Les automobilistes qui n’avaient jamais entendu parler des chocs pétroliers de 1973 et de 1979 ont largement eu le loisir depuis le début de l’année – et de façon plus foudroyante encore depuis deux semaines – de vivre leur choc pétrolier personnel directement à la pompe.

Avec un litre d’essence à près de 2 $ qui vient nourrir une inflation déjà vorace, voilà qu’on évoque de plus en plus en Europe le scénario d’une possible stagflation. Est-ce que cette menace doit nous inquiéter ?

Stagflation ? Vous avez bien dit stagflation ? Eh oui, on en est rendu à parler de ça. Après la pandémie et la guerre, voilà que le mot stagflation ressurgit de plus en plus dans le vocabulaire des économistes – surtout européens – qui cherchent à décrire quel sera le comportement prévisible de l’activité économique dans la zone économique européenne.

Pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler : on parle de stagflation (contraction des mots stagnation et inflation) lorsque l’activité économique fait du surplace ou est en légère régression et que l’inflation se fait galopante, entraînant du même coup une hausse importante du chômage.

On ne parle toutefois pas ici de récession, qui se définit comme la contraction de l’activité économique.

Les premiers épisodes de stagflation ont été observés pendant le premier choc pétrolier de 1973 lorsque, dans la foulée de la guerre du Kippour entre Israël et une coalition de pays arabes, les pays exportateurs de pétrole ont décidé d’augmenter de 70 % le prix du pétrole et de réduire de 25 % leur production.

En l’espace de quelques semaines, le prix du baril de pétrole a été multiplié par 4, passant de 3 à 12 $, ce qui a entraîné une flambée de l’inflation, une hausse du taux de chômage et une réduction de l’activité économique dans les pays importateurs de pétrole.

Le même phénomène s’est reproduit en 1979 lorsque les exportations de pétrole iranien ont été fortement réduites en raison de la révolution islamique et de l’avènement de la République islamique d’Iran. En quelques mois, le prix du baril de pétrole a doublé, passant de 20 à 40 $.

Une période de stagflation a suivi, mais a rapidement fait place à l’importante récession de 1981, lorsque l’inflation a atteint notamment des taux de 13 % en France et de 12 % au Canada.

Cette coïncidence de forte inflation, exacerbée par une forte hausse des prix de l’énergie, amène plusieurs économistes européens à évoquer le spectre de la stagnation en Europe, comme l’ont fait récemment des textes dans le journal Le Monde ou le Financial Times.

Des réalités et des trajets différents

Est-ce que l’économie canadienne pourrait elle aussi se retrouver en mode de stagflation ? Jimmy Jean, vice-président et économiste en chef du Mouvement Desjardins, est loin d’envisager un tel scénario. Le Canada et l’Europe n’opèrent pas sur le même fuseau conjoncturel, estime-t-il.

« La stagflation est une éventualité possible pour l’Europe, mais je crois qu’il y a plus de chances qu’une récession s’y produise. La croissance n’est pas aussi forte qu’en Amérique du Nord, le potentiel économique est moins vigoureux dans les pays européens qui ne sont pas aussi engagés dans la reprise post-pandémique que nous le sommes.

« Dans les années 70, les prix du pétrole ont monté en raison d’embargos ; aujourd’hui, on parle d’une guerre qui implique la Russie, dont beaucoup de pays européens dépendent pour leurs besoins énergétiques », constate dans un premier temps l’économiste.

Au Québec, au Canada et en Amérique du Nord, le contexte économique est nettement plus favorable. Déjà, les données préliminaires pour le mois de janvier sont très positives, tout comme les derniers chiffres sur l’emploi pour février.

« La stagflation implique un haut taux de chômage. Nous, on vit en situation de pénurie d’emplois, on n’est pas dans un scénario de stagflation. Oui, l’inflation est forte, oui, les prix des aliments et de l’essence sont élevés, mais ces deux items représentent chacun 16 et 6 % du panier de consommation des citoyens. Ça reste vivable », souligne Jimmy Jean.

Au cours du dernier cycle économique, l’Europe n’affichait pas la même énergie que celle observée en Amérique du Nord. On est habitué, en Europe, à enregistrer des trimestres de contraction économique avant de reprendre le dessus.

La Banque centrale d’Allemagne, observe Jimmy Jean, prévoyait que le pays allait aligner deux trimestres consécutifs de croissance négative en raison de sa sortie de la crise Omicron, alors on peut imaginer que les effets d’une guerre brutale qui se déroule tout juste à côté et qui implique son plus important fournisseur d’énergie aient un impact considérable sur son activité.

L’économie canadienne va être touchée par la forte inflation induite par la hausse des prix du pétrole et des aliments, le taux de croissance va être affecté à la baisse, mais on est encore loin d’appréhender une hausse marquée du taux de chômage et une stagnation de l’activité économique.

En savoir plus
  • « La stagflation est une éventualité possible pour l’Europe, mais je crois qu’il y a plus de chances qu’une récession s’y produise. »
    — Jimmy Jean, vice-président et économiste en chef du Mouvement Desjardins