cents, transport inclus) et bien plus élevé que le tarif L actuellement payé par les grands industriels du Québec (5 cents).

Hydro-Québec est ouverte

Chez Hydro-Québec, on se dit ouvert à explorer les possibilités pour aider nos voisins de l’Atlantique dans leurs efforts de décarbonation. « Nous sommes un bon collaborateur et encore en discussions. Le projet est à un niveau exploratoire et il faudra tenir compte de l’ensemble de nos besoins d’électricité », me dit le porte-parole de la société d’État, Marc-Antoine Pouliot.

L’autre élément à prendre en compte est le prix que paient les clients de l’Atlantique. Les politiciens cherchent des solutions vertes, mais qui ne sont pas trop coûteuses.

Or, les coûts de production chez Hydro-Québec demeurent relativement moindres que ceux payés par les clients actuels de l’Atlantique. En Nouvelle-Écosse, les propriétaires d’une maison moyenne paient 17,02 cents le kilowattheure, deux fois plus qu’au Québec. L’écart est moindre chez les entreprises, mais tout de même important.

Selon une source externe au fait du dossier, il est question d’une tarification versée à Hydro-Québec qui ne serait pas inférieure à son coût marginal (11 cents, transport inclus).

Cela dit, le récent dépôt d’un projet de loi en Nouvelle-Écosse a jeté un froid aux discussions. Le gouvernement conservateur veut plafonner les hausses de tarifs à 0,6 % par année d’ici la fin de 2024, afin de soulager les consommateurs face à la forte inflation.

Or, cette décision a été très mal reçue par Scott Balfour, le président du principal producteur d’énergie de la Nouvelle-Écosse, Emera (société inscrite en Bourse). Le 23 octobre, l’homme a déclaré que cette décision minait la capacité de l’entreprise à financer la transition énergétique, le forçant à mettre sur pause le projet de boucle de l’Atlantique.

Malgré tout, le gouvernement fédéral garde le cap, m’explique Jean-Sébastien Comeau, porte-parole du ministre Dominic LeBlanc.

Pas si simple, la décarbonation de l’économie, en fin de compte. Si seulement on pouvait attribuer une réelle valeur aux volumes de GES effacés, il serait plus facile de déterminer les allocations d’énergie les plus payantes, peu importe où elles sont situées.

1. Consultez le rapport Clean Power Roadmap for Atlantic Canada (en anglais) 2. Consultez le Rapport d’inventaire national 1990-2020 – Sources et puits de gaz à effet de serre au Canada

3. Ce calcul est basé sur l’efficacité moyenne des véhicules personnels au Québec (9,3 litres pour 100 km), sur leur kilométrage annuel moyen (13 782 km) et sur l’émission de GES par litre d’essence (2,31 kg par litre).