Certaines expressions viennent avec un lot de sous-entendus bien connus. « C’est juste un coup de marketing » fait assurément partie du lot.

Il y a toujours un peu de méfiance dans le ton et de désillusion dans le regard de ceux qui lancent « c’est juste un coup de marketing ! ». Et lundi, on pouvait clairement sentir ce sentiment sur les réseaux sociaux au sujet de l’annonce du propriétaire des chaînes Maxi, Provigo et Pharmaprix, le géant ontarien Loblaw.

L’entreprise gèlera le prix de ses 1500 produits de marque Sans nom jusqu’à la fin de janvier. Raison officielle : aider les consommateurs à échapper à la spirale inflationniste.

« C’est juste un coup de marketing ! », se sont vite insurgés les plus cyniques.

Que veulent-ils dire, au juste ? Qu’il s’agit d’un attrape-nigaud ? Que ces gels n’auront pas véritablement lieu ? Qu’ils sont annoncés pour d’autres raisons que celles invoquées ? Que leur effet sera minime pour les finances des consommateurs ? Un peu de tout ça ?

On serait naïfs de donner le bon Dieu sans confession à des entreprises. Si elles étaient toutes parfaites, le Bureau de la concurrence – responsable de déterrer les fraudes, la collusion et les pratiques trompeuses – perdrait pratiquement sa raison d’être. On a eu la preuve de son utilité, en 2018, quand il a révélé qu’il soupçonnait sept entreprises (dont Loblaw, Sobeys et Metro) d’avoir participé à un complot criminel de fixation du prix du pain pendant 15 ans.

Les entreprises du secteur alimentaire font-elles d’autres manigances au détriment des consommateurs ? Beaucoup de Canadiens croient qu’elles gonflent artificiellement les prix, ce qui provoque l’inflation qui nous afflige depuis un an.

En juillet, une enquête du Toronto Star⁠1 concluait d’ailleurs que les supermarchés augmentent leurs prix « plus vite que nécessaire » et qu’ils « profitent de l’inflation ». Cinq économistes ont été invités à analyser les états financiers de Loblaw, Sobeys (IGA) et Metro. Si leurs marges de profit étaient demeurées les mêmes qu’en 2019, les Canadiens auraient économisé 1,4 milliard sur leur facture d’épicerie en 2021, a conclu le quotidien torontois.

Le prix des aliments suscite aussi des questions sur la colline parlementaire à Ottawa. Ce lundi, les élus ont voté à l’unanimité en faveur d’une motion du NPD demandant au gouvernement d’établir une « stratégie visant à lutter contre la cupidité » des chaînes d’alimentation.

Toujours à la demande du NPD, le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire a accepté (le 5 octobre) d’enquêter sur le prix du panier d’épicerie. Les PDG des grandes chaînes de supermarchés, des cadres, des producteurs d’aliments et des syndicats seront appelés à témoigner. La liste des invités n’est pas encore connue.

Après ces deux victoires, les néo-démocrates se sont attribué le mérite de l’annonce de Loblaw⁠2.

Peut-être que Loblaw sentait la soupe chaude et voulait bien paraître dans les circonstances. Mais d’autres voix se sont élevées ces dernières semaines en faveur d’un certain gel des prix, dont la mienne⁠3 et celle de Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie. Si ça se fait ailleurs dans le monde, pourquoi pas ici ?

Revenons-en au « coup de marketing ». Oui, il s’agit bel et bien de marketing. Mais cela n’est pas synonyme d’escroquerie pour autant ! Le programme universitaire ne contient pas l’enseignement des 100 meilleurs trucs pour arnaquer les clients. Le marketing a souvent mauvaise réputation à cause d’excès de zèle déplorables, mais ça ne rend pas toutes les annonces suspectes.

Soyons honnêtes : Loblaw respectera sa promesse de gel. Ses produits jaunes n’auront jamais autant été scrutés à la loupe. S’il fallait qu’un prix monte, l’épicier se ferait prendre sur-le-champ. Vous imaginez les dommages à sa réputation ? Bref, cette annonce amène une certaine paix d’esprit à ceux qui peinent à boucler leur budget.

Le problème avec cette annonce, c’est qu’on ne sait pas à quel point elle fera véritablement économiser les consommateurs.

D’abord, on parle de 1500 produits sur plus de 20 000 dans un supermarché. Il n’y a pas de lait Sans nom, ni de cuisses de poulet, ni de brocoli. Ça limite la portée de la mesure.

De plus, le gel sera de courte durée. Le prix des aliments de cette marque aurait-il bondi pendant cette période ? Mystère. Au cours des trois derniers mois, l’inflation alimentaire a totalisé 2,7 %. Ça ne fait pas une grosse différence sur un sac de flocons d’avoine ou le pot de compote.

C’est sans compter qu’on sera bientôt en période de « blackout ». De novembre à février, il est généralement convenu entre les fournisseurs et les épiciers que les prix de gros ne bougeront pas. Dans ce contexte, on peut se demander si l’annonce de lundi changera vraiment quelque chose pour les clients.

Une autre question clé concerne le financement de ce gel hautement médiatisé qui, espérons-le, ne se fait pas sur le dos des fournisseurs. Loblaw jure que sa marge de profit en souffrira, m’a dit sa porte-parole Johanne Héroux.

Chose certaine, l’épicier a le mérite d’avoir été la première grande entreprise du secteur de l’alimentation à montrer un peu d’empathie envers le consommateur et à lui parler d’inflation. Et son président Galen Weston s’est montré proche des préoccupations de ses clients. Cela pourrait créer un effet d’entraînement favorable aux consommateurs.

1. Lisez l’enquête du Toronto Star (en anglais) 2. Lisez « Les Communes réclament une enquête sur les profits des chaînes d’épiceries » 3. Lisez « Qu’attendent nos chaînes de supermarchés pour geler les prix ? »