Et la nécessaire hausse des taux d’intérêt pour s’en sortir

Arrive un moment où l’inflation nourrit l’inflation. Où les consommateurs s’empressent d’acheter pour éviter les hausses de prix futures, ce qui fait monter encore davantage les prix. Et c’est un signal que la situation s’aggrave.

On a bien vu ce cercle vicieux à la fin des années 1970. C’est l’époque où les familles se sont procuré de gros congélateurs pour les remplir de pains tranchés et autres victuailles achetés au prix du jour afin d’éviter les augmentations de prix à venir. Pour geler les prix, pourrait-on dire.

On le constate aujourd’hui avec le marché immobilier. Les experts recommandent maintenant aux ménages d’acheter tout de suite afin d’éviter les hausses de prix, entre autres. Et cette frénésie accentue la montée fulgurante des valeurs, au sacrifice d’une génération de jeunes acheteurs et de locataires.

Lisez le reportage de mon collègue André Dubuc

Face à un tel phénomène d’inflation, il n’y a pas 56 remèdes. Oubliez les chèques des gouvernements, les remboursements de « taxe de bienvenue » et autres médicaments qui ne font qu’apaiser la douleur (ou pourraient même l’empirer). Le seul vrai médicament est une hausse rapide et significative des taux d’intérêt. Et plus on attend, pire ce sera.

Des taux d’intérêt plus élevés, rappelons-le, incitent les consommateurs et les entreprises à placer davantage leur argent qu’à le dépenser, ce qui modère les hausses de prix, essentiellement.

L’économiste Daniel Racette est convaincu. « L’inflation fait très mal quand ça dure. Il ne faut pas tolérer ça. Une génération complète en a souffert au début des années 1980. Les banques centrales doivent jouer leur rôle », dit le professeur émérite de HEC Montréal, spécialisé en économie monétaire.

Dans les années 1970 et 1980, l’inflation a eu de graves conséquences. Le redressement majeur des taux d’intérêt pour juguler l’inflation a précipité l’économie dans une grave crise économique, en 1981. Et une décennie plus tard, une nouvelle ronde de hausses de taux d’intérêt pour mater définitivement l’inflation a entraîné une autre récession, suivie d’une longue stagnation économique.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

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Stéfane Marion, économiste en chef de la Banque Nationale, dit carrément que les banques centrales ont fait erreur ces derniers mois.

Elles ont été complaisantes trop longtemps. Elles sont en retard dans leur réaction pour freiner l’inflation.

Stéfane Marion, économiste en chef de la Banque Nationale

Actuellement, les marchés obligataires laissent penser que l’inflation naviguera à moyen terme dans une zone de 2,5 % à 3,5 % aux États-Unis, plutôt que la fourchette de 1,5 % à 2,5 % à laquelle on a été habitués.

Et conséquemment, les marchés anticipent une hausse des taux d’intérêt de court terme de 2 points de pourcentage d’ici la fin de 2022, dit M. Marion. Au Canada, cette augmentation se répercutera sur les taux hypothécaires de diverses échéances.

Selon l’économiste, l’inflation au Canada a d’abord été provoquée par l’injection de liquidités de la Banque du Canada dans le marché pour minimiser l’impact de la COVID-19. Cette injection avait pour but de faire chuter les taux d’intérêt, mais elle a ensuite fait grimper l’inflation.

Les problèmes d’approvisionnements mondiaux des entreprises liés à la pandémie ont amplifié le phénomène, auquel s’ajoutent maintenant l’impact géopolitique de la guerre en Ukraine et le coût des mesures ESG (environnemental, social et de gouvernance).

Daniel Racette, lui, juge que l’inflation trouve essentiellement sa source dans l’injection de fonds des banques centrales. Ces liquidités ont trouvé leur chemin vers le marché boursier – où le secteur techno a explosé – ainsi que vers le marché immobilier.

« Comme vieux monétariste, je crois que l’inflation est toujours un phénomène monétaire. »

Actuellement, les taux d’intérêt réels sont très négatifs. Par exemple, un certificat de placement garanti d’un an rapporte 0,7 %, alors que l’inflation est à environ 5 %, soit un taux d’intérêt réel négatif de 4,3 %. Cet écart incite les gens à dépenser, ce qui provoque des hausses de prix.

La règle d’or pour une économie en santé, dit Daniel Racette, c’est que les taux d’intérêt réels soient proches de la croissance du produit intérieur brut réel à long terme, par exemple de 2 à 3 %.

Le 13 avril prochain, la Banque du Canada haussera fort probablement son taux directeur, peut-être de 0,5 point de pourcentage. Cette majoration ferait passer le taux de 0,5 % à 1,0 %. Les autorités monétaires veulent éviter de provoquer une récession.

Stéfane Marion, de la Banque Nationale, croit que les banques centrales canadienne et américaine ne devraient pas se contenter d’agir sur les taux de court terme, comme elles l’ont laissé entendre.

Elles devraient aussi utiliser leur bilan devenu gargantuesque avec la pandémie pour vendre leurs obligations. Cette abondance d’offres sur le marché ferait baisser les prix des obligations et augmenter les taux d’intérêt de plus long terme.

Chose certaine, les gouvernements doivent éviter de jeter de l’huile sur le feu. Malheureusement, un budget dépensier comme celui auquel on peut s’attendre du gouvernement fédéral, jeudi, accentuerait la pression sur les prix.

Assurément, l’inflation et son cercle vicieux seront l’un des plus grands défis des autorités au cours des prochaines années.