Personne ne protestera dans les rues contre la hausse de l’impôt des banques proposée par Justin Trudeau. Au contraire, la mesure suscitera la sympathie.

Nos institutions financières font énormément d’argent. Et contre toute attente, elles en ont gagné encore plus durant la pandémie, exception faite des deux mois de confinement généralisé.

Un exemple ? La Banque Royale. L’institution a annoncé mercredi qu’elle avait fait 12,2 milliards de dollars de profits au cours des trois premiers trimestres de son exercice 2021. C’est autant d’argent en neuf mois que durant toute l’année 2019 (12,9 milliards), soit avant l’apparition du damné virus1.

Je sais, la hauteur des bénéfices ne veut rien dire si l’on ne tient pas compte de l’importance de l’entreprise. Mais justement, la mesure ultime qui tient compte de la taille, soit le rendement de l’avoir, atteint des sommets.

À la Royale, ce rendement est de 19,2 % en 2021, bien davantage que les 14,2 % de 2020 ou les 16,8 % de 2019. Cette performance dépasse largement celle des autres entreprises (l’épicier Metro est à 13,1 %, par exemple) ou encore le rendement d’un certificat de dépôt (souvent moins de 1 %).

Ce rendement des banques est anormalement élevé compte tenu du niveau modéré de leurs risques. Sa hauteur s’explique notamment par la faible concurrence bancaire au Canada, possible grâce à la protection qu’assurent aux banques les lois canadiennes, dont l’objectif est d’assurer un système financier solide.

« Les banques sont un gros cartel protégé par le gouvernement fédéral », me dit Martin Boyer, professeur de finance à HEC Montréal.

La promesse libérale de hausser de 3 points de pourcentage le taux d’imposition fédéral des banques et des compagnies d’assurance n’est donc pas déconnectée. Elle s’appliquerait aux profits qui excèdent 1 milliard.

À cette hausse d’impôt s’ajouterait un prélèvement temporaire pendant quatre ans, dont la nature reste à préciser. Les deux mesures rapporteraient 2,5 milliards de dollars par année. Environ 45 % de la somme viendrait de l’impôt et 55 % du prélèvement temporaire, appelé « dividende de la relance ».

Au sein de l’appareil libéral, on juge qu’une telle ponction est justifiée, puisque les mesures d’aide fédérales pendant la pandémie ont permis aux banques d’empocher davantage.

Cela dit, cette hausse proposée est bien plus payante du point de vue électoral que du point de vue financier, à mon avis. Pour monsieur et madame Tout-le-Monde, taxer les méchantes banques est une bonne idée, qui saura attirer des votes. Concrètement, il n’est pas certain que le gouvernement fédéral sera en mesure de récolter les 2,5 milliards que projette le Parti libéral.

Pourquoi ? Parce que les institutions trouvent toutes sortes de façons de minimiser leurs impôts.

Actuellement, les banques se voient réclamer 26,5 % d’impôts sur leurs bénéfices au Québec et en Ontario, soit 15 % au fédéral et 11,5 % au provincial. Dans les faits, le taux effectivement payé est passablement plus bas, par exemple 20,5 % à la Banque Royale en 2020, et 9,7 % à la Banque TD.

« Le problème, ce n’est pas que le taux d’imposition n’est pas assez élevé, mais plutôt qu’il y a trop d’échappatoires, trop de méthodes pour diminuer le taux statutaire d’imposition », me dit la fiscaliste Brigitte Alepin, qui miserait plutôt sur un taux minimal d’imposition.

L’analyste de la Banque TD pour le secteur financier Mario Mendonca croit aussi qu’il y aura de l’évitement fiscal. Il craint que ces taxes ciblées n'aient pour effet de déplacer des activités rentables dans des endroits où l’impôt est moins élevé et la réglementation moins sévère.

Quoi qu’il en soit, avec la faible concurrence, la facture risque d’être refilée aux clients, d’une façon ou d’une autre.

Les libéraux en sont conscients. Ils prévoient hausser les pouvoirs de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada pour limiter les frais excessifs. De plus, ils comptent mettre au point des règles ciblées anti-évitement.

Enfin, pour le « dividende de la relance », ils travailleront avec le Bureau du surintendant des institutions financières. Est-ce que ce sera une taxe sur le capital ? Probablement pas, car elle serait assez facilement évitable. Des frais plus élevés pour l’assurance-dépôts ? Plus probable.

Selon ma compréhension, les libéraux ajusteraient le taux du « dividende » à payer pour atteindre les 2,5 milliards en fonction des calculs du Directeur parlementaire du budget, qui tient compte des effets d’évitement.

De toute façon, quelle que soit la mesure, l’imagination des banques et des compagnies d’assurance pour hausser leurs frais et diminuer leurs impôts est très fertile.

Martin Boyer, de HEC Montréal, rappelle qu’au bout du compte, ce sont les actionnaires des banques qui pourraient voir leurs dividendes diminuer. Et que ces actionnaires, ce sont très souvent des fonds de retraite, qui profitent à un grand nombre de particuliers au Canada. Il préférerait qu’on impose les particuliers, mais la mesure serait moins rentable politiquement.

Pour ma part, j’appuie le principe d’un impôt plus élevé sur les banques, dans le contexte d’un déficit monstrueux. Il reste que la manière sera déterminante pour son succès.

1. L’exercice annuel débute le 1er novembre et les trois premiers trimestres de 2021 se sont donc terminés le 31 juillet 2021.

Avec la collaboration de Richard Dufour, La Presse