Le plan d’Ottawa sur la réduction des émissions attribuables aux engrais compromettra notre sécurité alimentaire. Les Canadiens ont jusqu’au 31 août pour s’exprimer sur ce qui est proposé.

La plupart des Canadiens n’ont jamais mis les pieds dans une ferme et ne comprennent pas bien les rouages de l’agriculture. Ainsi, il devient relativement facile d’influencer l’opinion publique sur toutes les questions liées à l’agriculture et à l’élevage. Les militants le savent bien. De nos jours, les politiques agroalimentaires s’urbanisent de plus en plus par le truchement de programmes qui poussent l’ensemble du monde occidental au bord du gouffre de la sécurité alimentaire.

Le gouvernement Trudeau vise une réduction de 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030, ce qui n’inclut pas nécessairement les engrais, mais les groupes de producteurs affirment que la réduction des émissions d’oxyde nitreux ne peut se réaliser sans réduire l’utilisation des engrais.

La plupart des engrais couramment utilisés contiennent de l’azote, du phosphore et du potassium. L’azote constitue bien sûr le problème. En termes simples, les excédents d’azote dans l’atmosphère peuvent produire des polluants comme l’ammoniac et l’ozone.

Trop d’azote contaminera les sols, les cours d’eau et potentiellement notre propre santé. Les décideurs politiques ont tout à fait le droit de s’inquiéter.

Or, Ottawa veut une réduction absolue des émissions de GES, quelles que soient la productivité ou l’efficacité associées à l’utilisation des engrais. Pour de nombreuses cultures, la capacité de nos agriculteurs à cultiver quoi que ce soit se verra gravement compromise, à moins qu’ils n’utilisent plus de terres.

Tout cela se produit alors que les problèmes de sécurité alimentaire dans le monde deviennent endémiques. Les Pays-Bas assistent actuellement à des protestations massives de la part des agriculteurs alors qu’ils se voient confrontés à des objectifs d’émissions similaires et même à des interdictions d’utiliser les engrais d’ici 2030. Le Canada n’a pas pris une décision aussi contraignante, mais il pourrait tout de même devenir le prochain pays à interdire purement et simplement les engrais.

Les répercussions d’une telle politique sur nos prix alimentaires ne sont pas claires. La corrélation entre le prix des matières premières et le prix de détail des produits alimentaires n’est généralement pas si forte, mais une politique de grande envergure ayant un effet simultané sur l’ensemble d’une industrie pourrait très bien la renforcer.

Le Canada produit des aliments pour le monde, pas seulement pour sa population. Étant donné que nous approvisionnons d’abord les autres pays, principalement les États-Unis, nos cultures deviendraient probablement moins concurrentielles. Avec des approvisionnements plus faibles, le coût des intrants pour les cultivateurs grimperait et notre compétitivité se verrait compromise.

Le plan canadien de réduction des émissions démontre également combien l’agriculture y perd au profit de politiques agroalimentaires urbanisées au maximum. Les signaux nous le démontrent depuis un certain temps ; pensons au mouvement « Pas de tonte en mai » avec l’ajout d’abeilles sur les boîtes de céréales et à ces conseils municipaux qui statuent sur l’utilisation des pesticides. Les militants utilisent avec succès des artefacts urbains pour influencer les questions politiques qui pourraient se répercuter sur l’agriculture. Les villes veulent essentiellement que les agriculteurs traitent leurs champs comme des pelouses, mais les enjeux pour l’agriculture sont beaucoup plus importants.

Le militantisme agroalimentaire s’institutionnalise depuis quelques années, ce qui signifie que les groupes d’intérêt et même les universitaires portent dorénavant le chapeau de défenseurs et utilisent la science comme une arme pour soutenir un discours qui correspond à une vision biaisée de ce que les agriculteurs devraient faire et ne pas faire. Cette façon irresponsable de dicter la politique est dangereuse.

Ottawa veut rendre l’agriculture plus verte et plus durable. Rien de mal à cela, et le secteur peut toujours faire mieux. Beaucoup de gens parlent d’agriculture régénératrice et d’économie circulaire. Ces concepts ont du mérite et peuvent aider notre secteur agroalimentaire à devenir plus efficace au fil du temps.

Même si l’agriculture a évolué au cours des cinq dernières années en adoptant des pratiques plus durables, on ne mesure pas assez l’importance de cette évolution. Les calendriers de rotation des cultures, les questions de biodiversité et l’approche sans labour ont tous rendu l’agriculture plus durable et ont déjà aidé les cultivateurs à réduire leurs émissions de GES. L’agriculture est une entreprise et la réduction des coûts fait partie de la façon dont les agriculteurs font des affaires.

Nos agriculteurs ne veulent pas répandre des engrais coûteux, car cela rendrait leur entreprise moins rentable. La plupart d’entre eux embauchent des technologues et des agronomes pour s’assurer qu’ils peuvent compter sur la réutilisation des ressources naturelles pour gagner leur vie. Ils sont les gardiens de l’environnement les plus responsables au monde. À l’heure actuelle, il serait plus approprié et moins insensé d’encourager les agriculteurs en fonction de la quantité de nourriture produite grâce à l’utilisation d’engrais.

Ottawa peut se tourner vers d’autres secteurs pour atteindre ses objectifs, mais jouer avec notre système alimentaire peut s’avérer assez périlleux.