Plus que jamais, la fonction mains libres sur les téléphones est une vraie bénédiction. Combien de fois vous a-t-elle permis de travailler ou de partir une brassée de lavage en attendant de parler au service à la clientèle d’une entreprise ?

On a été forcés de s’habituer aux répondeurs qui nous demandent d’appuyer sur le 2 pour ceci et sur le 4 pour cela, avant d’entrer les 16 chiffres de sa carte de crédit, ou son numéro d’assurance sociale. Mais après avoir pitonné 28 chiffres, on ne s’habituera jamais à devoir ensuite attendre une heure et demie pour entendre la voix d’un humain.

Pourtant, depuis le début de la pandémie, c’est presque devenu un temps d’attente banal. J’exagère un peu. Mais on est davantage surpris quand ça répond en 3 minutes qu’en 54, disons… Et on connaît cette mise en garde par cœur : « Nous recevons présentement un nombre plus élevé d’appels qu’à la normale. Il se peut que le temps d’attente soit plus long qu’à l’habitude. »

Au moins, la plupart des systèmes – dans les banques, au gouvernement, dans les compagnies aériennes – nous donnent une idée du nombre de minutes ou d’heures qu’il faudra passer au bout du fil. C’est le bon côté de la chose. Ça modère les attentes. Mais ça ne diminue pas le niveau de frustration.

Vous avez été nombreux à m’écrire ces derniers jours pour dénoncer le service à la clientèle des institutions financières après avoir lu l’histoire de ce client de la BMO qui a cherché pendant des mois à revoir les diamants entreposés dans son coffret de sûreté. De décembre à la fin de mars, on ne l’a pas rappelé et on n’a pas davantage répondu à ses courriels.

Lisez le texte « Odyssée de trois mois pour revoir ses diamants entreposés à la BMO »

Une connaissance a réagi sur Facebook : « J’ai demandé à mon patron une journée de congé car je devais appeler la banque. Mon patron m’a répondu : “Es-tu fou ? Une journée, ce n’est pas assez, prends une semaine !” » Je l’ai bien ri. Mais je ne rigolais pas en lisant vos récits.

Sophie a dû annuler tous ses plans de samedi après-midi dernier pour annuler une carte de crédit. « J’ai passé deux heures et demie en attente avant d’avoir la ligne, pour ensuite me faire dire qu’il fallait me transférer à un autre département. Au final, j’ai été en attente pendant plus de quatre heures et demie pour une transaction qui a pris… trois minutes ! Complètement ridicule ! Les banques se moquent de nous et nous manquent de respect. »

En découvrant qu’il devrait attendre plus de sept heures au téléphone pour annuler sa carte de crédit, Pierre a préféré se rendre en succursale. « On m’a dit qu’on ne pouvait le faire sur place. J’ai dû insister fortement et monter un peu la voix, tout en restant très poli, pour que finalement on accepte. Tout un service pour une institution qui fait des profits records avec notre argent », déplore-t-il.

Pour sa part, Denis déplore le faible niveau de français de ses interlocuteurs lorsqu’il contacte sa banque pour des activités de courtage. « En sus, les instructions des clients sont souvent mal enregistrées, parfois non archivées, d’autres fois exécutées avec un délai inacceptable et, bien souvent, des documents sont égarés. Et je ne vous parlerai pas de l’attente au téléphone pour tenter de régulariser une situation… Bref, un désastre. »

C’est déprimant, mais avec la pénurie de main-d’œuvre qui sévit et le vieillissement de la population, je ne vois pas comment la situation pourrait s’améliorer.

D’abord, qui a envie aujourd’hui de travailler dans un centre d’appels pour se faire répéter toute la journée sur un ton exaspéré que l’attente était bien trop longue ? À la quantité de postes offerts partout, ce ne sont pas les solutions de rechange qui manquent.

D’ailleurs, Geneviève, qui travaille dans le service à la clientèle, m’écrit que le roulement d’employés est un défi quotidien. « Certaines personnes se font engager pour les formations d’été payées qui peuvent durer de six à huit semaines, et démissionnent à la fin de l’été sans même avoir pris un seul appel. »

Le vieillissement de la population est un autre défi de taille pour les entreprises, insiste Jean-Luc Geha, directeur de l’Institut de vente HEC Montréal et expert du service à la clientèle.

Déjà, ce n’est pas facile pour bien des aînés de suivre les instructions de départ qui demandent d’appuyer sur une touche précise en fonction de son besoin. Ensuite, les problèmes d’audition requièrent une dose d’empathie et d’adaptation de la part des services à la clientèle. Il faut parler lentement, vulgariser, articuler.

Au bout du compte, les appels d’aînés prennent plus de temps et cette clientèle est de plus en plus nombreuse… alors qu’il manque de monde pour répondre au téléphone. Voyez le défi !

En même temps, les banques ont les moyens de trouver une solution. Elles ne sont pas dans la même situation financière précaire que les compagnies aériennes qui, elles aussi, font poireauter leurs clients depuis le début de la pandémie. En fait, c’est plutôt l’inverse. Leurs affaires vont très bien. Alors il me semble qu’on est en droit de s’attendre à mieux d’une industrie qui a su être un exemple à d’autres égards, notamment en matière d’inclusion et de diversité au sein de son personnel.

Des réponses

J’ai demandé à la Banque Nationale, à la BMO et à Desjardins de me parler de leur service à la clientèle pour comprendre leur réalité à l’autre bout du fil. La pandémie a-t-elle encore des impacts après deux ans ? Pourquoi est-ce si difficile d’embaucher ? Quel temps d’attente moyen visent-elles et que font-elles pour y arriver ?

« Toutes les entreprises qui recrutent en centre d’appels recherchent du personnel bilingue et disponible sept jours sur sept », a répondu le porte-parole de Desjardins, Jean-Benoît Turcotti. En partant, voilà deux prérequis qui excluent bien du monde. Mais la réalité, c’est que les clients veulent pouvoir annuler leur carte de crédit le dimanche et les soirs…

À la Banque Nationale, le premier vice-président, Centre d’expérience client, Laurent Blanchard, juge qu’en 25 ans de carrière, ça n’a jamais été aussi difficile de trouver des employés. Les candidats potentiels, dit-il, ne cherchent pas uniquement un bon salaire et des avantages sociaux. « Au-delà du salaire, les gens veulent de la flexibilité, une culture d’entreprise, un leadership inspirant, donc plusieurs choses. »

Malgré les bonifications apportées depuis deux ans, la Banque Nationale précise qu’il lui manque « entre 10 et 20 % » de l’effectif souhaité. Je n’ai pu savoir combien de personnes cela représente, cette information étant jugée confidentielle.

PHOTO TIRÉE D'UNE CAPTURE D'ÉCRAN

Un client a récemment attendu plus de 8 heures au téléphone.

Chose certaine, l’impact de la pandémie a été significatif. Et pas seulement en raison de l’absentéisme élevé pour des raisons de santé. Il a fallu, pour éviter la contamination croisée, fractionner les équipes, les relocaliser dans certains édifices ou à la maison. Le recrutement et la formation des employés ont aussi été complexifiés par les mesures sanitaires.

« On voit la lumière au bout du tunnel », assure Laurent Blanchard. D’ailleurs, ajoute-t-il, le temps d’attente était de six minutes pour les questions en lien avec les cartes de crédit, mercredi midi. En bas de cinq, « c’est satisfaisant », juge-t-il.

Chez Desjardins, on m’assure que malgré la pénurie d’employés, le temps d’attente est « actuellement inférieur à 70 secondes ». Et que même si c’est déjà très acceptable, de nouvelles façons d’améliorer l’expérience sont déployées, dont l’authentification des clients par la voix. Cette nouvelle technologie permet de réduire le temps des appels.

« De plus, nous déployons progressivement une assistante virtuelle qui permet aux membres et clients de converser de façon naturelle avec une intelligence artificielle qui permet de diriger l’appel au bon endroit », annonce Jean-Benoît Turcotti.

La BMO n’a pas répondu à mes questions, mais s’est excusée pour « les délais d’attente plus longs que d’habitude » en raison d’une augmentation des appels depuis le début de la pandémie. L’origine de cette hausse n’a pas été précisée, mais la Banque assure qu’elle continue d’investir pour améliorer l’expérience de ses clients.