Les automobilistes qui ont eu à circuler entre la Rive-Sud et Montréal le week-end dernier ont eu un bel aperçu de ce qui les attend pour les trois prochaines années alors que les usagers de la route vont entrer de plain-pied dans l’ère du chaos circulatoire. Les automobilistes et camionneurs qui doivent franchir quotidiennement le fleuve pour se rendre au travail ou pour alimenter la chaîne d’approvisionnement devront apprendre à survivre dans un corridor beaucoup plus étroit.

Le chaos du week-end a été provoqué par la fermeture totale du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine en direction nord et a entraîné des bouchons de plusieurs kilomètres sur les axes donnant accès aux ponts Jacques-Cartier et Samuel-De Champlain. Bon, c’était une fermeture totale, mais on était quand même en plein week-end.

Imaginez la semaine prochaine lorsque trois des six voies du pont-tunnel vont être fermées et que des automobilistes qui doivent se déplacer pour leur travail vont quand même devoir emprunter la 25 et que les camions vont reprendre leurs livraisons.

Les mesures d’atténuation prévues, comme l’utilisation accrue du transport collectif, le covoiturage ou le télétravail, vont être utiles, mais elles n’arriveront malheureusement pas à réduire la congestion du pont-tunnel et celle attendue sur les grandes routes d’accès aux autres traverses.

Perte de temps, baisse de productivité, émissions de CO2 additionnelles, retard des livraisons, augmentation du stress, densité accrue de la circulation dans les quartiers à proximité des accès aux ponts, qualité de vie amoindrie, la liste des inconvénients est longue et risque de s’allonger encore.

« On ne se mettra pas à brailler, mais ça va être dur », commente André Morneau, PDG du Groupe Morneau, entreprise de transport routier qui exploite un important « hub » à Anjou, dans l’axe stratégique des autoroutes 40 et 25.

« Ça va être le bordel », poursuit Michel Robert, PDG du Groupe Robert, qui exploite un parc de plus de 1000 camions, avec un centre de distribution stratégique à Boucherville, à proximité de la 20, ce qui lui ouvre des fenêtres vers Montréal et la couronne nord, ainsi que vers l’est du Québec.

« Ça va être le cauchemar », souligne pour sa part Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et Exportateurs du Québec, qui appréhende des dysfonctions additionnelles à la chaîne d’approvisionnement, déjà passablement perturbée par deux années de pandémie.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Intérieur d’un entrepôt du Groupe Morneau, à Anjou

Ces trois courtes réactions d’acteurs économiques importants qui vont être durement touchés par les trois prochaines années d’entraves accrues au transport dans la grande région métropolitaine résument le sentiment général.

Quel va être le coût de ce chaos circulatoire pour l’économie montréalaise et québécoise ? Difficile à prédire, puisque c’est à l’usage qu’on pourra mieux en mesurer les effets concrets. On constate toutefois que certaines dépenses ont déjà été engagées pour atténuer les conséquences de la fermeture partielle, mais permanente de trois voies sur six du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine.

Livraisons de nuit et retour des stocks

Malheureusement, l’autoroute 25 est un axe stratégique pour le transport des marchandises, puisqu’il permet de relier le centre du Québec à Montréal et à la couronne nord. La forte présence des camions y est constante, d’autant qu’elle donne accès aux conteneurs du port de Montréal, où jusqu’à 2500 camions circulent tous les jours de la semaine.

« On a ouvert un entrepôt à Varennes où on va aller transborder des livraisons durant la nuit, en partant de notre terminal d’Anjou », m’explique David Morneau, vice-président exécutif et chef de l’exploitation au Groupe Morneau.

L’entreprise s’est également entendue avec un autre transporteur pour stationner certaines de ses remorques sur la Rive-Sud.

On prévoit faire plusieurs voyages durant la nuit pour réduire notre présence durant le jour et éviter la congestion des heures de pointe. Ce sont des coûts additionnels, mais on n’a pas le choix. Ça fait plus d’un an qu’on se prépare à la fermeture partielle du pont-tunnel.

David Morneau, vice-président exécutif et chef de l’exploitation au Groupe Morneau

Michel Robert a lui aussi exploré différentes mesures de mitigation pour le Groupe Robert, mais voit encore beaucoup d’obstacles se dresser pour les prochains mois.

« On fait des échanges avec d’autres transporteurs, on revoit les routes, on veut faire du transport de nuit sur la 25, mais c’est difficile, en pénurie de main-d’œuvre, de trouver des camionneurs qui veulent le faire », souligne le PDG.

Le Groupe Robert souhaite arriver à une entente avec les différents intervenants du port de Montréal pour réaliser des transports les samedis. Les délais de livraison vont augmenter les coûts de transport pour ses clients. Au Groupe Morneau, on va faire passer de 24 à 48 heures le délai de livraison.

Véronique Proulx appréhende pour sa part un mouvement de défection de la main-d’œuvre chez certaines des entreprises membres de Manufacturiers et Exportateurs du Québec.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et Exportateurs du Québec

On ne peut pas faire de télétravail dans les manufactures, mais les employés ne veulent pas être pris dans la circulation quatre heures par jour, et certains cherchent un autre emploi, plus proche de la maison.

Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et Exportateurs du Québec

Appréhension que me confirme Jean-Denis Charest, président de la Chambre de commerce de l’est de Montréal.

« L’est de Montréal est un lieu de convergence où beaucoup d’entreprises ont des employés de la Rive-Sud ou de l’Est comme Repentigny. On prévoit déjà que 140 000 travailleurs vont quitter Montréal-Est au cours des 10 prochaines années, il ne faut pas qu’on en perde plus à cause de la fermeture du pont-tunnel », m’explique M. Charest.

Le chaos circulatoire que l’on va vivre au cours des trois prochaines années va peut-être accélérer la fin ou la mise à jour du concept de la livraison juste à temps. C’était un beau principe quand la chaîne d’approvisionnement était fluide et efficace, mais la pandémie a déjà ébranlé sa pertinence.

Plutôt que de vivre avec de constantes ruptures de produits de toutes sortes, les entreprises ont retrouvé les vertus des stocks. Les entraves au transport routier que l’on devra vivre durant trois ans vont constituer un argument additionnel de poids pour le retour des entrepôts et l’élimination graduelle du constant va-et-vient que l’on ne peut plus assurer.

Appel à tous

Quels impacts de la fermeture du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine anticipez-vous sur les activités de votre entreprise ? Comment comptez-vous y remédier ?

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