Sortir du pétrole, ce n’est pas rien. Il faut lever notre chapeau à la Caisse de dépôt et placement, qui serait la première grande institution à le faire au Canada. Son geste sera diffusé partout dans le monde et pourrait en inspirer d’autres.

Cette initiative n’est toutefois qu’un des éléments de sa stratégie climatique. Et au cœur de son plan figure surtout un indicateur qui pourrait avoir pour effet, paradoxalement, de faire augmenter l’empreinte carbone de son portefeuille de placements d’ici 2030, plutôt que de la diminuer, malheureusement.

Comment est-ce possible ? Suivez-moi.

Dans sa stratégie, la Caisse explique vouloir réduire de 60 % l’intensité en carbone de ses placements d’ici 2030. Dit autrement, elle veut que les gaz à effet de serre (GES) émis par les entreprises dans lesquelles elle investit diminuent, que les GES par million de dollars de son portefeuille reculent.

En 2020, c’était 49 tonnes par million de dollars investis. En 2030, ce sera 32 tonnes par million, soit une réduction de 60 % par rapport à 2017, espère la Caisse.

Mais il y a un hic. D’ici 2030, le portefeuille de la Caisse de dépôt continuera de grossir, comme ceux de la plupart des fonds de retraite dans le monde. Et il grossira probablement plus vite que la réduction des GES de chaque million de dollars investis.

Résultat : l’empreinte carbone du portefeuille de la Caisse n’aura pas diminué de 60 % en 2030, comme on peut le penser, elle pourrait avoir plutôt augmenté de 50 %…

Pour faire un tel constat, j’ai pris les chiffres du Rapport d’investissement durable de l’institution et projeté que son portefeuille croîtra au même rythme qu’au cours des 10 dernières années, soit de 8,6 % par an.

En termes concrets, les entreprises du portefeuille de la Caisse émettaient 49 tonnes de GES par million de dollars au 31 décembre 2020. Comme l’actif pris en compte par la Caisse pour ce calcul s’élevait à 333 milliards de dollars, les GES du portefeuille totalisaient 16 millions de tonnes en 2020.

À la fin de 2030, avec un rendement annuel de 8,6 %, l’actif de la Caisse passerait à 760 milliards. Et la cible de -60 % (32 tonnes de GES par million) se traduirait par une empreinte globale de 24 millions de tonnes.

Bref, ces 24 millions de tonnes seraient 50 % plus gros que les 16 millions de tonnes de 2020. La Caisse aurait donc une empreinte plus grosse qu’aujourd’hui, pas plus petite.

La Caisse est loin d’être la seule à baser sa stratégie sur cet indicateur. Dans l’industrie du placement, la réduction de l’intensité carbone des investissements est courante. Quand la Caisse parle de 60 % de réduction d’ici 2030, le fonds ontarien TEACHERS avance le chiffre de 67 %, par exemple (1).

Le problème avec cet indicateur réside dans la croissance importante des portefeuilles. La Caisse n’en est pas responsable, en soi : tous les cotisants du monde veulent que leurs placements rapportent de bons rendements à long terme pour avoir une belle retraite.

Selon mes calculs, la Caisse devrait se contenter de voir son portefeuille croître de 4,3 % par année d’ici 10 ans pour que l’empreinte carbone de son portefeuille reste stable par rapport à 2020, soit deux fois moins que le rendement annuel de 8,6 % de la dernière décennie.

À ce rythme, les déposants de la Caisse n’auraient possiblement pas suffisamment d’argent pour leur retraite, et les émissions de GES ne diminueraient pas, mais resteraient stables.

Questionnée au sujet de cet indicateur, la Caisse me dit qu’elle suit les meilleurs standards planétaires, appuyés par l’ONU. En l’utilisant, elle a pu réduire l’empreinte globale de son portefeuille depuis 3 ans, la faisant passer de 21 tonnes en 2017 à 16 tonnes en 2020.

Autre argument : la croissance du portefeuille de la Caisse ne devrait pas être semblable à celle de la dernière décennie (8,6 % par an), notamment en raison des décaissements. Enfin, la Caisse pourrait avoir une plus grosse part du gâteau planétaire des placements en 2030, ce qui suppose que d’autres investisseurs auraient une moins grosse part.

La démonstration montre tout de même la faiblesse de cette mesure de réduction de l’intensité du carbone, semblable à celle qu’utilisaient les conservateurs de Stephen Harper pour lutter contre les changements climatiques.

Tout n’est pas négatif pour autant. D’abord, la Caisse a largement dépassé les objectifs de réduction de l’intensité qu’elle s’était fixés en 2017, comme elle me l’explique. Cette intensité carbone des placements a reculé de 38 % depuis 3 ans, alors que l’objectif était de 25 % sur 8 ans.

Pour y arriver, la Caisse a pris des moyens motivants : chaque équipe de gestionnaires a un budget carbone à ne pas dépasser pour ses investissements, budget qui diminue chaque année. Et les gestionnaires qui excèdent leur plafond sont punis, en quelque sorte, puisque leurs bonis sont réduits en conséquence.

Autre point : il est bien possible que ces gestionnaires motivés dépassent leur cible de réduction de l’intensité de 60 % d’ici 2030. En effet, la réduction de 38 % qu’ils ont obtenue depuis trois ans fait partie du 60 %. On pourrait donc dire, en simplifiant grossièrement, qu’il reste 22 % de l’effort à faire d’ici 9 ans alors que les 38 % ont été faits en trois ans seulement. C’est mon pari, pas celui de la Caisse.

Il reste à espérer, outre la question de l’indicateur bancal, que le retrait de la Caisse ou d’autres investisseurs des énergies fossiles diminuera l’attrait du pétrole, et ne sera pas plutôt comblé par d’autres investisseurs qui y verraient une occasion de placement. Car la consommation de pétrole, malgré tout ce qu’on peut en dire, continue d’augmenter, inexorablement.

1– L’intensité des placements de l’Ontario Teachers Pension Plan serait de 26 tonnes par million de dollars en 2030, contre 32 tonnes pour la Caisse. La Caisse est cependant plus avancée que TEACHERS dans sa stratégie actuellement.