Après avoir été économiste principal et stratège des marchés financiers chez Desjardins durant 10 ans, Jimmy Jean occupe depuis deux mois le poste d’économiste en chef et stratège du mouvement coopératif. Conjoncturiste, « à l’intersection de l’économie et de la finance », le spécialiste observe que le Québec s’est mieux sorti de la crise induite par la pandémie que le reste du Canada et qu’il profitera de cet élan pour enregistrer une autre année de croissance robuste en 2022. L’économiste nous fait part de ses perspectives économiques pour le Québec.

Vous venez de succéder à François Dupuis comme économiste en chef du Mouvement Desjardins. Quel a été votre cheminement des dernières années ?

J’ai joint le Mouvement Desjardins il y a 10 ans comme économiste principal et, après un bref passage à la Caisse de dépôt, je suis revenu en 2019 comme économiste principal et stratège des marchés financiers, où je faisais des prévisions macro-économiques tout en suivant l’évolution des taux d’intérêt. On dit souvent que les taux font foi de tout…

Mon rôle était de suivre les indicateurs et d’analyser les cycles économiques pour guider notre clientèle institutionnelle, les gestionnaires d’actifs, de fonds de pension, les assureurs. Lorsque François nous a annoncé à l’automne qu’il allait prendre sa retraite, je me suis préparé en conséquence pour pouvoir le remplacer et j’ai passé à travers tout le processus pour obtenir le poste.

J’en ai souvent parlé avec François, le rôle d’économiste en chef exige aussi de bonnes qualités de communicateur. On est souvent sollicité pour expliquer des situations complexes et il faut pouvoir les vulgariser pour bien les faire comprendre.

Vous avez entamé votre carrière chez Statistique Canada. Cela a dû être une bonne école ?

Absolument. Après mon bac en administration des affaires et ma maîtrise en sciences de la gestion et économie appliquée à HEC, j’ai travaillé durant cinq ans comme économiste à Statistique Canada. On travaille sans cesse avec les données et, là, j’ai appris comment elles étaient créées, compilées, traitées et analysées. Comment bien les mettre en perspective. Ç’a été une très bonne école.

Vous êtes un spécialiste des cycles économiques, mais comment réagit-on quand un évènement comme la pandémie vient rompre aussi violemment un cycle ? Comment peut-on prévoir une éventuelle sortie de crise ?

En partant, on essaie de comprendre la nature de la crise et d’évaluer combien de temps elle va durer. Ce qui a été surprenant avec celle que l’on vient de vivre, ç’a été sa rapidité. Habituellement, un an après le creux d’une crise, on est encore dans le cycle de la crise. Ce qui n’a pas été le cas l’an dernier.

La pandémie a créé une chute violente de l’économie, mais un an après, on s’est retrouvé avec une reprise spectaculaire. On va être revenu au Canada au niveau prépandémie dès le quatrième trimestre et c’est aussi le cas aux États-Unis.

Le Québec s’en est un peu mieux sorti que le reste du Canada. On a connu une fin d’année 2020 très surprenante avec un niveau de croissance du produit intérieur brut d’avant la crise. L’Ontario a plus souffert du confinement prolongé et ç’a été plus laborieux.

Vous prévoyez que l’économie du Québec fera mieux en 2021 que l’économie canadienne. À quel moment peut-on statuer que l’économie n’est plus en mode rattrapage et que la reprise est là pour de bon ?

La croissance économique va être plus forte au Québec à 7 %, contre 6,3 % pour l’économie canadienne, et on prévoit un taux de croissance de 3,5 % au Québec pour 2022.

L’économie québécoise devrait bientôt être revenue en mode expansion, on a presque fini le rattrapageL alors que c’est lus long en Ontario. Le long confinement et la fermeture prolongée des écoles ont pénalisé beaucoup l’emploi chez les femmes. La troisième vague a été très difficile pour l’économie de l’Ontario.

Parallèlement à cette reprise, l’économie québécoise fait face à des phénomènes particuliers comme la surchauffe du marché immobilier ou la pénurie de main-d’œuvre. Cela vous inquiète-t-il ?

Pour ce qui est de la pénurie de la main-d’œuvre, la situation est dramatique pour certains secteurs d’activité, comme la restauration, mais la menace qui pèse, c’est que cette pénurie nuise aux occasions d’affaires et freine l’investissement et l’expansion des entreprises, faute de travailleurs.

Pour l’immobilier, la construction résidentielle a enregistré une hausse de 40 % au premier trimestre au Canada — c’est énorme. Les chiffres d’avril sont encore très forts. Les transactions immobilières ont aussi enregistré un pic ce printemps, mais cela commence à baisser légèrement.

Est-ce essentiellement l’effet des taux d’intérêt plancher qui est l’origine de cette effervescence ?

Les taux ont favorisé l’abordabilité du logement et le télétravail a permis aux gens d’acheter des maisons plus loin. Cela a eu un impact généralisé sur le marché et poussé les prix à la hausse, ce qui est en train d’annuler les gains d’abordabilité que généraient les bas taux d’intérêt.

La reprise économique que l’on observe tant ici qu’aux États-Unis a réanimé le spectre d’une forte inflation. Est-ce qu’il s’agit d’un phénomène passager, selon vous ?

C’est certain qu’une activité économique plus forte génère de l’inflation, mais on fait face aussi à un effet arithmétique. Un taux d’inflation de 5 % sur un an aux États-Unis, ça paraît élevé. Mais, en mai 2020, le baril de pétrole était à 25 $US et, là, il est revenu au-dessus des 70 $ US. Les prix de l’essence et des biens qui sont transportés ont augmenté, mais la situation devrait se rééquilibrer.

Les prix de certaines matières premières ont aussi beaucoup augmenté en raison de la forte demande, mais là, on voit notamment dans le bois d’œuvre que la production s’ajuste à la demande.

Vous n’entrevoyez donc pas de mouvement à la hausse des taux d’intérêt pour ralentir l’activité économique et réduire les risques d’inflation ?

Les banques centrales ne devraient pas hausser leur taux d’ici la fin de 2022. La Banque du Canada a évoqué récemment l’éventualité d’une hausse, mais seulement pour aviser les marchés qu’elle se ferait de façon très graduelle, mais ce ne sera pas à court terme.

Une hausse de 25 centièmes de point est pas mal plus dramatique aujourd’hui qu’en 2011 alors que le taux d’endettement des ménages est beaucoup plus élevé. L’impact sera plus fort.

Le gouvernement fédéral s’est lourdement endetté pour répondre à la crise et éviter la catastrophe. Est-ce que notre niveau d’endettement vous inquiète ?

Le niveau de la dette canadienne est passé de 31 % à 51 % du PIB du pays, mais les décideurs politiques ont décidé, avec raison, qu’ils avaient un rôle à jouer. Ç’a été un choc, mais déjà les gouvernements fédéral et du Québec observent une hausse de leurs revenus fiscaux. Notre niveau d’endettement est beaucoup plus viable que celui de 100 % aux États-Unis ou de 200 % au Japon.