Le débat devait venir, tôt ou tard. Il touche à ce qui est devenu une vache sacrée au Québec, soit notre fameux Fonds des générations, cet outil créé en 2006 pour mater notre endettement excessif.

Faut-il faire une croix sur le Fonds des générations, comme le propose Québec solidaire, et prendre les versements annuels de plusieurs milliards qu’on y consacre pour financer d’autres dépenses que la dette ?

Faut-il, au contraire, ne surtout pas toucher au Fonds et financer les baisses d’impôt et autres promesses avec d’autres moyens, comme le pensent le Parti libéral et le Parti conservateur ? Ou encore couper la poire en deux, comme le propose la Coalition avenir Québec ou, dans une moindre mesure, le Parti québécois ?

Selon moi, démanteler le Fonds est une très mauvaise idée. Non seulement il sert bien nos intérêts à long terme, mais en plus, il nous oblige à insérer la dette et les investissements en infrastructures dans nos équations.

Cela dit, l’idée d’en plafonner les versements ou encore d’en réduire la croissance est fort louable, que ce soit pour baisser raisonnablement les impôts, lutter contre les changements climatiques ou arrimer nos services au vieillissement de la population, par exemple.

Depuis plusieurs années, faut-il savoir, la Loi sur l’équilibre budgétaire impose au gouvernement de tenir compte, pour arriver au déficit zéro, des versements annuels à faire dans le Fonds des générations.

Le gouvernement consacre des revenus voués au Fonds, comme des redevances provenant d’Hydro-Québec et des mines, notamment. On a voulu, essentiellement, consacrer au Fonds des revenus venant de notre patrimoine territorial.

Les versements annuels, placés à la Caisse de dépôt, rapportent un certain rendement intéressant et viennent réduire notre dette collective.

Plus dopé que la santé

Or voilà, les versements voués au Fonds augmentent sans cesse avec les années. Ils passeront de 3,4 milliards cette année à 5,2 milliards dans quatre ans, selon le rapport préélectoral, ce qui constitue un bond de 50 %. En comparaison, les dépenses de portefeuille (santé, éducation, etc.) augmenteront de 15,5 %, trois fois moins.

La question de la pertinence du Fonds se pose dans le contexte où l’objectif de réduction de la dette brute — à 45 % de notre PIB — est atteint. Au 31 mars 2023, nous serons même à 40 % du PIB, proportion qui reculera à moins de 38 % au terme du mandat électoral, en 2026-2027.

Québec solidaire veut rediriger la totalité des versements du Fonds vers des dépenses courantes et pour certains investissements, notamment liés aux changements climatiques. La cagnotte déjà accumulée ne serait pas dépensée, m’assure-t-on chez QS.

Les libéraux préfèrent ne pas toucher aux versements du Fonds, comme le conservateur Éric Duhaime, quitte à financer leurs dépenses autrement, comme c’est le cas de leurs très importantes baisses d’impôt.

François Legault et son ministre des Finances, Eric Girard, jugent préférable, de leur côté, de plafonner les versements au Fonds de sorte qu’ils puissent dégager 1,7 milliard par année pour des baisses d’impôt au cours du mandat. Les versements seraient plafonnés à 3 milliards par année à partir de 2027.

Enfin, le PQ utiliserait 1 milliard de dollars du Fonds pour financer la transition énergétique.

Nos écoles, nos routes, notre climat

Les défenseurs du Fonds affirment qu’il permet aux gouvernements de profiter des bons rendements de la Caisse de dépôt. Selon le rapport préélectoral, les revenus annuels de placement du Fonds atteindraient 1,3 milliard en 2025-2026 si l’on maintenait le statu quo, et le Fonds aurait alors une valeur de presque 33 milliards (contre près de 16 milliards le 31 mars dernier).

Autre avantage : le Fonds a imposé aux divers gouvernements du Québec, peu importe leur allégeance, une grande discipline financière depuis 15 ans, ce qui nous a permis de réduire notre dette sous celle de l’Ontario et de Terre-Neuve-et-Labrador. Aujourd’hui, notre cote de crédit est meilleure que celle de l’Ontario et nos taux d’emprunt sur les marchés ont souvent été au deuxième rang des plus bas au Canada, après la Colombie-Britannique.

Enfin, disent les défenseurs, le détournement ou la réduction des versements au Fonds serait une hérésie dans le contexte où nos infrastructures — facteur d’endettement — ont grandement besoin d’amour, bien davantage que ce que la CAQ leur a consacré.

Un exemple : 56 % de nos bâtiments scolaires et 46 % de notre réseau routier est en mauvais ou en très mauvais état. Pour redresser la barre, il faudrait investir d’ici 10 ans environ 25 milliards de plus que ce que prévoit le Plan québécois des infrastructures (PQI), qui s’élève à 142,5 milliards. Et on n’a pas parlé des sommes additionnelles requises pour faire face aux changements climatiques…

Les détracteurs du Fonds, comme l’économiste Marcel Boyer, jugent que le gouvernement prend un risque indu avec l’argent des contribuables en le plaçant plutôt qu’en remboursant directement la dette. Ces craintes prennent leur sens, de nos jours, avec la hausse des taux d’intérêt et les rendements décevants des marchés.

Et il y a les arguments de Québec solidaire, qui n’a jamais prisé cet instrument lancé par le PLQ, jugeant que les besoins courants sont pressants et que le remboursement de la dette est secondaire, essentiellement.

Quoi qu’il en soit, notre première mission de désendettement est atteinte (moins de 45 % du PIB). Et le chemin pour descendre à la moyenne canadienne n’est soit plus très long, soit déjà atteint si l’on tient compte de la réelle valeur marchande d’Hydro-Québec. Les autres provinces ne disposent pas d’un tel joyau.

Lisez la chronique « Notre dette est surestimée de 46 milliards »

Démanteler le Fonds doit être hors de question, comme je le disais. Mais réduire la croissance des versements et utiliser l’excédent à d’autres fins que la seule dette n’est pas ésotérique, dans le contexte budgétaire actuel du Québec.

Pour vous en convaincre, sachez qu’une importante marge de manœuvre se dégage à l’horizon maintenant que notre dette est en contrôle. Une nouvelle cible sera fixée l’an prochain, mais une fois que cette cible sera atteinte et maintenue constante, une marge non récurrente devrait apparaître dans les 5 ans qui suivent, que j’évalue à environ 9 milliards.

Mieux encore : j’arrive à de tels chiffres pour 2027 même après avoir baissé raisonnablement nos impôts (voir la démonstration ci-dessous) ⁠1.

Bien sûr, une récession est à nos portes, la guerre crée de l’incertitude, la pénurie cause des maux de tête, le vieillissement coûtera cher, mais ce jeu de prédictions — fort incertain, j’en conviens — permet de démontrer que nos perspectives collectives changent significativement avec des finances publiques en bon ordre et un endettement sous contrôle.

Pas pour rien que les partis politiques ont d’aussi grandes ambitions. C’est à nous d’en débattre, maintenant. Et grand merci au Fonds !

1. L’an prochain, notre dette nette équivaudra à 35,3 % du PIB, proportion qui sera réduite à moins de 33 % d’ici 5 ans, prévoit le rapport préélectoral. Cette dette nette — plutôt que brute — sera le nouvel outil de mesure, comme c’est le cas au fédéral et dans les autres provinces (il s’agit de la dette brute moins les actifs financiers). Or voilà, en maintenant la cible à 35 % du PIB, par exemple — et vu la progression du PIB —, le Québec dégagerait une marge de manœuvre non récurrente de quelque 9 milliards dans 5 ans, selon mes estimations basées sur le rapport préélectoral. Et pour arriver à de tels chiffres, j’ai baissé les impôts annuels de 1,8 milliard, comme le promet la CAQ.

Dans une version précédente, il était écrit qu’une marge de manœuvre non récurrente de 6 à 12 milliards pourrait apparaître dans les 5 ans qui suivent le maintien d’une dette nette constante à 35 % du PIB. La marge était possible, était-il écrit, même après avoir baissé raisonnablement les impôts et redressé les investissements dans les infrastructures. Or, une marge de l’ordre de 9 milliards dans 5 ans, non récurrente, exclut toute nouvelle hausse annuelle des dépenses d’infrastructures.