En cette ère où tout est informatisé et sauvegardé dans les nuages, les coffrets de sûreté des banques sont à la fois anachroniques et rassurants. Mais quand on se demande pendant trois mois où le sien est rendu, et que personne n’a de réponse, la chambre forte devient plutôt l’illustration d’un service à la clientèle déficient.

François Deschênes est abasourdi par les « démarches surréalistes » qu’il a été forcé de faire pour revoir et prendre dans ses mains les bijoux de sa sœur décédée. Un collier et des boucles d’oreilles à diamants « de bonne valeur », qu’il avait déposés dans un coffret de sûreté à la BMO, il y a une dizaine d’années.

L’affaire débute en novembre 2021, lorsqu’il découvre que sa succursale bancaire du boulevard Saint-Laurent, à Montréal, est déménagée. Pour être certain que son coffret a bien suivi, il se présente à la nouvelle adresse. C’est la mi-décembre.

Surprise : l’employé est incapable de déterminer où se trouve le coffret, car il ne trouve pas le carton sur lequel figurent certaines informations essentielles, dont son numéro, raconte François Deschênes. On promet de le rappeler rapidement.

Toujours sans nouvelles après les Fêtes, François Deschênes retourne en succursale. Même scénario. Il entre dans la chambre forte avec sa clé, mais impossible de trouver le coffret sans le fameux carton. Et le système informatique de la BMO n’est d’aucune aide.

Je n’ai jamais assisté au déménagement d’une banque, mais j’imagine que tout est fait dans les règles de l’art. Que ce n’est pas le beau-frère qui transporte la paperasse, l’argent et les coffrets de sûreté des clients avec son pick-up. Mais où est ce fichu carton ? Mystère.

En février, une demande est transmise au siège social. « Investigation sur le coffre du client, ne localisons pas la fiche du coffre + pas entrée dans le système. Investigation : rechercher contrat du coffre + vérifier coffres envoyés à Revenu Québec », y est-il écrit. En mars, François Deschênes veut des nouvelles. Mais l’auteur de la requête sera absent pour une durée indéterminée. Il écrit illico à la directrice de la succursale, mais n’obtient pas davantage de réponses.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Aperçu de coffrets de sûreté dans une banque montréalaise

« J’ai commencé à m’impatienter. J’ai contacté l’ombudsman qui m’a suggéré de voir avec la directrice de la succursale… la même femme à qui j’avais écrit ! »

En fouillant dans ses affaires, François Deschênes finit par retrouver le numéro de son coffret, qu’il avait oublié. Il retourne à la BMO. On le laisse tourner la clé dans la serrure. Ça fonctionne, mais on ne lui permet pas de regarder à l’intérieur, raconte-t-il, puisque la banque est incapable de faire le lien entre lui et le coffret. C’est le côté rassurant de l’affaire.

Mais François Deschênes se questionne. Et si on ne lui avait pas permis de jeter un coup d’œil au contenu parce que le coffret était vide ? Il s’invente des scénarios hollywoodiens…

« Plus le temps avance, et plus je réalise que ce n’est pas sérieux. Un coffret, c’est censé protéger nos biens, mais c’est géré tout croche. C’est la nature du produit qui est symbolique. »

***

Mercredi, j’ai contacté la BMO pour comprendre ce qui avait pu se passer. Le jour même, François Deschênes a reçu un appel d’excuses de la banque. Le lendemain, la directrice de la succursale lui a donné accès à son coffret. Tout y était. La sixième visite fut la bonne.

« Si quelqu’un se présente à la BMO pour accéder à son coffret et qu’il n’y arrive que trois mois plus tard grâce à l’intervention d’une journaliste, c’est un problème », s’indigne le Montréalais. Heureusement qu’il n’avait pas besoin du contenu rapidement.

À la BMO, la porte-parole Marie-Catherine Noël m’a assuré que « tous les coffrets de sécurité, les clés, les papiers ont été déménagés en bonne et due forme ». Mais elle n’a pu m’expliquer ce qui s’était produit « pour des raisons de confidentialité ».

Quant à François Deschênes, il ne l’a pas su davantage. Maintenant que tout est réglé, il est plutôt insulté par l’absence de réponses à ses courriels et de suivi.

Au-delà du côté loufoque de cette histoire, il faut y voir un exemple patent de la dégradation du service à la clientèle. Avez-vous essayé d’appeler une banque dans la dernière année ? Une collègue de La Presse a récemment attendu en ligne pour régler une affaire de carte de crédit pendant… 8 heures et 19 minutes !

J’essaie aussi d’obtenir des réponses auprès de la banque émettrice de ma carte. Le temps d’attente est toujours supérieur à deux heures, me prévient-on d’emblée. Alors je raccroche. Et j’utilise un autre mode de paiement. L’été dernier, quand j’ai voulu ouvrir un compte de banque à mon fils dans une autre institution, on m’a dit en succursale de procéder en ligne. En ligne, on m’obligeait à aller en succursale. Au téléphone, les employés me disaient une chose et son contraire.

La pénurie de personnel a certainement un impact. Mais cet argument semble avoir le dos large. Tout comme la pandémie, d’ailleurs. J’ai plutôt tendance à y voir une forme d’apathie alimentée par le fait que les clients se sentent assez captifs de leur banque et que le niveau de concurrence est faible.

« Je dirais que le service est de mauvaise qualité dans toutes les banques et que c’est encore pire pour les cartes de crédit », résume le directeur de l’Institut de vente HEC Montréal et expert du service à la clientèle Jean-Luc Geha. C’était vrai avant la pandémie et ce l’est encore plus aujourd’hui, dit-il, car le travail à distance amène des enjeux de sécurité et de supervision du personnel.

En plus, la technologie nous joue des tours. Elle nous permet de faire plusieurs choses par nous-mêmes. Ce qui veut dire que lorsqu’on prend le téléphone, c’est pour des affaires compliquées. « Il ne reste que les cas lourds qui prennent beaucoup de temps. »

C’est ça, le progrès ?