La pénurie de main-d’œuvre est devenue aujourd’hui un enjeu économique majeur qui gangrène insidieusement la vitalité d’un nombre sans cesse grandissant d’entreprises et qui menace même la survie de nos régions. C’est le cas du Nord-du-Québec, où le déséquilibre démographique est tel que la région se retrouve aujourd’hui en situation de pénurie d’humains et qu’elle a un besoin urgent d’accueillir 400 familles pour repeupler son territoire et assurer la survie de ses communautés.

Est-ce qu’on est en train de revivre l’époque du curé Labelle ? Faudrait-il réinstaurer un ministère de la Colonisation pour orchestrer une politique de peuplement afin de mieux occuper notre vaste territoire ?

C’est la question qu’on peut se poser alors que la région du Nord-du-Québec, qui inclut les municipalités de Matagami, Lebel-sur-Quévillon, Chapais, Chibougamau et les localités de Radisson, Valcanton et Villebois – situées sur le territoire du gouvernement régional cri d’Eeyou Istchee Baie-James –, lance un cri d’alarme.

Ces municipalités veulent enrayer le processus d’exode démographique dont elles sont victimes depuis 30 ans et qui leur a fait perdre le tiers de leur population non autochtone, malgré le fait qu’elles ont enregistré une croissance économique de 23 % durant cette période.

De 1991 à 2021, le nombre de résidants permanents est passé de 20 270 à 13 444 pour un territoire qui couvre pourtant le quart de la superficie du Québec. Beaucoup de citoyens du Nord ont migré vers les villes du Sud, et peu de nouveaux résidants sont venus les remplacer.

Le recours généralisé au navettage – les employés qui viennent travailler par avion ou par la route pour une période de sept jours avant de retourner chez eux pour une période équivalente – a littéralement étouffé l’installation en permanence de citoyens désireux de s’implanter dans leur communauté.

La région, qui produit 51 % de l’hydroélectricité québécoise, 15 % du bois récolté au Québec et qui regorge de gisements miniers en exploitation ou en voie de l’être, en raison notamment de la course aux métaux stratégiques, a un urgent besoin de résidants permanents sur son territoire pour assurer la pérennité de ses infrastructures et établir une meilleure cohésion sociale.

« On a une densité de 0,06 habitant par kilomètre carré, c’est 6 fois moins que sur la Côte-Nord et 48 fois moins qu’au Saguenay–Lac-Saint-Jean », m’explique René Dubé, maire de Matagami, une municipalité qui compte 1374 habitants, contre 2500 il y a 30 ans.

« Il y a beaucoup d’activité économique ici avec la mine de zinc de Glencore et la nouvelle mine d’or que va exploiter Wallbridge l’an prochain, mais les travailleurs font tous du navettage. Ils ne s’implantent pas ici et ne contribuent pas au maintien de nos écoles, de notre clinique médicale, à la vie dans le Nord. On a besoin d’au moins 400 familles pour enrayer le déclin dans toute la région. »

Autochtones et immigration

Le Nord-du-Québec a obtenu le statut spécial de région éloignée durant la pandémie et voudrait qu’on reconnaisse cette spécificité pour lui permettre d’attirer et de conserver des travailleurs-citoyens.

Frédéric Verreault est directeur exécutif du développement corporatif de Chantiers Chibougamau, qui emploie 650 travailleurs à sa scierie de Chibougamau et 270 à sa nouvelle usine de pâte kraft à Lebel-sur-Quévillon. Avec le maire Dubé, il souhaite que l’occupation du territoire soit considérée comme une priorité.

« On a des emplois de 60 000 $ à 100 000 $ par année, mais on ne réussit pas à les combler. Les gens veulent faire du 7-7. On a même des professeurs de l’extérieur qui ont demandé de pouvoir bénéficier de cet horaire. Ça n’a plus de sens », souligne-t-il.

PHOTO JEAN-PHILIPPE DÉCARIE, ARCHIVES LA PRESSE

Frédéric Verreault, directeur exécutif du développement corporatif de Chantiers Chibougamau

Le maire Dubé, président de l’Administration régionale Baie-James, et Frédéric Verreault, président du Conseil régional des partenaires du marché du travail de la Jamésie, ont ciblé quatre priorités qui permettraient de régler en partie le problème auquel est confronté le Nord-du-Québec.

Le gouvernement québécois n’a pas hésité à accorder des avantages fiscaux particuliers à des secteurs économiques stratégiques comme l’aéronautique ou le multimédia. Il pourrait faire de même pour soutenir l’occupation du territoire, en accordant un statut fiscal particulier pour favoriser l’habitation dans le Nord-du-Québec ainsi que des incitatifs fiscaux pour les jeunes diplômés qui vont s’y établir.

Pour soulager les problèmes de pénurie de main-d’œuvre – Chantiers Chibougamau est notamment incapable de pourvoir 20 postes à Lebel-sur-Quévillon et 30 à Chibougamau –, Québec pourrait préserver les privilèges fiscaux des membres de la communauté crie même s’ils travaillent pour une entreprise hors de leur communauté et faciliter l’implantation de travailleurs immigrants sur le territoire.

« Les Cris profitent d’une démographie forte, mais n’ont aucun avantage à venir travailler dans nos entreprises parce qu’ils perdent leurs exemptions fiscales. On souhaite travailler avec eux dans le respect de leurs besoins et traditions », me précise Frédéric Verreault.

Tout le territoire du Nord-du-Québec se mobilise autour de la Grande Alliance lancée par la communauté crie, qui vise à développer et à protéger le territoire de façon harmonieuse avec toutes les parties prenantes. C’est un beau chantier en perspective, mais il va falloir enrayer la pénurie d’humains pour pouvoir y participer.