J’ai sursauté en voyant les chiffres dans le budget. D’ici cinq ans, le gouvernement du Québec augmentera de 44 % ses paiements annuels au Fonds des générations, destinés à réduire la dette. Aucun autre poste budgétaire n’augmentera autant, pas même celui de la santé.

Ce bond de 1,5 milliard par année est surprenant, sachant que notre objectif de désendettement, fixé il y a 15 ans, a été atteint. Sachant aussi que les Québécois paient bien plus d’impôts qu’ailleurs, qu’ils ont des services publics plus étendus et que nos infrastructures ont besoin d’amour. Et je n’ai pas parlé des besoins en environnement.

Malgré tout, Eric Girard veut encore réduire la dette d’ici 15 ans, en établissant une nouvelle cible. Et les économistes au Québec proposent généralement de poursuivre les efforts avec le Fonds des générations jusqu’à ce que notre dette nette, équivalant à 39,8 % du PIB, recule à la moyenne des provinces canadiennes, de 33 % du PIB.

Fort bien. Mais voilà, le gouvernement et les économistes ne tiennent pas compte d’un facteur majeur : la valeur d’Hydro-Québec. Si l’on considérait la juste valeur de ce joyau, notre dette nette ne serait pas de 199 milliards au 31 mars 2022, mais de 153 milliards, soit 46 milliards de moins, selon mes estimations.

Dit autrement, nous ne serions pas à 39,8 % du PIB, mais plutôt autour de 30,7 % du PIB, donc déjà sous la moyenne des provinces canadiennes (33 % du PIB). D’où ma question : faut-il continuer à détourner autant d’argent vers le remboursement de la dette ?

Hydro vaut 121 milliards

Pour comprendre, il faut savoir comment nos gouvernements calculent leur endettement net. Essentiellement, ils font le cumul de leur dette brute, de laquelle ils soustraient leurs actifs financiers, comme la valeur d’Hydro-Québec. Le hic, c’est que la valeur d’Hydro prise en compte par le gouvernement est sa valeur comptable, qui n’a pratiquement aucun rapport avec sa valeur réelle sur le marché.

Pour estimer la juste valeur d’Hydro, j’ai choisi sept entreprises énergétiques relativement comparables. Et j’ai constaté que leur valeur équivaut à 14 fois leur bénéfice d’exploitation⁠1, en moyenne, ce qui, appliqué à Hydro-Québec, lui procurerait une valeur de 121 milliards de dollars !

Dans le marché, certains jugent qu’Hydro-Québec vaudrait probablement davantage que les entreprises comparées, donc plus que 121 milliards. Pourquoi ? D’abord parce qu’elle est beaucoup plus grosse (elle a deux fois la taille de son plus proche concurrent canadien). Mais surtout, parce que la totalité de son énergie est renouvelable, ce qui n’est pas le cas des entreprises comparées, qui ont souvent une composante gazière.

Quoi qu’il en soit, en retranchant la dette d’Hydro de sa valeur de 121 milliards, on obtient un avoir propre de 72 milliards, soit la somme qui resterait dans les poches du gouvernement s’il vendait Hydro, essentiellement. En soustrayant ces 72 milliards de notre dette plutôt que les 26 milliards de valeur comptable utilisés par le gouvernement, notre dette nette serait dégonflée de 46 milliards.

Certains diront qu’on ne devrait pas se soucier de la valeur marchande d’Hydro, puisqu’on ne la vendra jamais. Sauf que les agences de notation, elles, savent bien que le Québec a un joyau entre les mains, dont l’énergie bon marché nourrit nos entreprises et dont les dividendes servent à payer nos services.

De plus, le point de comparaison de notre dette est l’Alberta, Terre-Neuve-et-Labrador et la Saskatchewan, entre autres, dont l’endettement fluctue grandement en fonction d’un facteur énergétique tout autant lié au marché, soit le prix du pétrole et ses redevances. Si c’est bon pour pitou…

La Colombie-Britannique et Terre-Neuve-et-Labrador détiennent aussi chacun une société hydroélectrique, mais leur valeur est faible ou nulle, puisque toutes deux ont de gros problèmes avec un barrage. Quant à Manitoba Hydro, elle est 5 fois plus petite qu’Hydro-Québec et la dette du Manitoba pèse peu dans le calcul de la dette moyenne des provinces.

Autre objection possible : la lourdeur du service de la dette du gouvernement du Québec, soit les paiements annuels d’intérêts, qui viennent gruger le budget. Cet argument est toutefois dépassé, puisque le service de la dette a fondu depuis 15 ans. En 2006, 12,5 % de notre budget servait à rembourser les frais annuels de dette, alors que cette proportion n’est plus que de 6,4 % aujourd’hui⁠2.

J’ai longtemps été un partisan de la réduction de la dette et je pense encore qu’il faut être vigilant. Le Québec vieillit et il devra compter sur des finances saines d’ici 10 ans, moment où les vieux boomers exerceront une pression maximale sur les services publics.

De plus, l’embellie financière fera entrer nos concurrents de l’Ontario et de l’Alberta dans une phase de désendettement d’ici cinq ans, à leur tour. C’est sans compter que le Québec a une autre dette méconnue, celle de ses infrastructures mal en point. Il faudrait même 30,6 milliards demain matin pour les mettre à niveau, selon le budget des dépenses.

Mais justement, ne devrait-on pas injecter les fonds additionnels dans nos routes et nos écoles plutôt que dans la réduction accélérée de la dette ? Ou encore investir davantage dans la lutte contre le réchauffement climatique, par exemple ?

Merci au professeur émérite en comptabilité Michel Magnan, de l’Université Concordia, pour son aide dans les calculs de la valeur globale de certaines entreprises énergétiques et d’Hydro-Québec.

1. La valeur équivaut à 14 fois le BAIAA, soit le bénéfice avant impôts, intérêts et amortissement.

2. Oui, la chute s’explique par la baisse des taux d’intérêt, mais aussi par le fait que le gouvernement s’est progressivement constitué une énorme cagnotte pour payer les retraites de ses employés, dont les rendements (à la Caisse de dépôt) viennent réduire ces frais d’intérêt nets sur notre dette. Et si jamais les taux d’intérêt augmentent fortement d’ici quatre ans, le ministère des Finances estime que le service de la dette passerait à 6,8 %. On est loin de l’étau des années 1990 et 2000.