La décision est vraiment extraordinaire. Comme disent les Anglais, on a « pensé en dehors de la boîte ».

Non seulement l’entente fera économiser 1,5 milliard de dollars aux Québécois, mais elle permettra aussi de réduire les gaz à effet de serre (GES) de 540 000 tonnes par année d’ici 2030, l’équivalent de l’émission de 150 000 voitures.

En plus, elle exige que le distributeur de gaz naturel Énergir accepte une baisse significative de son volume d’affaires, ce qui est contre nature. Wow !

De quoi s’agit-il ? D’une entente tripartite entre le gouvernement, Hydro-Québec et Énergir (l’ex-Gaz Métro) pour proposer de la biénergie aux Québécois. La nouvelle a été annoncée le 14 juillet.

Sa particularité ? Énergir consent à ce que la moitié de ses clients québécois réduise massivement sa consommation de gaz naturel au profit de l’énergie plus verte d’Hydro-Québec. Plus précisément, l’entente prévoit que 100 000 clients résidentiels, commerciaux et institutionnels d’Énergir réduiront leur volume de consommation de gaz de 70 % d’ici 2030.

Comment est-ce possible ?

D’abord, il faut savoir que le gouvernement du Québec subventionnera les clients d’Énergir pour qu’ils convertissent leurs installations en unités biénergie, qui fonctionnent au gaz naturel et à l’électricité. Québec déboursera jusqu’à 125 millions de dollars pour financer possiblement entre 75 % et 100 % de la conversion.

L’investissement est intéressant pour le gouvernement, dans la mesure où il fera réduire les GES de 540 000 tonnes au coût moyen de seulement 26 $ la tonne, soit l’équivalent du prix du carbone sur le marché.

En comparaison, les subventions aux autos électriques reviennent à entre 200 $ et 400 $ la tonne de GES économisée. Autre comparaison : le REM de l’Est contribuera à faire réduire les GES de 35 000 tonnes par année, soit 15 fois moins que l’initiative Hydro-Québec–Énergir–Québec.

Ensuite, il faut comprendre la dynamique des coûts d’Hydro-Québec. Pour la société d’État, servir un client coûte très peu cher durant le printemps et l’été, quand ses barrages sont remplis et que la demande est faible. En revanche, la période de pointe hivernale (de 100 à 400 heures par année) coûte extrêmement cher.

En vertu de l’entente, essentiellement, Hydro-Québec fournira aux clients de l’énergie durant les mois où elle a des surplus (70 % du total), tandis qu’Énergir prendra la relève durant les pointes d’hiver (30 % du total). Ce faisant, Hydro fera de grandes économies à la pointe, qu’elle partagera avec Énergir.

Par rapport à une conversion à l’électricité à 100 %, l’entente procurera une économie nette de 1,5 milliard de dollars pour l’ensemble des parties d’ici 2030. Quand même !

Cela dit, malgré la compensation d’Hydro, la transaction aura pour effet de faire diminuer les profits d’Énergir. Pas énormément, puisque l’autre moitié des clients québécois d’Énergir qui n’est pas visée par l’entente – essentiellement les industriels – apporte le plus gros du volume d’affaires de l’organisation. Mais tout de même, il y aura une baisse.

Pourquoi accepter de perdre de l’argent ? D’une part, Énergir pourra refiler la perte – l’excédent de coûts – à l’ensemble de sa clientèle avec une hausse de tarifs, tel que le lui permettent les règles de la Régie de l’énergie. La hausse sera modeste, soit l’équivalent de l’inflation, et sera faite dans le contexte où le gaz naturel est bien meilleur marché que les autres sources d’énergie.

D’autre part, Énergir fait le calcul qu’elle aurait éventuellement perdu une bonne part des clients visés, compte tenu des ambitions canadiennes et mondiales de réductions de GES. Et que cette perte, à long terme, aurait été plus dommageable pour elle.

« On veut faire partie de la solution pour décarboner l’économie. Ne rien faire aurait été pire », explique la porte-parole d’Énergir, Catherine Houde.

Selon Mme Houde, la transaction a été approuvée par le conseil d’administration d’Énergir, et donc par son actionnaire de contrôle, soit la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Même la pétrolière Enbridge – actionnaire indirecte d’Énergir – a appuyé l’entente, précise Mme Houde. « Le conseil est très à l’aise avec la décision, qui fait partie de notre stratégie de diversification de nos sources d’énergie et de verdissement de notre gaz naturel. »

Début juin, la Caisse a annoncé le rachat éventuel de la participation indirecte de la pétrolière Enbridge dans Énergir pour la somme de 1,14 milliard de dollars. La transaction, une fois approuvée dans quelques mois, fera de la Caisse l’actionnaire indirect à 65,7 % d’Énergir. Parmi les autres actionnaires se trouve aussi le Fonds de solidarité FTQ.

Pour Hydro-Québec et Énergir, le partenariat pour la biénergie est unique au monde, fait valoir le communiqué. Une telle transaction aurait-elle été possible, n’eût été la proximité des parties et leur caractère public ou quasi public ?

« Le fait que ce soit deux sociétés à propriété collective ou quasi collective a été une condition gagnante, qui a permis de discuter avec ouverture dès le départ. Ç’aurait été plus compliqué avec deux sociétés cotées en Bourse », dit Marc-Antoine Pouliot, porte-parole d’Hydro-Québec.

Bref, le genre d’entente qui nous fait apprécier le modèle québécois, en quelque sorte. Chapeau !