On peut voir la file d’attente comme un moment de pause dans nos vies trop remplies. Mais généralement, c’est plutôt une perte de temps, voire une source d’irritation majeure. Les yeux au plafond, on soupire en attendant son tour, même quand on est forcé d’avancer dans un corridor bordé de mille et un articles prétendument attrayants.

En fait, le paiement est l’un des désagréments les plus susceptibles de saboter une expérience d’achat.

Qui n’a pas déjà abandonné un article qu’il avait décidé de se procurer en voyant une file trop longue ? Qui n’a jamais été frustré en constatant que la queue d’à côté était pas mal plus rapide que la sienne ? À quand remonte votre dernière impatience devant un employé qui se démène pour régler un problème d’imprimante ou de logiciel ?

La bonne nouvelle, c’est que les détaillants cherchent des remèdes pour éradiquer ces contrariétés qui poussent les consommateurs vers les achats en ligne.

La Vie en Rose fait partie de ceux qui ont décidé de s’attaquer au problème. « Ça fait six ou sept ans que je cherche une solution », m’a raconté le vice-président responsable des technologies, Éric Champagne, dans le magasin du Centre Eaton. Il était fébrile, car le détaillant de lingerie et de maillots était sur le point de commencer à tester une nouvelle façon de payer qui n’implique aucune caisse ni aucun employé. En théorie, du moins.

Les clients peuvent en effet conclure le paiement de leurs achats tout seuls, avec leur téléphone, même si les caisses traditionnelles demeurent en place, ce qui est primordial. J’ai fait le test. Il suffit de balayer un code QR pour tomber sur un site où l’on doit entrer (à la première utilisation puisque les données seront sauvegardées) le numéro de sa carte de crédit, son nom et son adresse, comme si on achetait sur l’internet. On balaie aussi le code à barres des articles qu’on veut se procurer et voilà, la transaction est conclue. On peut alors quitter le magasin.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

La Vie en Rose teste une technologie au Centre Eaton qui permet aux clients de conclure leur achat avec leur téléphone, une innovation technologique dont rêve depuis longtemps le vice-président responsable des technologies, Éric Champagne.

Si les employées peuvent éviter les transactions simples et se concentrer sur les affaires compliquées, ça va permettre un meilleur service à la clientèle.

Éric Champagne, vice-président responsable des technologies, La Vie en Rose

Car moins de temps passé à la caisse, c’est plus de temps consacré au conseil, le but n’étant pas de supprimer des emplois. De toute façon, avec la pénurie de main-d’œuvre, le détaillant est plutôt à la recherche de bras.

Au moins 80 % des transactions pourraient se faire avec un téléphone, calcule Éric Champagne. Les retours et les échanges devront continuer de passer par le personnel, bien évidemment.

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Les essais avec de vrais clients ont débuté le 14 mars. Ceux-ci étaient accompagnés par une employée, notamment pour limiter les vols à l’étalage – le plus gros enjeu –, en attendant qu’une solution soit trouvée. Après deux jours, un problème technique mineur a cependant forcé une mise sur pause du projet pilote.

En plus, si on est le seul client en boutique, une transaction traditionnelle risque d’être plus rapide. Mais à certains moments de grande affluence, comme la veille de la Saint-Valentin, le paiement autonome peut être drôlement pratique, pas de doute là-dessus.

Reste maintenant à voir le niveau d’intérêt des consommateurs pour cette technologie développée par la jeune entreprise montréalaise Leav qui rêve de conquérir le secteur de la mode, mais aussi celui des quincailleries et, pourquoi pas, du meuble. « On est la seule entreprise à proposer cette solution en Amérique du Nord », soutient le président et cofondateur Olivier Roy, 23 ans.

Ailleurs dans le monde aussi, l’idée de transformer les clients en caissiers fait son chemin.

En Belgique, tous les IKEA seront dotés « avant l’été » d’une technologie similaire à celle testée par La Vie en Rose, un test dans la ville de Hasselt ayant été concluant, selon le magazine en ligne Retail Detail. La promotion du « Scan & Go » est faite par des employés postés à l’entrée du magasin et le code QR menant à l’application est affiché sur les chariots.

Tous les clients de Walmart aux États-Unis ont également accès à cette façon de payer qui a été testée au Canada avant d’être abandonnée en 2020.

La Vie en Rose est en avance sur les tendances. Dans quelques années, les clients seront déçus quand ils verront qu’ils doivent passer à une caisse.

Carl Boutet, stratège en commerce de détail

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En attendant cette petite révolution au Québec, les grandes chaînes se tournent vers les caisses libre-service. Cela leur permet de pallier le manque de personnel et de réduire le temps d’attente des clients.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Les grandes chaînes misent sur les caisses libre-service.

La technologie s’est grandement améliorée depuis 15 ans, ce qui permet un essor significatif dans les supermarchés, les grandes surfaces (IKEA, Walmart) et les pharmacies, ainsi qu’un niveau d’adoption plus élevé des consommateurs. Vous rappelez-vous comment les premiers modèles nous donnaient du fil à retordre ? C’était clair que ce n’était pas au point et que des changements devraient être apportés.

Chez Dollarama, on a commencé à installer des caisses libre-service il y a plus de deux ans, afin que les clients puissent conclure leurs achats plus rapidement dans les succursales à fort volume lors de périodes précises, comme l’heure du dîner près des tours de bureaux, par exemple. Plus tard, principalement dans la dernière année, cette technologie a eu l’avantage d’atténuer les effets de la pénurie de main-d’œuvre, précise la chef de l’exploitation, Johanne Choinière. « C’est sûr que dans certaines régions, ça nous aide grandement. Les employés ont plus de temps pour remplir les tablettes. »

Les caisses traditionnelles n’ont pas été enlevées, car certaines personnes ne sont pas à l’aise avec cette technologie, et le client a toujours le choix entre les deux types de caisses, assure-t-on.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Comme de nombreuses grandes chaînes, Dollarama s’est doté de caisses libre-service.

La pandémie joue aussi un rôle dans la popularité de cette coûteuse technologie, car « les consommateurs veulent passer le moins de temps possible dans les magasins », observe Maxime Cohen, professeur et codirecteur de la recherche au Laboratoire d’innovation en commerce de détail de l’Université McGill.

Autre facteur : la popularité des achats en ligne. Cette concurrence accrue pour les commerces sur la rue les force à offrir une expérience facile, fluide, pratique et plaisante, énumère Maxime Cohen, afin de demeurer pertinents.

Mais la volonté d’éliminer les files d’attente a ses limites. Je ne voudrais pas qu’on me force, par exemple, à scanner les 42 aliments dans mon panier d’épicerie, surtout à cause des fruits et légumes qui viennent toujours compliquer l’affaire.

Et lorsque je choisis la caisse libre-service, je souhaite qu’un employé allumé soit à proximité pour m’aider en cas de pépin ou de question.

Voudrais-je payer un réfrigérateur avec mon téléphone directement à côté du démonstrateur ? Peut-être bien. L’important est d’avoir le choix, du moins pour un certain temps. On s’est habitués à apporter nos sacs réutilisables… Peut-être finira-t-on un jour par trouver que l’idée d’avoir des caisses et des caissières dans certains types de commerces était bien curieuse !

De grandes chaînes innovent

Super C et Metro

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Au Super C de Boucherville, les clients sont encouragés à peser eux-mêmes leurs fruits et légumes directement dans le rayon des fruits et légumes.

Ceux qui ont déjà acheté des fruits dans une épicerie en Europe le savent, bien souvent, on ne peut se présenter à la caisse avec des bananes ou des pommes qui n’ont pas été préalablement pesées. Il faut faire soi-même le boulot, directement dans le rayon des fruits et légumes, afin d’obtenir un code à barres à coller sur le sac. Au Québec, des balances libre-service ont été installées parmi les brocolis et les oranges dans 90 Metro et 95 Super C. Cette technologie est « particulièrement commode pour les clients qui utilisent les caisses libre-service », explique la porte-parole Marie-Claude Bacon, tout en précisant que le déploiement se poursuit. En outre, cette façon de faire permet de réduire le temps d’attente aux caisses traditionnelles. Le système est vraiment très simple et efficace. Et il permet de savoir d’avance combien nous coûtera ce sac de raisins ou ces trois belles oranges à 2,99 $ la livre.

Décathlon

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Décathlon utilise la technologie RFID.

Il y a moyen de payer ses achats sans que personne – ni vous ni un employé – ne balaie le code à barres des produits que vous avez choisis. Comment ? Au moyen de la technologie RFID (de l’anglais radio frequency identification). Celle-ci est notamment utilisée par le détaillant français d’articles de sport Décathlon. Il suffit de laisser tomber ses achats dans une grosse boîte et le tour est joué ! Toutes les étiquettes RFID sont détectées, le solde à payer est calculé automatiquement. Et ça ne prend qu’une seconde. Si un article est trop gros pour la cuve, un scanneur à main est accessible. Le système est d’une simplicité désarmante pour les clients, mais il demeure peu utilisé par d’autres commerces en raison de son coût élevé.

Couche-Tard

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Un Couche-Tard sans caissier ni caisse

Le dépanneur à l’angle des rues McTavish et Sherbrooke Ouest, à Montréal, est devenu en janvier 2021 le premier au pays à fonctionner non pas sans caissier, mais carrément sans caisse. On s’y identifie de façon numérique en entrant, on prend ce qu’on veut et on ressort. La facture nous est envoyée par courriel et le paiement passe sur notre carte de crédit. Un astucieux système de caméras permet à Couche-Tard de savoir exactement ce qu’on avait dans les mains en sortant des lieux. Le système ressemble à celui des dépanneurs Amazon Go et de quelques supermarchés Whole Foods Market des États-Unis surnommé « Just Walk Out ». Dans un récent sondage de GetApp, pas moins de 80 % des Québécois se disaient intéressés par les commerces sans caisses, mais 62 % craignaient que cela contribue à l’automatisation ou à la réduction des emplois. D’autres ne souhaitent pas utiliser leur téléphone pour magasiner (57 %), craignent les dysfonctionnements (48 %) ou ont peur de ne pas être à l’aise avec la technologie (45 %) ou de regretter le manque d’employés (43 %).

Apple et Sephora

PHOTO NINON PEDNAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Chez Sephora, le téléphone intelligent remplace parfois la caisse.

Dans les magasins à la grosse pomme blanche, il n’y a pas de caisses. Les employés font payer les clients en utilisant un iPhone. Cette méthode est parfois utilisée chez Sephora pour alléger une file d’attente qui s’allonge trop devant les caisses. La Vie en Rose aurait pu se tourner vers cette solution, mais on a préféré que les clients concluent les transactions avec leur propre appareil. Le vice-président technologie de l’information, Éric Champagne, y voit plusieurs avantages : aucun bris d’équipement possible, pas de gestion des téléphones qui n’ont pas été rechargés ou qui disparaissent et un investissement moindre.