La population s’offusque souvent du salaire de nos élus, surtout lorsqu’il dépasse le chiffre symbolique de 100 000 $. Quoi, mes taxes servent à financer le gros train de vie d’un ministre, d’un maire ? Scandaleux !

La volonté de certains nouveaux jeunes maires de réduire leur rémunération remet sur le tapis cet épineux dossier. Entre autres, Stéphane Boyer, de Laval, et Catherine Fournier, de Longueuil, souhaitent amputer leur paye de 30 000 $ et 65 000 $, respectivement1.

J’ai une opinion différente de celle de la moyenne des ours à ce sujet. En quoi est-il scandaleux, par exemple, que la mairesse de Montréal gagne 196 000 $ par année, dites-moi, sachant qu’elle gère des problèmes complexes quotidiennement, comme les récents meurtres d’adolescents ?

Sachant qu’elle est l’ultime responsable d’un budget de 6,2 milliards, d’une ville qui compte 28 000 employés et 1,8 million d’habitants, et qu’elle fait donc des semaines de fous, avec un niveau de stress à l’avenant ? Après tout, la mairesse gagne 3,5 fois le salaire moyen au Québec, pas 165 fois, comme certains patrons d’entreprises inscrites en Bourse avec le même nombre d’employés.

Selon moi, au contraire, Valérie Plante n’est pas suffisamment payée, comme c’est le cas du premier ministre du Québec, d’ailleurs (206 000 $). Mais gare à elle si un conseiller osait proposer d’augmenter sa rémunération…

Ne pas payer nos élus adéquatement risque de coûter plus cher, au bout du compte. Certains élus, pour compenser, pourraient se laisser tenter par des enveloppes brunes. Ou encore, « arrondir » certains règlements municipaux pour ne pas écorcher des entreprises susceptibles de les embaucher après leur passage en politique.

Cela dit, l’incohérence dans la rémunération relative des maires est tout aussi déplorable. Comment justifier le fait que le maire sortant de Blainville, dont le budget avoisine les 100 millions, gagnait 184 000 $, soit presque autant que Valérie Plante (196 000 $), responsable d’un budget 60 fois plus important ? Ou que l’ex-maire de Québec Régis Labeaume (187 000 $), qui avait des responsabilités autrement plus lourdes ?

Pour mieux saisir la question, il faut savoir que le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation du Québec (MAMH) a peu de contrôle sur la rémunération des élus. Depuis 2018, en vertu d’une loi, il revient aux villes de fixer le salaire de leurs maires et autres élus.

Selon le site d’information du MAMH, « la rémunération doit être fixée par un règlement du conseil municipal adopté par une majorité des deux tiers, incluant la voix de la mairesse ou du maire ». Cette rémunération doit être publiée sur le site web de la Ville et dans son rapport financier annuel. La divulgation doit inclure, notamment, le salaire de base, l’allocation de dépenses et les sommes versées pour les fonctions occupées sur un organisme supramunicipal2.

Avant 2018, le MAMH fixait un salaire minimum et maximum pour les élus, en fonction du nombre d’habitants, mais depuis 2018, il n’y a plus de maximum.

Fort bien. Le hic, c’est qu’aujourd’hui, le salaire des maires des principales villes se ressemble, même si leurs responsabilités, la complexité de leurs tâches et la taille des villes varient considérablement.

L’Union des municipalités du Québec (UMQ) a conçu un guide il y a quelques années, qui tient compte de divers critères.

Au lieu de s’en remettre au seul nombre d’habitants, l’UMQ a ainsi proposé d’établir une zone de rémunération liée à la complexité de la municipalité. Cinq critères servent à évaluer cette complexité : la population desservie, les services rendus (police, sécurité incendie, aréna, etc.), la présence de partenaires locaux ou régionaux sur le territoire (hôpitaux, écoles, cégeps, etc.), la superficie du territoire et, enfin, les aspects géographiques du territoire.

En fonction de ces critères, l’UMQ suggérait, pour 2015, une fourchette de rémunération pour les maires. Pour 2021, si on tient compte de l’inflation, la fourchette oscillerait entre 60 000 $ et 129 000 $ pour les villes de 50 000 à 100 000 habitants, ce à quoi peuvent s’ajouter une allocation de dépenses et un régime de retraite.

Pour les villes de taille plus grande, l’UMQ juge que son outil est mal adapté. Un guide rafraîchi devrait être proposé dans les premiers mois de 2022.

Bref, en vertu de cet outil, le maire d’une ville de moins de 75 000 habitants, par exemple, devrait gagner 129 000 $, pas plus. Et même, le plafond serait fixé à 103 000 $ pour les villes de moins de 50 000 habitants.

Que penser, alors, du salaire du maire de Varennes, Martin Damphousse, qui a touché 205 269 $ en 2020 alors que la municipalité compte quelque 21 500 habitants ? Ou de celui de La Prairie (26 500 habitants), qui a gagné près de 140 000 $ en 2020 ?

Le gonflement de la paye de ces derniers s’explique par leur présence à des comités suprarégionaux, bien rémunérés, situation qui n’est pas prise en compte dans le guide de l’UMQ. Il reste que la question se pose : jusqu’à quel point le rôle des maires de ces petites villes n’est-il pas, justement, de siéger aux conseils régionaux, ce pour quoi ils reçoivent leur salaire de base ? Ou encore, est-ce leur salaire de base qui est alors trop élevé ?

Quoiqu’il en soit, il serait souhaitable que la rémunération des maires soit mieux ajustée à la taille relative et à la complexité de leur ville. Certaines rémunérations de moyennes municipalités apparaissent excessives, mais celle de Montréal, en revanche, est visiblement bien trop basse pour servir de référence.

Désormais, il pourrait être possible que la paye avoisinant les 190 000 $ de Québec, Laval et Longueuil servent justement de plafond de référence pour le reste des villes. À méditer.

1. Leur rémunération totale passerait ainsi de quelque 249 000 $ à 185 000 $ pour Catherine Fournier et de 221 000 $ à quelque 190 000 $ pour Stéphane Boyer.

2. L’apport de l’employeur au régime de retraite des élus n’est pas inclus dans la rémunération rendue publique. La plupart des maires des grandes municipalités sont assujettis au Régime de retraite des élus municipaux (RREM), dont le montant de crédit de rente attribué pour une année donnée équivaut à 2 % du salaire admissible.