Face à une hausse des prix nettement hors de contrôle, on s’attendait tous à ce que la Banque du Canada donne un bon tour de vis en resserrant les taux d’intérêt, mais elle a décidé d’y aller plutôt d’un solide coup de barre dans le but de casser plus rapidement la spirale inflationniste pour qu’elle cesse de prendre impunément de l’ampleur.

À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. C’est la voie qu’a décidé d’emprunter la Banque du Canada, qui a procédé mercredi à une hausse musclée de 100 points de base de son taux directeur pour le faire passer à 2,5 %. Une hausse qui commande un ajustement des taux d’intérêt des institutions financières, notamment sur leurs prêts à la consommation et hypothécaires.

Tous les économistes s’attendaient à un resserrement déjà jugé « agressif » de 75 points du taux directeur canadien, mais vu la flambée persistante des prix à la consommation, la Banque du Canada a entrepris d’accélérer le pas. Et ce n’est pas fini puisque l’institution prévient déjà qu’une prochaine hausse des taux d’intérêt est à l’agenda pour le 7 septembre.

La Banque du Canada « juge que les taux d’intérêt vont devoir augmenter davantage » au cours des prochains mois alors que « l’inflation commencera à descendre plus tard cette année pour se situer autour de 3 % à la fin de l’année prochaine et retournera à la cible de 2 % à la fin de 2024 », anticipe l’institution dans son communiqué.

C’est la première fois depuis 1998 que la Banque du Canada hausse son taux directeur de façon aussi abrupte en le relevant d’un seul coup de 100 points de base, ce qui témoigne de sa volonté de s’attaquer avec fermeté à la forte poussée inflationniste qui persiste depuis plusieurs mois et qui ne donne pas de signe réel d’épuisement.

L’inflation, qui avait progressé en un an de 7,7 % en mai, devrait se maintenir autour de 8 % au cours des prochains mois, prévient la Banque du Canada. Ironiquement, les États-Unis dévoilaient mercredi que l’inflation avait progressé de 9,1 % sur un an au cours du mois de juin. On peut maintenant présumer que la Réserve fédérale américaine va elle aussi hausser de façon costaude son taux directeur, actuellement de 1,75 %, lors de sa prochaine réunion du 27 juillet.

Changement de plans

Parmi les raisons invoquées par la Banque du Canada pour justifier son intervention « virile » de mercredi, l’institution signale que l’inflation se généralise et qu’elle n’est plus le seul fait de la hausse marquée des prix de l’énergie, de l’alimentation et du logement.

« Plus de la moitié des composantes de l’indice des prix à la consommation affichent maintenant une hausse supérieure à 5 % », souligne la banque centrale. Jimmy Jean, économiste en chef et stratège au Mouvement Desjardins, abonde dans le même sens : « 76 % des composantes de l’indice affichent des hausses de plus de 4 %, la hausse des prix ne fait qu’aller en accélérant », constate-t-il.

À quoi faut-il s’attendre maintenant ? À une nouvelle hausse marquée des taux d’intérêt en septembre ? À un brusque ralentissement du marché de l’habitation ? Au début d’une récession ?

Toutes ces questions pourraient mériter une réponse positive, seule l’évolution de la conjoncture va permettre d’y voir un peu plus clair, espérons-le, dans les prochains mois.

« On voit une certaine modération dans l’accélération des prix, notamment dans le secteur de l’énergie et de certains métaux de base, mais la situation reste très volatile et on ne peut parler de tendance encore à ce stade », observe Jimmy Jean.

Chose certaine, les prix de l’énergie, notamment ceux du pétrole et, par ricochet, celui de l’essence, sont en repli par rapport aux sommets qu’ils ont touchés au début du mois de juin lorsque le baril de pétrole américain a franchi la marque des 120 $ US le baril alors qu’il se négociait mercredi aux alentours de 96 $ US.

La forte hausse du taux directeur va impacter le secteur de l’habitation. On doit revoir nos scénarios. On prévoyait un repli des prix de l’immobilier résidentiel de 12 % d’ici la fin de 2023, ça pourrait être plus.

Jimmy Jean, économiste en chef et stratège au Mouvement Desjardins

« Mine de rien, le taux d’intérêt d’un prêt hypothécaire sur un terme de cinq ans approche les 5,5 %, ajoute-t-il. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’en haussant aussi rapidement le taux directeur, la Banque du Canada pourrait aussi le baisser plus rapidement. »

Quant au risque que ces hausses de taux d’intérêt deviennent l’élément déclencheur d’une récession, Jimmy Jean maintient qu’il n’en prévoit pas une de façon officielle, mais précise qu’on rentre tout de même dans une zone de danger.

« Le marché de l’emploi reste très vigoureux et c’est très inhabituel qu’une forte contraction se produise dans ce contexte. S’il y a un risque de récession, ce serait pour le début de 2023, mais on cible toujours une croissance de 1,1 % pour l’ensemble de l’année », expose l’économiste.

Les prochains mois seront exaltants à suivre, et on peut seulement espérer qu’ils le soient pour les bonnes raisons.