Air Canada a vécu la dernière année sous respirateur artificiel et terminé son exercice financier avec une perte nette de 4,7 milliards, mais a tout de même versé des bonis de 10 millions aux membres de sa haute direction, vient-on d’apprendre. La nouvelle est passée inaperçue vendredi puisqu’elle se retrouvait dans la circulaire d’information à ses actionnaires qui n’a été rendue publique qu’en toute fin de journée, mais elle n’en est pas moins scandaleuse pour autant.

Air Canada est l’entreprise canadienne qui a sûrement obtenu le plus important soutien financier du gouvernement fédéral en accumulant des contributions de plus de 650 millions en subventions salariales pour payer, en tout ou en partie, le salaire des employés qu’elle a maintenus en poste durant la pandémie, malgré l’arrêt presque total de ses activités.

Le transporteur aérien a aussi bénéficié du programme d’aide financière le plus généreux qui a été accordé aux entreprises canadiennes en difficultés financières alors qu’Ottawa lui a concocté un plan de sauvetage de 5,9 milliards par l’entremise de la Corporation de financement d’urgence d’entreprises du Canada, en grande partie sous forme de prêt remboursable.

Le gouvernement fédéral a mis du temps avant d’avaliser ce programme d’urgence alors que les concurrents internationaux d’Air Canada ont eu droit à un soutien financier beaucoup plus hâtif de leur gouvernement respectif.

On le sait, le transport aérien a été le secteur le plus lourdement touché par la crise sanitaire et personne ne conteste la pertinence du soutien financier gouvernemental dont Air Canada a pu bénéficier.

Mais là où le bât blesse, comme on dit, c’est la rapidité avec laquelle le conseil d’administration d’Air Canada a décidé d’accorder une bonification de 10 millions aux membres de la haute direction du transporteur pour les récompenser de leur bonne gestion et de l’ardeur au travail qu’ils ont déployée durant la crise.

Avant l’éclatement de la pandémie, le programme de bonification des cadres d’Air Canada prévoyait le débours de quelque 45 millions en rémunération additionnelle advenant l’atteinte de certains objectifs financiers.

La crise a amené le conseil d’administration à revoir son programme en réduisant d’abord son enveloppe à 20 millions et en recadrant les objectifs financiers en performance opérationnelle. Finalement, les administrateurs d’Air Canada ont ramené à 10 millions la dotation de son programme de bonification.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Des bonis injustifiables

Bonifier le salaire des dirigeants quand une entreprise a survécu essentiellement grâce à l’aide massive du gouvernement fédéral est en soi problématique, même si la rémunération globale de la haute direction a été réduite par rapport à l’année précédente.

Cela le devient encore plus lorsqu’on se rappelle qu’Air Canada a licencié quelques 20 000 de ses employés qui n’ont pas eu droit à la subvention salariale parce qu’ils n’avaient plus de lien d’emploi avec le transporteur.

Ces éclopés de la crise ont dû recourir aux prestations de l’assurance-emploi pour survivre et plusieurs ont été forcés de trouver un nouvel emploi en espérant qu’un jour Air Canada les rappelle à son service.

C’est notamment le cas de la grande majorité des 10 000 agents de bord de la compagnie aérienne qui ont été largués, laissés à eux-mêmes.

Il y a présentement de 1000 à 1500 agents de bord sur nos 10 000 membres qui ont retrouvé leur emploi. Les autres sont toujours sur les lignes de côté pendant que les dirigeants reçoivent des bonis avec l’argent du gouvernement fédéral. C’est immoral. », m’expliquait mardi, sur un ton excédé, Hugh Pouliot, responsable des communications au syndicat des agents de bord d’Air Canada.

Pour ma part, je ne crois pas que les dirigeants d’Air Canada méritent d’être récompensés pour avoir fait leur travail durant la crise. Leur entreprise était en péril, elle a été sauvée en grande partie par l’aide financière du gouvernement fédéral et ils pourront espérer une bonification pour leur contribution lorsque leur entreprise sera en moyen de le faire.

Durant un an, Air Canada a laissé en plan des milliers de voyageurs qui attendaient un remboursement pour des vols qu’ils n’ont jamais pris. Il a fallu que le fédéral accorde un prêt de 1,4 milliard au transporteur pour que celui-ci commence à rembourser ses clients lésés.

La pandémie a été dure et implacable pour le secteur aérien, mais elle ne cautionne pas pour autant une bonification des émoluments de ceux qui ont dû exercer leur profession durant la crise.

Les bonis de pandémie étaient amplement justifiés et exigibles pour les travailleurs de première ligne dans le secteur de la santé, les infirmières et préposées aux bénéficiaires, les gens de l’entretien et de la sécurité, les commis et les caissières de supermarché, les ouvriers cordés sur les lignes de découpe des abattoirs de porcs ou les employés d’entrepôt de Dollarama.

Avec toute l’aide financière que leur a accordée le gouvernement fédéral – une aide nécessaire et justifiée, rappelons-le – pour sauver leur entreprise, les membres de la haute direction d’Air Canada avaient déjà obtenu une gratification financière amplement suffisante.