Est-il encore possible au Québec de mener à terme un projet de développement minier d’envergure sans qu’il doive au préalable échouer pour ensuite faire l’objet d’un sauvetage en catastrophe par Investissement Québec (IQ) ?

C’est un peu l’impression qui se dégage des naufrages récents de Nemaska Lithium et Métaux BlackRock, deux importants projets d’extraction et de production de métaux spéciaux, qu’Investissement Québec tente de ressusciter.

Nesmaska Lithium prévoyait exploiter la mine de lithium de Wabouchi, à 300 km au nord de Chibougamau, et transformer le minerai en hydroxyde de lithium, qui sert à la fabrication de batteries de véhicules, dans une usine à Shawinigan. L’entreprise devait lancer ses opérations à la fin de 2019.

Malgré un montage financier complexe qui a permis à Nemaska Lithium de lever 1 milliard de dollars, l’entreprise a dû se placer sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies en décembre 2019.

Raisons de ce revirement soudain de situation ? Les coûts du projet ont subitement explosé, au point de nécessiter 400 millions de financement additionnel, une trop grosse commande pour Nemaska Lithium.

Métaux BlackRock, pour sa part, projetait d’exploiter un gisement de fer au lac Doré, situé à 20 km au sud de Chibougamau, pour y extraire du minerai de fer-vanadium qui serait transformé dans une fonderie à construire à Grande-Anse, au Saguenay.

BlackRock prévoyait amorcer à l’été 2020 la production de fonte brute et de vanadium, des métaux utilisés notamment pour réduire le poids et augmenter la résistance de l’acier pour la fabrication de véhicules et de matériaux de construction. Le coût du projet était estimé à 1,1 milliard US.

En décembre dernier, ce fut au tour de Métaux BlackRock de recourir à la protection des tribunaux pour éviter la faillite. Après plus de deux ans de démarches partout dans le monde, l’entreprise a été incapable de réunir le financement de son projet milliardaire.

Dans le cas de Nemaska Lithium, c’est Investissement Québec, l’un des deux créanciers garantis de l’entreprise, qui a repris le dossier avec comme partenaire égal la société britannique d’investissement minier Pallinghurst. La firme Orion Resources Partners a conservé une dette garantie de 150 millions.

Chez Métaux BlackRock, la suite des choses n’est pas encore déterminée. IQ et Orion Resources Partners, qui étaient les deux seuls créanciers garantis, ont proposé de reprendre l’entreprise à la valeur de leur investissement de 90 millions. D’autres groupes d’investisseurs pourraient présenter une offre de rechange au cours des prochaines semaines.

La course à obstacles aux minéraux stratégiques

On le sait, la course mondiale à la carboneutralité a mis une pression énorme sur la découverte et l’exploitation de gisements de minéraux stratégiques comme le lithium, le magnésium, le graphite, le niobium ou les terres rares que l’on retrouve un peu partout dans le monde, mais en concentration intéressante au Québec.

Le problème, c’est qu’il faut créer un marché avant de pouvoir commencer à extraire et transformer ces minéraux. Financer la construction d’une mine d’or, d’argent ou de cuivre (pour rester dans l’esprit olympique) est drôlement plus simple que de développer un gisement de minerai stratégique, parce que l’or s’échange quotidiennement sur les marchés et qu'on lui prête même les vertus de valeur refuge.

Lorsque Osisko a entrepris de creuser sa mine d’or à ciel ouvert à Malartic en 2009, la minière a été en mesure de lever 1 milliard en pleine crise financière, parce que de l’or, c’est de l’or.

Malgré ses attraits indéniables et l’explosion attendue de la demande, le marché des minéraux stratégiques est beaucoup plus opaque.

Ce sont les acteurs industriels qui vont déterminer quels vont être leurs fournisseurs et leur décision s’appuiera bien sur des critères de qualité, mais aussi sur l’accessibilité de la matière et sur la capacité des producteurs à bien fournir leur chaîne d’approvisionnement, et tout ça, bien sûr, au meilleur prix.

En fait, les entreprises qui consomment les métaux spéciaux sont plus à la recherche d’un environnement intégré. Pour elles, le développement minier est secondaire, l’important, c’est d’avoir accès à des métaux de qualité qui répondront aux spécificités des produits qu’elles vont fabriquer et de faire en sorte que ces métaux s’intègrent bien à leur chaîne d’approvisionnement.

De leur côté, les financiers veulent avoir des garanties avant d’investir dans un projet de développement d’un gisement minier assorti d’une usine de transformation, ils veulent savoir à qui vous allez vendre, combien vous allez en vendre et à quel prix avant d’injecter des centaines de millions dans un montage financier.

Pour que des projets de l’envergure de Nemaska Lithium et de Métaux BlackRock puissent voir le jour, il faut une planification à toute épreuve dans un environnement marqué par une pénurie de main-d’œuvre spécialisée et des coûts en forte augmentation, ce qui vient compliquer leur réalisation.

Voilà pourquoi IQ se retrouve aujourd’hui au cœur de la relance de ces projets miniers avortés tout en cherchant à s’associer avec des partenaires stratégiques qui lui permettront de mieux articuler le déploiement de cette filière intégrée des métaux spéciaux.

Remarquez, IQ n’en est pas à son premier sauvetage dans le secteur minier. Il y a trois ans, l’institution a dû réaliser avec la Caisse de dépôt et placement du Québec une opération d’urgence pour racheter Stornoway Diamonds, qui éprouvait de graves difficultés financières en raison de coûts d’exploitation trop élevés et de prix déprimés pour le diamant. Après avoir perdu 110 millions dans l’aventure, IQ espère maintenant rentabiliser son investissement depuis que Stornoway est redevenue profitable.

En 2016, IQ s’est associée à la firme australienne Champion Iron pour racheter, au prix d’une chanson, les installations de Cliffs Resources du lac Bloom à Fermont, sur la Côte-Nord. Trois ans plus tard, en 2019, IQ a revendu sa participation à Champion en réalisant un profit net de 110 millions. La reprise de projets miniers avortés, ça peut donc être payant, tout est question d’opportunisme et de bonne synchronisation.