Le gouvernement du Québec l’a bien compris : le maintien au travail des travailleurs expérimentés est une des solutions à la pénurie de main-d’œuvre. Toutefois, il appert que sa généreuse mesure fiscale pour l’encourager ne donne pas de résultats probants.

Ce constat surprenant vient d’une équipe de trois chercheurs de la Chaire de recherche sur les enjeux économiques intergénérationnels, dirigée par l’économiste Pierre-Carl Michaud. Dans une analyse publiée lundi, ils estiment que le crédit d’impôt pour prolongation de carrière n’a guère permis de hausser le taux d’emploi des personnes de 60 ans et plus davantage que la tendance des dernières années.

Les observations de la Chaire sont importantes dans le contexte où le gouvernement abordera cet enjeu dans son mini-budget du 25 novembre prochain. Et étant donné que la mesure coûte 333 millions par année.

Pour vérifier l’efficacité de la mesure, les chercheurs ont comparé le taux d’emploi des personnes de 60 ans et plus du Québec avec celui de l’Ontario. Ils ont également fait la comparaison avec le groupe d’âge précédent – les 55-59 ans – qui n’a pas droit au crédit d’impôt. Le taux d’emploi est la proportion de personnes d’un groupe d’âge qui occupe un emploi.

À première vue, le crédit semble inciter les personnes de 60 ans et plus à rester ou à retourner au travail. De fait, leur taux d’emploi est passé de 40,2 % en 2012 – lorsque la première forme du crédit a été mise en place – à 48,6 % en 2019, soit la dernière année d’analyse de la Chaire, avant l’anormale année pandémique 2020.

Or, le taux d’emploi du Québec des personnes de 60 ans et plus était en hausse bien avant l’arrivée du crédit. Et depuis la bonification et l’élargissement de la mesure aux 60-64 ans entre 2016 et 2019, l’accroissement relatif du taux d’emploi par rapport à l’Ontario n’a pas été plus important que celui des 55-59 ans.

« Le taux d’emploi augmente pour diverses raisons, mais ça ne semble pas être le crédit d’impôt qui explique cela », me dit Pierre-Carl Michaud, l’un des auteurs de la note d’analyse.

Le Québec rattrape l’Ontario

Depuis une quinzaine d’années, le taux d’emploi des 60 ans et plus progresse davantage qu’en Ontario. En 2006, par exemple, leur taux d’emploi était de 46,4 % en Ontario, contre 34,2 % au Québec, soit un écart de 12,2 points de pourcentage favorisant l’Ontario. Cette différence a fondu, passant à 9,9 points en 2011 à 6,9 points en 2019.

Pour savoir si le crédit a joué un rôle, il faut vérifier s’il a permis d’accélérer ce rattrapage avec l’Ontario, notamment après 2016. Or, les chercheurs ont constaté seulement une modeste amélioration. Surtout, pendant la même période, le taux d’emploi des 55-59 ans du Québec a significativement dépassé celui de l’Ontario.

Autrement dit, c’est comme si, dans un groupe de personnes malades, celui à qui l’on administre un placebo (les 55-59 ans) guérit mieux que celui à qui l’on donne la pilule active (le crédit d’impôt chez les 60 ans et plus).

Qu’est-ce qui explique l’apparente inefficacité de la pilule ? D’abord, la mesure fiscale incitant au travail les aînés est peu visible, explique M. Michaud. Le crédit d’impôt est non remboursable, ce qui signifie que les bénéficiaires en voient les effets seulement un an plus tard, au terme de leur déclaration de revenus. Et encore faut-il qu’ils paient des impôts, ce qui n’est pas le cas des personnes à faible revenu.

Chose certaine, les aînés connaissaient visiblement mal les effets nets de la mesure fiscale, si je me fie aux réactions des lecteurs à mes récentes chroniques sur le sujet.

La Chaire juge qu’il serait plus efficace de remplacer la mesure par une sorte de prime au travail pour les aînés, versée en cours d’année, par exemple tous les trois mois.

Cette prime serait accordée même pour les personnes de 60 ans et plus qui paient peu ou pas d’impôts, comme c’est souvent le cas des faibles revenus. Pierre-Carl Michaud suggère tout de même de réserver la prime aux travailleurs à faibles ou moyens revenus, pas aux hauts revenus.

Selon l’économiste, une autre mesure risquerait d’être efficace, soit un congé de cotisation à Retraite Québec accordé aux entreprises pour les 60 ans et plus. Y auraient droit les employeurs qui mettraient en place des mesures dites actives pour la rétention des plus âgés (semaines réduites, vacances additionnelles, horaire compressé, etc.).

Selon les chercheurs, la hausse du taux d’emploi des travailleurs expérimentés ces dernières années s’explique surtout par la vigueur économique au Québec, le travail moins manuel (dur pour le corps) et le taux de scolarité plus élevé des nouvelles cohortes d’aînés (les personnes plus scolarisées travaillant plus longtemps).

La Chaire estime que si le taux d’emploi des 60-69 ans, actuellement de 36,7 %, continuait sa progression des dernières années pour atteindre 45,5 % en 2030, les finances publiques du Québec auraient un solde budgétaire de quelque 1,5 milliard plus élevé. Et advenant qu’on parvienne à atteindre le seuil de 50 % en 2030, l’effet sur le solde budgétaire serait de 2,1 milliards.

Consultez l’analyse de la Chaire de recherche sur les enjeux économiques intergénérationnels