Chaque année, la Commission canadienne du lait (CCL), une société d’État du gouvernement fédéral, engage des consultants externes pour évaluer le coût de production du lait à la ferme. La CCL n’a jamais publié de données sur les coûts de production et a recommandé la plupart du temps une augmentation du prix du lait à la ferme, ce qui finit par avoir des répercussions sur les prix de détail et sur les familles canadiennes. Depuis février, les prix des produits laitiers ont augmenté en moyenne de 10 à 15 %.

Cependant, certaines données de la CCL ont récemment fait l’objet d’une fuite, ce qui nous donne une meilleure idée de la manière dont le coût de la production laitière est établi. La CCL a annoncé non pas une, mais deux hausses cette année : la première a atteint le chiffre record de 8,4 % en février, et la seconde, de 2,5 %, entrera en vigueur le 1er septembre. Sur la base des données dévoilées de la CCL, il apparaît que ces augmentations sont tout simplement non fondées.

Normalement, pour formuler ses recommandations, la CCL se base sur une enquête annuelle menée par des consultants engagés. Ceux-ci interrogent plus de 200 exploitants de fermes laitières à travers le pays pour mesurer le coût de production du lait. Récemment, les résultats de l’enquête 2021 ont été présentés lors d’une réunion confidentielle. Le coût de production normalisé est passé de 85,42 $ par hectolitre à 84,57 $ par hectolitre, soit une baisse de 1 %. Nonobstant l’augmentation record de cette année annoncée en octobre 2021, la CCL recommandait une hausse de 2 % en 2020.

Selon le rapport, certains coûts ont augmenté, comme ceux des aliments pour animaux, à 0,76 $ par hectolitre, et du carburant, à 0,28 $ par hectolitre. Mais d’autres coûts unitaires ont baissé, ce qui l’emporte sur les éléments qui coûtent plus cher. Par exemple, les coûts de la main-d’œuvre normalisée à taux fixe et de la main-d’œuvre en général ont diminué de 0,91 $ par hectolitre, et le coût en capital normalisé a diminué de 0,54 $ par hectolitre. La formule d’établissement des prix de la CCL tient compte de tous les aspects de l’élevage laitier, de l’infrastructure à la médecine vétérinaire en passant par la promotion ; tout, à l’exception des subventions accordées aux exploitants de fermes laitières pour les pertes hypothétiques découlant des accords commerciaux. La marge d’erreur de l’enquête de cette année était de 2,06 %, soit moins qu’en 2020 (2,35 %).

Cela dit, les premiers résultats de l’enquête 2022 suggèrent que les coûts augmentent, mais cela devrait avoir une incidence sur les prix en 2023, et non cette année.

Le plus décevant est le fait que la Commission canadienne du lait, dont la ministre Marie-Claude Bibeau est responsable, a probablement succombé aux pressions de l’industrie laitière en augmentant les prix à la ferme sans aucune donnée empirique. Tout est anecdotique. Cela démontre à quel point la gouvernance de la CCL est devenue un handicap pour la réputation de l’industrie et pour les consommateurs canadiens.

L’idée que la production laitière par unité puisse être moins coûteuse peut sembler contre-intuitive. Après tout, l’inflation touche tous les aspects de notre vie. Les agriculteurs, les experts du secteur et même le public canadien se sont ralliés à l’argument selon lequel tout est plus cher, même pour les exploitants de fermes laitières. Pourtant, la réalité est que de nombreuses fermes laitières fonctionnent aujourd’hui pratiquement sans aucun être humain. La technologie prend en charge les aspects les plus intensifs de l’élevage laitier.

La génétique laitière a également fait de grands progrès. Selon certaines estimations américaines, l’industrie laitière produit 60 % de lait en plus avec 30 % de vaches en moins par rapport aux années 1970. Selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, le Canada comptait 977 000 vaches laitières en 2021 et produisait 95 millions d’hectolitres de lait. En 1990, le Canada disposait d’environ 1,4 million de vaches laitières et produisait 73 millions d’hectolitres de lait. Cela représente 43 % de vaches en moins, pour une augmentation de 31 % de la production. Cela devrait permettre de réduire les coûts.

L’épisode du Buttergate de l’année dernière, lorsque les Canadiens ont appris que les exploitants de fermes laitières utilisaient des dérivés d’huile de palme importés d’Indonésie ou de Malaisie pour produire davantage de matière grasse, s’inscrit dans le même mode opératoire. Non seulement cela a rendu le beurre plus dur, mais l’utilisation de l’acide palmitique est une autre méthode permettant de diminuer les coûts tout en générant plus de revenus. Cette pratique a été interdite pendant un certain temps, mais les exploitants de fermes laitières ont renoué avec elle. Le groupe des Producteurs laitiers du Canada se contente de décourager – et non d’interdire – la pratique, car l’élevage laitier est autoréglementé avec peu de surveillance gouvernementale sur l’assurance qualité.

Cela démontre à quel point la CCL est moralement et éthiquement compromise. Elle doit immédiatement prendre ses distances avec le secteur laitier.

Plus de transparence et d’honnêteté ainsi qu’une meilleure communication amélioreraient l’image publique de la société de la Couronne. La plupart des sociétés d’État fédérales ont toujours été disposées à fournir des données permettant au public canadien de comprendre et d’apprécier leur travail, mais pas la Commission canadienne du lait.

Pendant des années, de nombreuses personnes ont prétendu que la CCL trompait le public. Nous savons maintenant que la « preuve irréfutable » de l’industrie laitière canadienne était bien réelle.