C’est l’histoire d’un francophone qui a décidé d’échanger les points accumulés sur sa carte de crédit de la Banque Nationale contre un ordinateur portable. Une transaction banale comme il s’en fait des milliers. Sauf que, dans son cas, ça s’est transformé en bataille linguistique. Le chirurgien retraité tenait à ce que son nouveau MacBook Air, d’Apple, soit muni d’un clavier en français.

Rosaire Vaillancourt avait beaucoup de points sur sa carte World Elite Mastercard. Assez pour se procurer un portable qui en requiert 231 140. En septembre, il décide de procéder à la transaction en ligne, mais constate qu’il ne peut choisir la langue du clavier. Il prend donc le téléphone et contacte la Banque Nationale pour savoir comment faire pour obtenir un clavier dans sa langue maternelle.

D’après ce qu’il a compris, c’était la première fois que le service à la clientèle faisait face à cette question. Une préposée lui aurait même dit que les claviers francophones n’existaient pas.

C’était très mal connaître les produits informatiques, et la ténacité surtout de son interlocuteur lorsqu’il est question des droits des francophones. Rosaire Vaillancourt a demandé à parler à un autre employé, plus sénior, qui a fini par lui assurer qu’il préciserait dans sa commande la langue du clavier.

PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

Rosaire Vaillancourt

« Je sais évidemment qu’on peut programmer un clavier en n’importe quelle langue, mais c’est très utile, quand même, quand le marquage physique des touches correspond à cette programmation », raconte-t-il.

Moins d’une semaine plus tard, Rosaire Vaillancourt reçoit son nouvel ordinateur. Celui-ci est dans une boîte brune qui ne spécifie pas la langue du clavier. Il n’ose pas l’ouvrir pour vérifier, de peur de ne plus pouvoir le retourner.

Il contacte Apple avec le numéro de série. Mais le fabricant ne peut répondre à sa question. Il se tourne alors vers une entreprise de Montréal, Helix Global Solutions, dont le nom apparaît sur la boîte. Ce gestionnaire de programmes de récompenses lui confirme alors que malgré ses précautions, il avait reçu un ordinateur sans les touches é, ù et à.

Après avoir discuté avec le service à la clientèle, le résidant de la région de Québec reçoit un courriel lui expliquant que le vendeur, « après plusieurs tentatives », n’a pas été « en mesure de trouver l’inventaire pour le bon MacBook ». Helix Global Solutions (dont le site web est unilingue anglais) lui envoie donc un bon de retour, et lui promet un ordinateur dans la langue de Molière.

Le MacBook Air tant espéré est finalement livré en novembre. Après que Rosaire Vaillancourt, débrouillard, eut lui-même fait des pieds et des mains. Et après qu’il eut écrit au président de la Banque Nationale, Louis Vachon. Frustré qu’un francophone soit ainsi servi par une banque francophone ayant son siège social à Montréal, il tenait mordicus à dénoncer la situation.

On peut se faire livrer un MacBook Air anglais en moins d’une semaine par Récompenses à la carte, mais il faut se battre et insister pour en avoir un, du moins j’espère, avec un clavier [français]. Il serait positif que la Banque Nationale fasse preuve de diligence et surtout d’une volonté à traiter également ses clients francophones et anglophones.

Rosaire Vaillancourt

La réponse est venue du vice-président Communications et Responsabilité sociale de la Banque Nationale, Claude Breton. Prenez une bonne respiration.

« En présumant de notre mauvaise foi, vous concourrez à nourrir la polarisation et la fragmentation sociale. Au risque de vous décevoir, nous croyons d’abord au dialogue, au respect et au vivre ensemble. Et c’est ce que nous continuerons de faire », lui a-t-il écrit dans un courriel, le 8 novembre.

Je ne sais pas si c’est le feuilleton linguistique provoqué par le président unilingue anglophone d’Air Canada quelques jours auparavant qui a teinté le ton particulier de cette réponse. Mais parler de « fragmentation sociale » me semble un peu fort.

Rosaire Vaillancourt n’était-il pas dans son droit de réclamer qu’une banque québécoise lui donne un ordinateur muni d’un clavier pour francophone ?

Il y a quelques jours, le site Récompenses à la carte, où l’on peut échanger ses points de la Banque Nationale contre des cadeaux, permettait de choisir la langue du clavier du MacBook Air. Voilà une chose de réglée, on dirait bien. Rosaire Vaillancourt n’ose pas prétendre qu’il est à l’origine de ce changement.

J’ai demandé à Claude Breton, de la Banque Nationale, ce qui s’était passé. L’un de ses collègues m’a répondu ceci par courriel : « J’ai validé et le choix de commander un clavier en français (Canada) a toujours été possible, mais l’information n’avait pas été précisée sur le site web du Plan de récompenses. Nous avons depuis apporté le rectificatif à l’aide d’un menu déroulant sur le site. » La préférence linguistique pouvait cependant être mentionnée au téléphone.

Cette histoire nous montre qu’au-delà des lois censées protéger le français au Québec, il faut souvent, comme individu, mener ses propres petites batailles. Même contre une banque québécoise, dirigée par un francophone.