Le Québec est une société distincte, mais sa différenciation ne s’exprime pas que sur les plans politique, social ou culturel. Lorsque vient le temps d’analyser l’évolution prévisible du contexte économique et financier post-pandémie, les analystes financiers du Québec ont une vision qui se distingue, plus optimiste que celle de leurs semblables du Canada et des États-Unis quant aux défis et aux enjeux qui se profilent à l’horizon.

C’est ce que nous révèle une étude récente que vient de mener le CFA Institute, l’institut des analystes financiers agréés, auprès de ses 150 000 membres affiliés dans le monde. Au total, plus de 6000 CFA ont répondu au sondage de l’institut, dont 761 analystes financiers au Canada et 119 au Québec.

Olivier Fines est directeur de la stratégie et des politiques des marchés au CFA Institute à Londres. L’économiste, originaire de Montréal et ancien de HEC Montréal et de l’INSEAD, en France, est établi en Europe depuis 20 ans, dont les 10 dernières années à Londres. Il a eu l’idée de segmenter les réponses des analystes financiers québécois et canadiens pour mieux cerner leurs perceptions respectives.

« C’est au Canada que l’on trouve le plus de CFA (chartered financial analysts) en proportion de la population. J’ai accès aux chiffres et j’ai donc voulu comparer les visions des analystes financiers selon leur région », m’explique Olivier Fines.

Premier constat, c’est au Québec que les analystes financiers agréés sont les plus optimistes sur la solidité de la reprise économique post-COVID-19, alors que 35 % estiment que l’économie a déjà entamé la reprise, contre 28 % pour le Canada et 26 % pour l’Ontario. Les analystes américains sont du même avis que les Québécois avec un score de 36 %.

Les analystes financiers québécois sont ceux qui minimisent le plus l’effet de l’inflation, alors que 40 % sont d’avis qu’elle n’entraînera pas de politique restrictive de la part de la banque centrale, contre 32 % pour le Canada et 35 % aux États-Unis.

À cet égard, ces résultats sont en phase avec la vision que nous a fait partager mardi Jimmy Jean, économiste en chef du Mouvement Desjardins, qui n’entrevoit pas de hausse de taux d’intérêt avant la fin de 2022. Jimmy Jean constate aussi que l’économie québécoise avait pratiquement terminé son rattrapage (99,4 %) et était en bonne voie vers l’expansion, contrairement à l’Ontario qui accuse un léger retard.

Lisez ou relisez notre grande entrevue avec Jimmy Jean

Autre constat particulier, les analystes québécois sont ceux qui jugent que le marché boursier de leur région est le moins déconnecté de la réalité économique. Seulement 39 % des analystes québécois estiment que la valeur des actions n’est pas en lien avec la réalité économique, contre 48 % des analystes canadiens et 50 % des américains.

L’omniprésence de l’État

La crise de la COVID-19 a forcé les gouvernements de partout dans le monde à intervenir massivement pour soutenir l’activité économique et les entreprises touchées par la pandémie, mais cette action — pourtant absolument nécessaire — a laissé des séquelles.

Ainsi, 60 % des analystes financiers canadiens et 67 % des CFA américains sont préoccupés par le rôle accru de l’État dans l’activité économique, contre seulement 53 % au Québec (et 70 % en Alberta !). Il faut dire qu’au Québec, on est rompu à l’omniprésence d’Investissement Québec et autres Caisse de dépôt…

C’est aussi au Québec qu’on est le moins préoccupé par une hausse de la fiscalité pour financer les nombreux programmes publics de soutien économique qui ont été mis sur pied alors que 69 % de nos analystes évoquent cette éventualité, contre 75 % au Canada et 76 % aux États-Unis. Là encore, les taux d’imposition déjà très élevés au Québec se dressent un peu comme un rempart à de nouvelles hausses.

Autre caractéristique de la société distincte québécoise, c’est au Québec que les analystes financiers jugent le plus positivement l’intervention des gouvernements durant la crise avec un score de 62 % contre 56 % au Canada et 51 % aux États-Unis.

Enfin, dernière particularité qui se dégage de l’étude du CFA Institute, et qui surprend, c’est que c’est au Québec que l’on craint le plus une intervention possible des gouvernements pour sauver des institutions financières en détresse. Il s’agit ici du plus grand risque systémique pour 48 % des analystes québécois, contre 38 % au Canada et 37 % aux États-Unis.

Là encore, les derniers résultats financiers des grandes institutions financières nous ont démontré hors de tout doute qu’elles avaient vaillamment franchi la crise et même haussé leur profitabilité malgré le contexte économique et financier incertain.

Mais cette étude comparative qu’a réalisée Olivier Fines pour le compte du CFA Institute nous démontre assez clairement que les analystes financiers agréés du Québec sont au diapason de la société dans laquelle ils évoluent. La sortie de crise est bien engagée et la reprise pourra devenir durable une fois l’immunité collective atteinte.