Bien malin qui aurait pu prédire qu’en 2022, nous serions affligés à la fois par une guerre en Europe, une pandémie mondiale et un niveau d’inflation inégalé en trois décennies au Canada. Mais nous y voilà, face à un puissant trio qui n’épargne pas les investisseurs.

Quand on regarde les nouvelles, c’est normal d’avoir un petit serrement au cœur.

En 35 ans de carrière, le planificateur financier et président du cabinet De Champlain Groupe financier, Sylvain De Champlain, n’avait jamais vu une telle conjoncture. « Les multimillionnaires sont aussi inquiets que les petits jeunes qui ont 5000 $ dans un CELI ! »

La baisse des marchés boursiers depuis janvier doit toutefois être mise en contexte. Elle survient après trois ans de hausses marquées, rappelle l’expert, dont le « premier réflexe » est de dire qu’« on était dus ».

Mais ça ne veut pas dire que le yoyo de la Bourse est facile à vivre. Alors, on ferme les yeux, on ne regarde plus ses rendements et on attend que la tempête passe sans bouger ?

Non, répond Sylvain De Champlain. Le moment est opportun pour faire quelques actions. Comme investir immédiatement dans son REER (actions, fonds communs, fonds négociés en Bourse) et son CELI, plutôt que d’attendre en janvier prochain. Quand le prix de son vin préféré baisse, ce n’est pas le temps de fuir la SAQ, mais d’acheter des caisses de bouteilles, illustre-t-il. De tels investissements permettront de profiter du rebond.

PHOTO FOURNIE PAR SYLVAIN DE CHAMPLAIN

Sylvain De Champlain, planificateur financier et président du cabinet De Champlain Groupe financier

C’est aussi l’occasion d’avoir une bonne conversation avec son conseiller financier et de rééquilibrer son portefeuille.

Des obligations qui appauvrissent

Tous ceux qui possèdent un fort pourcentage d’obligations doivent faire des choix difficiles, car elles ne rapportent pratiquement plus rien dans le contexte où l’inflation a atteint 5,7 % en février. « C’est la pire classe d’actifs au moment où on se parle », résume Richard Guay, ex-président de la Caisse de dépôt et professeur de finance à l’ESG UQAM.

Rendement des obligations canadiennes

2 ans : 1,59 %
5 ans : 1,74 %
10 ans : 1,96 %
30 ans : 2,26 %

Source : Financière Banque Nationale, en date du 11 mars

« Quand il y a de l’inflation de plus de 3 %, c’est une garantie qu’on va s’appauvrir. Donc, pour moi, c’est la chose à éviter. Ce qui est trompeur avec les obligations, c’est que ça donne l’illusion de préservation du capital », tranche aussi François Rochon, gestionnaire de portefeuille et fondateur de Giverny Capital.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

François Rochon, gestionnaire de portefeuille et fondateur de Giverny Capital

Or, bien des retraités utilisent justement les obligations pour préserver leur capital et par souci de sécurité.

Malheureusement, il faut avoir « une vision lucide de la vie » et accepter qu’il n’existe plus rien de « stable et garanti », poursuit François Rochon.

« Je pense que ces personnes devraient se tourner vers les actions et accepter plus de volatilité. Je n’ai pas d’autres solutions. Quand on est à la retraite et qu’on n’a pas d’autres sources de revenus que notre capital, l’objectif numéro un est de rester en avant de l’inflation pour ne pas voir son pouvoir d’achat réduire chaque année. On peut décider de vivre dans l’appauvrissement, mais ce n’est pas constructif. »

Évidemment, cela demande de la planification supplémentaire et ajoute du stress, mais c’est le prix à payer pour ne pas s’appauvrir, croit celui qui se décrit comme un « fan » des actions.

L’une des solutions pour un retraité mal à l’aise avec la volatilité des marchés est de se tourner vers les actions privilégiées de banques, suggère Richard Guay, puisqu’elles rapportent 4 % en dividendes. « C’est beaucoup plus stable que la Bourse et la probabilité que le dividende soit coupé est presque de zéro. » En outre, le dividende est moins imposé que les intérêts versés par les obligations.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Richard Guay, professeur de finance à l’ESG UQAM

L’effet des guerres

Les images tragiques qui nous viennent d’Ukraine nous arrachent le cœur. Et il serait plus qu’indélicat de penser que cela pourrait nous profiter financièrement d’une manière ou d’une autre. Mais il s’avère qu’historiquement, les guerres ont souvent eu un effet positif sur les marchés boursiers.

Banque Nationale Investissements (BNI) a analysé le comportement du S&P 500 lors de 15 conflits militaires survenus depuis 80 ans. Son constat : la baisse des indices est plus sévère avant l’évènement (c’est rarement une surprise totale) qu’après. D’ailleurs, les marchés ont reculé en janvier, avant l’invasion russe.

Le mois précédant la guerre, le rendement moyen est de - 2,1 %, tandis que les 3 mois suivants donnent la plupart du temps lieu à des gains (moyenne de + 3,7 %). Et le recul maximal moyen a été d’environ 12 %, ce qui n’est pas très loin de la réalité de cette année.

« Bien entendu, ces tendances historiques ne garantissent rien pour la suite, d’autant plus que les prochains gestes de la Russie semblent dépendre de la volonté d’un seul homme. Toutefois, elles démontrent la nature anticipative des marchés boursiers qui ont certainement escompté bien des inquiétudes depuis le début de l’année », écrit BNI.

En somme, les experts s’attendent à une bonne année 2022 sur les marchés. L’inflation pourrait favoriser certains types d’entreprises qui bénéficient de la hausse des prix (supermarchés, magasins), tandis que les compagnies d’assurances profitent généralement des hausses de taux d’intérêt. La fin de la pandémie devrait par ailleurs stimuler la consommation (voyages, sorties, vêtements) des ménages qui ont épargné comme jamais depuis deux ans.

Chose certaine, la situation actuelle nous permet de vérifier quelle est notre véritable tolérance au risque, pas celle, théorique, qu’on a inscrite sur les papiers fournis par notre institution financière.