Dans les sondages, les gens sont presque toujours favorables aux grands projets publics, qu’il s’agisse de ponts, de routes ou de réseaux de trains, peu importent les coûts.

La raison est simple : le citoyen moyen n’a pas idée de ce que représentent les milliards de dollars d’investissements requis pour réaliser ces projets, qui paraissent souvent emballants. On sait ce que signifient une épicerie de 400 $, une voiture de 30 000 $ ou une maison de 500 000 $, mais pas un investissement de 10 milliards de dollars.

Il nous est donc venu à l’idée de comparer la valeur d’un investissement de 10 milliards dans le REM de l’Est, à Montréal, ou de 9,5 milliards dans un pont-tunnel à Québec avec d’autres investissements ou dépenses.

Premier point de comparaison : le résidentiel. Quelque 10 milliards, c’est la valeur de toutes les propriétés résidentielles de Saguenay – unifamiliales et autres – et 2 milliards de moins que la valeur de celles de Terrebonne. Ces deux municipalités comptent 147 400 habitants et 119 400 habitants, respectivement.

Avec ces 10 milliards, donc, on pourrait se payer tout le parc résidentiel d’une municipalité de taille moyenne. Dans le contexte de la pénurie de logements, ce n’est pas négligeable.

Un investissement de 10 milliards, c’est aussi l’équivalent de la valeur des maisons unifamiliales de Lévis. Pas étonnant que 76 % des résidants de Lévis soient favorables au pont-tunnel, d’autant que leur maison prendra de la valeur avec ce troisième lien vers Québec.

On pourrait faire bien d’autres comparaisons pour illustrer l’importance des projets. Avec 10 milliards, on pourrait offrir des soins dentaires gratuits pendant plus de 20 ans aux Québécois gagnant 90 000 $ ou moins. Ou encore, étatiser toutes les écoles privées pendant 25 ans. Ou même – puisqu’il est question de transport et de climat – de rendre gratuits pendant 10 ans les transports collectifs de la région de Montréal.

Vous me suivez ? D’où l’importance de s’assurer des effets bénéfiques de nos investissements publics, et de comparer leurs avantages et inconvénients.

Or, pour le troisième lien Lévis-Québec, comme pour le REM de l’Est, il n’est pas clair que les avantages sont si importants eu égard aux inconvénients.

Le premier nourrira l’auto solo – et le réchauffement climatique – pour permettre à un nombre plutôt limité d’utilisateurs de diminuer leur temps de déplacement. Le second exigera des compromis urbanistiques majeurs à Montréal et ses effets sur l’achalandage global ou la réduction des GES sont mitigés.

Réparer nos écoles

Pour ma part, la priorité devrait être la réfection de nos écoles et de nos routes. Actuellement, 56 % de nos écoles sont dans en mauvais état (37 %) ou très mauvais état (19 %), selon ce qu’indique le plus récent Plan québécois des infrastructures (PQI) du gouvernement du Québec. Pour le réseau routier, c’est 46 %.

C’est inacceptable. On a trop vu d’écoliers fréquenter des bâtiments remplis de moisissures et mal ventilés. Des automobilistes briser leurs véhicules avec les nids-de-poule.

L’enjeu est majeur. L’entretien de nos ponts, de nos routes et de nos égouts a été tellement négligé par le passé qu’aujourd’hui, les cônes orange paralysent la circulation.

Imaginez demain si l’on prend encore plus de retard. Les réfections essentielles qui sont reportées, faut-il savoir, causent des dégâts qui finissent par coûter plus cher que les problèmes d’origine. Réparer le toit d’une maison qui coule est coûteux, mais laisser l’eau s’incruster dans les murs au fil des ans multiplie la facture.

Combien faudrait-il investir pour remettre nos infrastructures en bon état ? Prenons l’exemple des écoles.

Au Québec, la valeur de remplacement des écoles et bâtiments scolaires avoisine les 60 milliards de dollars. Pour remettre nos écoles en bon état, il faudrait investir environ 12 milliards d’ici 10 ans.

Or, selon le plus récent PQI, le gouvernement a prévu de mettre seulement 5,2 milliards pour effacer le déficit de maintien d’actifs, comme il l’appelle. Il manquera donc près de 7 milliards pour effacer de notre parc d’immeubles les 56 % d’écoles et bâtiments scolaires en mauvais et en très mauvais état.

Constat semblable pour les 31 000 km de routes et 9700 ponts et autres structures de notre réseau routier. Québec prévoit d’investir 13,2 milliards d’ici 10 ans pour ramener les 46 % de cas en mauvais état à un niveau satisfaisant. Or, pour redresser la barre, il faudrait vraisemblablement deux fois plus d’investissements, selon mes estimations1.

Bref, pour remettre en bon état nos écoles et nos routes, il faudrait ajouter autant d’argent à long terme (13 milliards + 7 milliards) qu’on veut en consacrer au REM de l’Est et au pont-tunnel Québec-Lévis2. Et je n’ai pas parlé des hôpitaux, des cégeps et des égouts.

Je sais, rénover de vieilles infrastructures n’est pas très sexy. De tels projets ne font pas vibrer les fibres entrepreneuriales de nos politiciens ni ne rapportent de votes aux élections.

Il reste qu’avant d’ajouter de nouveaux ponts ou de nouvelles infrastructures qu’il faudra entretenir – à moins d’être essentiels ou porteurs pour notre développement –, on aurait intérêt à rattraper nos négligences du passé et retaper nos vieilles structures.

1. La valeur du réseau routier au Québec est de 94 milliards, m’indique le ministère des Transports du Québec. Pour le maintenir en bon état, il faudrait injecter environ 2 % par année de sa valeur, soit près de 19 milliards sur 10 ans. Or, Québec n’a prévu que 10,5 milliards, ce qui créera un déficit de maintien d’actifs de 8,5 milliards environ. Ce déficit s’ajoutera à la portion non comblée du déficit actuel, de 4,9 milliards, ce qui porte à environ 13,4 milliards le total qu’il faudrait investir pour effacer totalement les 46 % du réseau en mauvais état.

2. Le financement pour ces projets, précisons-le, viendrait du provincial, du fédéral et de notre Caisse de dépôt et placement.

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