Malgré l’insistance avec laquelle le chef caquiste François Legault refuse toujours que le Québec accueille au-delà de 50 000 nouveaux immigrants par année, la réalité économique et démographique québécoise forcera – sans doute bientôt – le chef de la CAQ à revoir ses positions et à surtout élaborer de meilleures politique et méthodes pour éviter le suicide identitaire québécois, comme il l’appréhende.

L’immigration continue d’être au cœur de la campagne électorale et l’enjeu a nettement dérapé mercredi avec la publication des déclarations que l’on connaît du ministre sortant du Travail et de l’Immigration, Jean Boulet, des affirmations qui l’ont disqualifié pour espérer reprendre un jour ses responsabilités ministérielles.

Pour sa part, le premier ministre sortant s’entête toujours à ne pas vouloir franchir le seuil des 50 000 nouveaux immigrants par année même si l’économie québécoise et ses principaux acteurs le pressent d’ouvrir un peu les vannes pour régénérer un marché de l’emploi complètement désorganisé.

On le sait, ce sont plus de 250 000 postes vacants qui sont disponibles en ce moment au Québec, des postes que ni les entreprises ni les organismes publics ne sont capables de pourvoir en raison de la pénurie de main-d’œuvre.

C’est sans compter les 25 000 postes qui sont occupés par des travailleurs étrangers temporaires, des emplois qui ne sont pas pourvus de façon permanente. Il faut aussi ajouter les 177 000 résidents temporaires qui sont au Québec en vertu de différents programmes comme celui de la mobilité internationale ou les 90 000 étudiants étrangers, dont la majorité occupe des emplois à temps partiel.

Si le Québec maintenait le seuil du nombre de nouveaux immigrants à 50 000 par année, il faudrait donc cinq ans pour pourvoir les 250 000 postes actuellement disponibles, un scénario qui ne tiendrait malheureusement pas compte des 150 000 départs à la retraite par année que l’on prévoit d’ici 2030.

Bref, la pénurie de main-d’œuvre n’est pas près de se résorber si le Québec continue de ne rien faire pour augmenter de façon imortante sa population active.

La semaine prochaine se tiendra L’Évènement Carrières au Palais des congrès, un gros salon de l’emploi et de la formation où 280 entreprises et organismes gouvernementaux tenteront de pourvoir un nombre record de 12 000 postes en deux jours.

« C’est le plus gros nombre d’emplois disponibles jamais offert. Cela fait 23 ans que l’on organise de telles rencontres et c’est la première fois qu’on franchit le cap des 10 000 postes à pourvoir », m’explique Éric Boutié, le président fondateur de l’évènement.

Même si on attend entre 7000 et 8000 candidats postulants au cours des deux jours que durera le salon, l’organisateur prévoit que seulement 1000 à 1200 postes seront pourvus.

Ce sont les entreprises qui doivent se vendre, les candidats ont le choix et on attend encore cette année beaucoup de nouveaux arrivants parmi nos visiteurs.

Éric Boutié, président fondateur de L’Évènement Carrières

Fait à souligner, 84 % des employeurs qui auront un stand au salon L’Évènement Carrières souhaitent une hausse des seuils d’immigration, ce qui permettrait selon eux de régler en partie la pénurie de main-d’œuvre.

La mathématique du nombre

Le Conseil du patronat milite lui aussi activement pour une hausse marquée des seuils d’immigration pour les prochaines années. Son PDG, Karl Blackburn, ne comprend pas toute l’enflure verbale qu’a générée cette question durant la campagne électorale.

« Le gouvernement nous dit que 1,4 million de travailleurs vont quitter le marché de l’emploi entre 2017 et 2026 et qu’il prévoit combler à 50 % cette perte avec l’arrivée d’étudiants diplômés, à 25 % par une meilleure inclusion de différentes catégories de citoyens (Autochtones, personnes d’âge mûr, de femmes qui vont réintégrer un emploi…) et à 25 % par l’immigration.

« Or, 25 % de nouveaux arrivants, ce sont 64 000 immigrants par année. Comme on est resté fixé au seuil de 51 000 immigrants par année depuis 2017, il faut rajouter 13 000 immigrants de plus durant les quatre prochaines années, c’est pourquoi on souhaite 80 000 par année de 2023 à 2026 », calcule le président du CPQ.

Toutes les entreprises membres du CPQ sont en faveur d’une hausse des seuils, comme le sont aussi les autres associations de gens d’affaires comme la Fédération des chambres de commerce du Québec.

François Legault, qui est issu du milieu des affaires, reste pourtant insensible à ces demandes malgré le fait qu’une entreprise membre du CPQ sur deux affirme qu’elle doit refuser des contrats en raison du manque de main-d’œuvre et qu’une entreprise sur deux a décidé d’annuler des investissements pour la même raison.

Pierre Fitzgibbon, le ministre du Développement économique et de l’Innovation, issu lui aussi et encore très proche du monde des entreprises, est beaucoup plus discret sur le sujet des seuils d’immigration et préfère parler de hausse de productivité, une formule passe-partout qu’il utilise aussi dans son combat pour réduire l’écart de richesse avec l’Ontario.

On comprend que l’intégration des nouveaux arrivants préoccupe le premier ministre sortant et que le français doit devenir à tout prix la langue d’usage des immigrants afin que le Québec maintienne son statut de seul État francophone d’Amérique du Nord.

« Mais, dans les faits, 80 % de l’immigration économique au Québec est assurée par de nouveaux arrivants francophones. On a créé un partenariat de la Francophonie économique avec 27 pays signataires qui regroupent 500 millions de francophones dans le monde. On a un bassin de spécialistes que l’on peut attirer », insiste Karl Blackburn.

Natacha Mignon, avocate spécialisée en droit de l’immigration et de la mobilité, a fondé il y a six ans le cabinet Immétis, qui compte aujourd’hui 17 employés.

« On a mis sur pied une plateforme, Immijob, qui permet aux entreprises d’ici de recruter partout à l’étranger en publiant leur offre d’emploi sur notre site. On reçoit chaque jour entre 50 et 80 courriels de candidats de la francophonie.

« Le tiers des CV est en provenance de la France, un autre tiers des pays du Maghreb et enfin le dernier des pays de l’Afrique subsaharienne. Le Canada et le Québec ont une immense force d’attraction », observe la spécialiste de l’immigration.

Il y a moyen de moduler l’arrivée de nouveaux immigrants au Québec en nous assurant de leur bonne intégration. Leur apport viendra enrichir l’ensemble de notre collectivité tout en permettant à notre économie de progresser plutôt que de se replier sur elle-même comme elle semble vouloir le faire aujourd’hui.