Que le gouvernement veuille imposer une contribution santé aux non-vaccinés n’est pas étonnant.

Certains pourraient voir dans l’intention de François Legault une manœuvre politique. Après tout, le premier ministre ferait plaisir aux nombreux électeurs qui en ont ras le bol des non-vaccinés. Et comme 90 % des Québécois de 12 ans et plus sont vaccinés, François Legault a beau jeu d’« emmerder » les récalcitrants, comme dit Emmanuel Macron.

Mais à l’évidence, les intentions de l’homme d’État sont bien davantage dictées par l’engorgement monstre de nos hôpitaux que par la politique. La crise est intolérable.

Et selon le tableau de bord du ministère de la Santé, les « non-vax » représentent 34 % des patients hospitalisés avec la COVID-19 depuis un mois et 47 % des malades aux soins intensifs. Or, ils représentent moins de 10 % des Québécois de 12 ans et plus, ceux qui sont susceptibles d’être hospitalisés.

Consultez le tableau de bord

Mais quelle contribution faut-il leur imposer ? Et veut-on seulement leur faire payer la facture ou fixer un niveau suffisamment élevé pour les inciter à se rendre dans un centre de vaccination ? Ou les deux à la fois ?

François Legault parle d’un montant significatif et, pour lui, « 50 $ ou 100 $, ce n’est pas significatif ».

Pour avoir une idée de la contribution, il faut d’abord faire estimer le fardeau qu’ils imposent au système de santé. Et, plus précisément, calculer des économies que le réseau aurait faites si les non-vaccinés s’étaient fait piquer deux ou trois fois, ce qui aurait fait dégonfler leur présence dans les hôpitaux.

Selon les données disponibles, le risque d’hospitalisation des récalcitrants est 7,1 fois plus grand que celui des vaccinés et leur taux de fréquentation des soins intensifs, 13,8 fois plus important. En reprenant ces proportions, on est à même d’estimer qu’avec leur vaccination, il y aurait eu environ 237 patients de moins aux soins intensifs depuis 28 jours et 924 de moins à l’unité ordinaire (hors soins intensifs).

Sachant qu’un séjour COVID coûte 50 000 $ aux soins intensifs et 15 000 $ autrement, on peut estimer que le refus des non-vaccinés d’obtempérer a coûté 26 millions de dollars au gouvernement depuis 28 jours.

Bref, on est à près de 1 million de dollars par jour. C’est beaucoup de bidous !

Quelle contribution faut-il leur imposer ?

Parmi les Québécois de 12 ans et plus, les non-vaccinés sont au nombre de 609 000. Une contribution santé de 43 $ imposée à chacun permettrait de couvrir les 26 millions du dernier mois. Sur une année complète, ça donnerait 500 $ chacun.

Certains objecteront que la situation critique du dernier mois ne durera pas un an, et donc qu’une facture annualisée de 500 $ serait abusive. Peut-être.

En revanche, les coûts d’une hospitalisation COVID, estimés par l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), sont des moyennes. Actuellement, chaque nouveau patient qui se fait hospitaliser coûte bien davantage que les 15 000 $ ou 50 000 $, vu les impacts énormes sur l’ensemble du réseau et sur le fonctionnement social⁠1.

Et ces 500 $, auraient-ils un effet sur leur vaccination ?

L’ancien sous-ministre Claude Garcia en est convaincu. « Quand tu touches le portefeuille des gens, ça fait réagir. Ça ne les convaincra pas tous, mais certains, assurément », dit celui qui a été président de l’assureur Standard Life pendant 11 ans.

L’ex-adéquiste croit qu’il s’agit d’une bonne idée, qui « va remonter le moral des vaccinés », mais juge qu’il faudrait faire varier la contribution en fonction du revenu, comme pour l’assurance médicaments publique. Le montant pourrait aussi être moindre pour les enfants non vaccinés de 5 à 11 ans.

Selon lui, une telle contribution ne contreviendrait pas à la Loi canadienne sur la santé, puisqu’elle ne serait pas liée à l’accès aux soins, comme l’aurait été un ticket modérateur, rejeté par la Loi. Il s’agirait tout de même d’une première contribution associée au risque de maladie (on ne le fait pas pour les fumeurs ou d’autres comportements risqués).

L’économiste Michel Poitevin, de l’Université de Montréal, pense qu’une contribution de 500 $ aurait « probablement » un certain effet. Le professeur d’économie devient cependant sceptique quand on se penche sur les modalités d’application.

L’imposera-t-on sur la déclaration de revenus annuelle, auquel cas elle serait trop peu visible et trop tardive pour avoir des impacts ? Ou encore, fixerait-on une contribution au prorata du nombre de mois au cours desquels on était ? À une date donnée ?

Le diable est dans les détails, comme disent les anglos. Michel Poitevin croit préférable d’élargir l’application du passeport vaccinal à certains autres commerces.

D’autres n’y sont pas favorables, comme Gaston De Serres, médecin-chef de l’unité immunisation de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). « J’ai un malaise avec cette approche, car elle risque de toucher les laissés pour compte, ceux qui ne se sont pas fait vacciner pour d’autres raisons que leur opposition au vaccin », dit-il.

On peut penser aux personnes sans-abri, à celles qui ont des problèmes de santé mentale, qui ont une méconnaissance du français et de l’anglais ou qui n’ont pas de facilité avec les rendez-vous sur l’internet, comme l’expliquait ma collègue Judith Lachapelle.

Lisez « Non, les personnes non vaccinées ne sont pas toutes antivaccins »

Soit. Mais ces personnes sont-elles vraiment nombreuses parmi les 609 000 non-vaccinés ? Et le gouvernement ne pourrait-il pas trouver une façon de les dispenser de la contribution, selon la situation ?

La crise dans les hôpitaux est devenue intolérable pour le personnel et la population. Et elle porte préjudice à un grand nombre de Québécois qui doivent céder leur place aux malades de la COVID-19.

Dans un tel contexte, une contribution santé, si ses modalités sont bien établies, est un outil additionnel dont on peut difficilement se passer. Et ça demeure moins compliqué et contraignant qu’une vaccination obligatoire.

1. En termes économiques, on dit que les coûts marginaux excèdent de beaucoup les coûts moyens actuellement.